Ravished Armenia (Auction of Souls) et Mayrig sont deux films sur le génocide arménien. Le premier date de 1918 alors que la plaie du génocide était béante et que l’oppression des arméniens se poursuivait de manière sanglante ; le second date lui des années 1990 et participe à tisser les liens de la mémoire.
« Ravished Armenia » (fragment) est un film difficile à catégoriser, une sorte de docu-fiction tourné aux États-Unis en 1918, donc très peu de temps après le génocide. Il ne nous reste que des fragments du film, les bobines originales ayant disparu dans un incendie.
Le scénario est basé sur le témoignage d’une survivante du génocide arménien nommée Aurora Mardiganian, qui interprète aussi son propre rôle dans le film.
Le ton se veut journalistique, le film sans paroles, avec des sous-titres pour commenter ce qui se déroule à l’écran, c’est à dire une description terriblement précise des atrocités commises.
Pour quelqu’un qui regarde le film en 2015, ce mélange d’objectivité journalistique et de mise en scène hollywoodienne à la John Ford pourra être déconcertant.
On pourra même parler de voyeurisme, car est-il vraiment digne et nécessaire de reconstituer au cinéma des scènes de viol est de torture dans un docu-fiction, sous prétexte de conserver la mémoire d’un génocide ? Certes on a la pudeur de 1918, mais avec des scènes extrêmement « graphiques » et sensationnelles.
Pour autant, le témoignage immédiat, à chaud, d’une survivante d’un génocide, est quelque chose de précieux, d’inestimable. On saura donc faire la part des choses, en oubliant un peu les aspects du film qui ont le plus mal vieilli.
Le témoignage d’Aurora Mardiganian ne nous renseignera pas sur le contexte du génocide, mais à travers les yeux de cette survivante, on peut imaginer ce qu’ont pu endurer les arméniens de l’empire Ottoman. C’est souvent grâce aux comptes rendus d’expériences individuelles qu’on peut se représenter ce qui a été vécu collectivement par des centaines de milliers de personnes.
Mayrig (« mère » en arménien) est lui un des derniers films du cinéaste français Henri Verneuil (Achod Malakian de son vrai nom), sorti en 1991.
Il est la première partie d’une série de deux films racontant la vie du réalisateur, le deuxième film est 588, rue de Paradis sorti en 1992. Mayrig retrace l’arrivée en France de Azad Zakarian, de ses parents (Araxi et Hagop) et de ses deux tantes (Gayané et Anna). Tous sont arméniens et viennent en France pour fuir le génocide.
Le film débute par l’assassinat de Talaat Pacha à Berlin en 1921, un des principaux responsables du génocide arménien. S’en suit le procès de Soghomon Tehlirian qui est l’auteur de l’assassinat.
Puis nous découvrons le port de Marseille et Hagop, le père d’Azad, au milieu d’un foule extrêmement dense. Celui-ci cherche quelqu’un pour lui traduire la Une du journal en allemand qu’il tient dans sa main. Il trouve Apkar, un ami qui était déjà arrivé en France, de l’autre côté des grilles. Il lui annonce la bonne nouvelle : Tehlirian a été acquitté, « à l’unanimité ». Immédiatement, Hagop s’adresse à toute la foule : « Écoutez moi tous. Tehlirian a été acquitté ». Tout le monde applaudit et se réjouit.
La famille s’installe dans son premier logement et Henri Verneuil met en opposition la France raciste et hostile à l’arrivée de la famille Zakarian, avec la France ouverte et solidaire. Le procédé est grossier, mais permet de poser les bases des débuts de la famille à Marseille, en particulier du petit Azad.
Le film suit la vie d’Azad depuis son arrivée en France jusqu’à son diplôme d’ingénieur. Depuis le collège privé où se retrouvent tous les enfants de la bourgeoisie marseillaise, jusqu’à l’école d’ingénieur à Aix-en-Provence. Mis de côté, voire moqué, au début à cause de ses origines étrangères, tout ceci s’estompe au fil des années : l’idéologie républicaine du mérite reprend le dessus.
Azad n’a pas conscience au début du film de ce qui s’est déroulé en 1915, sa famille et Apkar commencent à l’évoquer une fois qu’il est au lit. Mais il ne peut s’empêcher d’écouter, et entend sa famille demander des nouvelles de proches, de connaissances: savoir s’ils ont survécu, où ils sont… Apkar leur apprend de mauvaises nouvelles et leur décrit l’enfer qu’il a vécu en tant que survivant.
Le film quitte Marseille et retourne en Turquie quelques années plus tôt. Cette scène est le témoignage terrible d’Apkar, en tant que seul survivant parmi un groupe de « quatre ou cinq mille » arméniens. Tous rassemblés pour un « mouvement de population » jusqu’à ce qu’ils comprennent que tous vont mourir.
Mayrig n’est pas un film directement sur le génocide arménien, l’auteur est né juste après, mais celui-ci revient régulièrement au cours du film : que ce soit au moyen de flash-back ou d’une scène comme le tout début du film.
Mayrig est un film autobiographique touchant, qui constitue un témoignage d’un jeune arménien arrivé en France au début des années 1920. D’un jeune garçon qui grandit dans une famille qui se reconstruit une vie à Marseille après avoir tout perdu. D’un jeune homme qui travaille pour réussir et faire plaisir à toute sa famille qui se sacrifie pour lui offrir toutes les chances de réussite.
Si le film est heureusement loin de l’horreur fasciste qu’est Peur sur la ville, du même réalisateur, il n’est pas un chef d’œuvre pour autant. Mais ce témoignage mérite d’être vu, un siècle après le génocide arménien.