Paysage d’hiver avec patineurs et trappe aux oiseaux est une œuvre très connue de Bruegel, une œuvre remarquable. Datant de 1565, elle exprime avec profondeur la contradiction entre les villes et les campagnes qui naît avec le capitalisme.

Étonnamment petite (37 cm sur 55,5 cm) alors qu’il aurait pu s’agir d’un grand panneau, cette peinture nous amène dans une situation où c’est tout un nouveau rapport avec la Nature qui se présente. Le jeu des patineurs sur la glace est ainsi une ode populaire, à la croisée de la Nature et de la culture. Les masses ont les moyens de s’amuser, de s’épanouir.

On n’est plus dans un moyen-âge arriéré, il y a des patins, il y a une maîtrise des phénomènes naturels, une appréciation de ceux-ci.

Le fait d’avoir bien souligné la présence des maisons – et à côté des maisons, de l’église – en fait un chef-d’œuvre des villes naissantes. Il y a d’ailleurs une ville plus grande au loin. Il s’agit a priori d’Anvers, si le village représenté est bien celui de Pède-Sainte-Anne, (Sint-Anna-Pede), comme des chercheurs le pensent.

Ce tableau est une ode au peuple naissant, à la société organisée se développant ; sa charge démocratique est indubitable. Et les arbres, dans leur présentation, sont typiques de l’esprit flamand, si proche du futur romantisme allemand.

La profondeur nationale-démocratique de cette œuvre est si réelle qu’il n’y a pas de personnages qui prend le dessus, on a le peuple. Et, dans le même temps, les activités sur la glace sont nombreuses, différentes.

Outre le patinage, on a une variante du curling, ainsi qu’une sorte de golf sur la glace. Le mouvement que l’on voit avec chaque personnage est d’une rare éloquence. C’est un portrait vivant, avec une capacité magistrale au typique.

Certains regretteront le ton du tableau, son teint ocré, peu engageant peut-être. Mais telle est la réalité des Pays-Bas alors et, à l’inverse, on y gagne une tranquillité d’une remarquable expression.

La peinture a d’ailleurs eu un succès remarquable dès l’époque et a été maintes fois reproduites ensuite, par la famille de Bruegel, puis par la suite par différents peintres, ce qui fait qu’il est très difficile de les attribuer.

Il existe de ce fait encore un doute même quant à l’auteur de ce tableau précisément. Si la composition est celle de Bruegel, il est possible que cela soit une version postérieure réalisée par son fils Pieter Brueghel le Jeune.

Voici trois variantes. La première, dont l’auteur est inconnu, appartenait au roi du Danemark et de Norvège Christian IV, et faisait partie de la décoration du château de Rosenborg à Copenhague.

Les deux version suivantes sont attribués à Pieter Brueghel le Jeune. La première œuvre est aujourd’hui en Pologne, au musée national de Wrocław. La seconde œuvre a appartenu à la reine d’Espagne Élisabeth Farnèse et est aujourd’hui au musée du Prado, à Madrid.

Il y a maintenant la question de la trappe visant à capturer les oiseaux. Si les corvidés, très malins, restent plutôt à l’écart, tel n’est pas le cas des bouvreuils pivoines.

L’interprétation traditionnelle est la suivante. Les gens pensent à s’amuser à la première occasion. Or, cela peut s’avérer un piège, et leur âme peut être capturée par le diable aussi simplement que les oiseaux représentés, attirés par la nourriture disposée à leur attention.

C’est tout à fait conforme avec le protestantisme. Reste qu’il faut ajouter une dimension toujours oubliée : celle du rapport aux animaux. Et on a vu que Bruegel n’oublie jamais cette question. Cela provient d’une exigence, celle du réalisme, cependant également d’un véritable regard.

La naissance des villes s’associe immanquablement avec un rapport davantage conflictuel avec le monde animal. Il y a une contradiction flagrante : les gens s’amusent, alors qu’un peu plus loin, on cherche à tuer.

Le positif affronte le négatif, et cela au cœur même d’une peinture qui fait ressortir la tranquillité, la bonhomie.

L’humanité parvient à s’en sortir en hiver – et l’hiver 1564-1565 avait été particulièrement dur –, et pourtant, en parallèle, il y a une guerre contre des oiseaux qui eux aussi doivent affronter l’hiver. On a déjà la ville qui se referme sur elle-même.

Il y a là quelque chose qui est très lourd de sens, si l’on pense à ce que sont devenus les villes ensuite, avec leurs lumières permanentes, leurs pics anti-oiseaux, leurs grands immeubles et leurs grandes vitres qui sont autant de dangers meurtriers pour les oiseaux. On a dans le tableau l’annonciation d’une terrible guerre qui commence.


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