Le Comité central du Parti communiste d’Allemagne s’est réuni fin janvier. Il a fait le bilan de deux années de dictature hitlérienne et du travail effectué jusqu’ici par le parti. Sa principale conclusion, formulée dans une résolution adoptée le 30 janvier, est que si les communistes ont mené contre le fascisme une lutte héroïque sans précédent, il faut relever une faiblesse importante de l’ensemble du parti dans le travail de masses, notamment dans la politique du Front unique.
La détresse du peuple allemand fait se resserrer la base de masse de la dictature hitlérienne, dont les assassinats du 30 juin 1934 [Nuit des Longs Couteaux] marquent un premier ébranlement. Jusque dans les Sections d’assaut se manifeste une immense déception.
Cependant, la classe ouvrière n’a pas encore réussi à surmonter sa passivité, engendrée par la social-démocratie et à approfondir par des actions de masses la crise commençante de la dictature.
Aussi le Parti communiste doit-il accomplir un tournant audacieux dans sa politique révolutionnaire de masses, afin de développer les prémices de l’essor révolutionnaire pour le renversement de la dictature fasciste.
La résolution du C.C. insiste sur cette nécessité d’un tournant résolu.
Le Comité central appelle tous les membres du Parti à concentrer leurs forces sur le travail révolutionnaire de masses, sur l’établissement effectif du front unique prolétarien de lutte commune avec le prolétariat social-démocrate, sur la reconstruction des syndicats libres et le déploiement d’un large travail de masses au sein des organisations fascistes.
Ce travail doit être mené par la combinaison juste des méthodes de luttes illégales avec les méthodes semi-légales et légales.
Pour amener le renversement de la dictature hitlérienne, la tâche centrale du prolétariat est, par la conquête d’alliés dans toutes les couches du peuple travailleur, de dresser le front populaire antifasciste le plus large en vue de la révolution populaire pour une libre Allemagne socialiste des Soviets.
Le front unique Prolétarien est le rassemblement de tous les prolétaires communistes, social-démocrates et tous les ouvriers opposants dans les organisations fascistes.
Il est en premier lieu l’entente et la lutte commune des ouvriers et des organisations communistes et social-démocrates à l’entreprise et dans le Front du travail, partout où est possible le rassemblement et la mobilisation des masses pour la lutte en faveur de leurs revendications concrètes et contre le fascisme.
Pour l’établir, il faut avant tout s’adresser à toutes les unités d’entreprises, locales et régionales, afin de mener avec eux la résistance commune à toutes les attaques du patronat, d’organiser en commun les élections aux conseils de confiance et la reconstitution des syndicats libres, de lutter pour le soutien commun des victimes de la lutte antifasciste, pour la création de groupes d’opposition communs dans toutes les organisations fascistes de masses et pour la formation d’organisations de défense prolétarienne uniques contre la terreur fasciste.
Le P.C.A. salue comme membres et militants égaux tous les ouvriers ou militants social-démocrates qui s’enrôlent dans la cohorte de fer de la révolution prolétarienne en tant qu’adhérents du Parti communiste.
Le P.C.A. fait tous ses efforts pour conclure des accords avec tous les ouvriers et militants social-démocrates, leurs groupes et organisations, leurs directions régionales et centrales, en vue de la lutte commune pour les revendications journalières du prolétariat et contre le fascisme hitlérien.
Le Comité central a constaté que le mot d’ordre de reconstruction des syndicats libres n’a été que faiblement réalisé parce qu’il s’est heurté à de grandes résistances.
Le sectarisme s’est manifesté dans la tentative de ne prendre comme point de départ de l’organisation que les fédérations rouges ou les groupes d’O.S.R. [Opposition Syndicale Révolutionnaire, luttant à l’intérieur des syndicats réformistes depuis 1930]
Or, le fascisme n’a pas pu supprimer l’idée syndicale dans les esprits de millions d’ouvriers syndiqués conscients.
Ils sentent que l’organisation syndicale est indispensable à la résistance dans les usines, et de nombreux fonctionnaires des anciens syndicats réformistes pensent comme eux, se rendant compte que si la vieille C.G.T. a frayé la voie à l’établissement du fascisme, ce n’était pas la faute de l’organisation en elle-même, mais de la politique criminelle de ses chefs.
« Le C. C. du P.C.A, fait un devoir à toutes les comités du Parti de fonder partout des comités pour la reconstruction des syndicats libres, en commun avec les anciens membres et militants des syndicats, en utilisant tous les organismes déjà existants (commissions des salaires, commissions pour la protection du travail, etc.), ou de les soutenir.
Dans la reconstruction des syndicats libres, les fédérations rouges et groupes d’O.S.R. passent dans les organisations syndicales libres.
Là où des organisations pareilles existent déjà sous la direction réformiste, les communistes doivent y adhérer, y militer pour les objectifs de la lutte antifasciste de masses et y lutter pour l’établissement de l’unité syndicale. »
La reconstitution doit se faire à l’usine, en liaison avec la préparation et le déclenchement de luttes.
Le Front du travail, dans lequel sont entrés 7 millions d’ouvriers sur 15, dont la majorité sont d’anciens syndiqués libres ou chrétiens, peut lui servir de couverture, et il serait faux d’exiger des travailleurs qui veulent réorganiser les syndicats de sortir d’abord du Front du travail, comme le demandent les brandlériens.
« Ce sont précisément ces anciens ouvriers syndiqués qui nous donnent la possibilité de créer dans le Front du travail des groupements syndicaux qui serviront de cellules des syndicats libres reconstitués au sein du Front du travail.
Pour faciliter ce processus, même un grand nombre des fonctions subalternes du Front du travail peuvent être utilisées par les ouvriers révolutionnaires. Il n’y a pas de meilleure couverture pour la reconstitution des syndicats libres que précisément ce Front du travail.
En dehors du Front du travail, il serait, dans le meilleur des cas, possible de constituer seulement une mince organisation de cadres. Mais dans le Front du travail nous pouvons gagner des masses véritables, parce que nous avons la possibilité de gagner à l’idée syndicale les ouvriers d’organisations entières du Front du travail. »
Bien entendu, il faut observer dans ce travail toutes les règles de la conspiration.
L’année dernière, le fascisme éprouva un échec cuisant lors des élections aux « conseils de confiance » des entreprises. Étant donné le mécontentement des masses, il ne peut pourtant pas renoncer à ces organes qu’il veut utiliser dans un sens de pacification.
Le Dr Ley a donc fixé au 15 mars les nouvelles élections, dans une période de fêtes bruyantes et d’excitation chauvine consécutives au retour de la Sarre au Reich, dont il espère qu’elles effaceront les antagonismes de classes dans une ivresse générale.
Le parti doit utiliser cette campagne pour renforcer le front unique avec les masses social-démocrates et les anciens membres des syndicats pour développer un plus large travail de masses au sein du Front du travail.
Le Comité central avait adressé au Comité central de Prague du Parti social-démocrate des propositions de front unique dont voici les bases :
1. Les Comités centraux des deux partis recommanderont à leurs organisations d’entrer en contact dans les usines et les quartiers pour discuter et fixer en commun les tâches à exécuter. Pour diriger cette lutte, on créera des comités composés sur la base paritaire.
2. Les ouvriers et employés communistes et social-démocrates se mettront d’accord dans les usines et dans le Front du travail pour proposer des candidats possédant la confiance des ouvriers, pour les faire connaître, et sur les méthodes de combat à adopter pour les imposer, conformément aux conditions de l’illégalité.
3. Accord en vue de la publication en commun de matériel d’agitation pour les ouvriers, exigeant la convocation d’assemblées d’usines avec compte-rendu de mandat de l’ancien conseil de confiance et liberté de discussion, le droit pour les ouvriers de désigner leurs candidats et la garantie des élections libres et secrètes à l’aide d’un comité spécial élu par les ouvriers.
En outre, on propose la publication d’un appel commun du Comité central du Parti social-démocrate et du Comité central du P.C.A.
Le 14 février, la direction praguoise fit savoir qu’elle repoussait cette proposition. Elle abandonne sans combat le terrain aux Ley et consorts.
Elle n’est orientée que vers la collaboration avec les chefs du Centre, les généraux de la Reichswehr et des fractions des nationaux allemands, qui aspirent à constituer une base de masses pour une « réforme » du gouvernement hitlérien.
Mais la proposition de notre C.C. doit être connue des ouvriers et groupes social-démocrates du Reich. Dans des discussions avec eux les communistes fixeront le plan d’une campagne commune, désigneront des comités paritaires pour la diriger.
Que la décision des dirigeants de Prague ne corresponde pas à la volonté des ouvriers social-démocrates d’Allemagne, c’est ce qui est prouvé par le fait qu’au cours des dernières semaines un certain nombre d’accords régionaux ont été conclus entre les comités social-démocrates et communistes.
Un autre accord très important de ce genre a été conclu dans le district de la Basse-Saxe.
Le Comité local de la Basse-Saxe du P.C.A. a conclu des accords avec le « Comité pour l’unité prolétarienne » de la région, qui comprend plusieurs centaines de camarades du P.S. et du P.O.S.
Dans un appel adressé aux membres du P.S., du P.O.S. et du P.C.A., aux anciens syndiqués, aux sportifs et aux anciens membres du Front rouge et de la Reichsbanner, on déclare que ce n’est que de la force de la classe ouvrière que dépend la durée de l’existence du fascisme.
La résolution du Comité central se termine par un chapitre sur la consolidation bolchéviste du parti, par l’autocritique bolchéviste, l’élévation du niveau de sa vie intérieure et de l’éducation marxiste-léniniste de ses membres, l’initiative grandissante des échelons de base, l’élargissement des cadres, etc.
Elle demande une lutte renforcée sur deux fronts, pour la liquidation idéologique du sectarisme et l’accentuation de la vigilance révolutionnaire à l’égard de l’opportunisme et de l’esprit de conciliation.
« Le parti doit concentrer toutes ses forces contre le sectarisme, qui s’est manifesté particulièrement dans la résistance au front unique et à la reconstitution des syndicats libres, dans la discrimination insuffisante entre les chefs de droite et de gauche du PS.A., dans une appréciation pseudo-radicale de la situation et dans une sous-estimation de l’autocritique.
Les faiblesses et fautes sectaires ont encouragé les opportunistes de droite et les conciliateurs à renforcer leur travail hostile au Parti et à discréditer notre front unique prolétarien comme une orientation de droite.
Le Comité central appelle toutes les organisations du parti à combattre avec la plus grande fermeté et jusqu’aux mesures d’organisation les plus rigoureuses, les tentatives hostiles au Parti des conciliateurs qui, pour épargner leurs partisans, mènent une politique d’expectative et, au moyen du mot d’ordre désagrégateur de la « concentration » de toutes les forces, travaillent à renverser la direction du Parti formée sous la conduite du camarade Thaelmann. »