MATERIALISME HISTORIQUE ou conception matérialiste de l’histoire. Extension des principes du matérialisme dialectique à l’étude de la vie sociale ; application de ces principes aux phénomènes sociaux ; science des lois générales de l’évolution sociale.
Avant Marx, la conception idéaliste de l’histoire dominait dans la science. La théorie du matérialisme historique est le fruit de la grande découverte que fit Marx dans l’interprétation de l’histoire.
« De même que Darwin a découvert la loi du développement du monde organique, indique Engels, de même Marx a découvert celle du développement de l’histoire, ce simple fait, qui jusqu’à nos jours se dissimulait sous des voiles idéologiques, que les hommes doivent en premier lieu manger, boire, avoir un logis et des vêtements, avant d’être en mesure de s’occuper de politique, de sciences, d’art, de religion, etc. ;
que, par conséquent, la production des biens matériels de première nécessité, et par suite, chaque degré donné du développement économique d’un peuple ou d’une époque, forment la base sur laquelle se développent les institutions politiques, les conceptions juridiques, l’art, et même les idées religieuses des hommes, et d’où l’on doit partir, par conséquent, pour les expliquer, et non en sens inverse comme on le pratiquait jusqu’à présent » (Marx-Engels : Ausgewählte Schriften, Band II, M. 1950, S. 156).
Le développement des modes de production des biens matériels (V.) nécessaires à l’existence de l’homme — telle est la force essentielle qui détermine toute la vie sociale et conditionne le passage d’un régime social à un autre.
Aucune société ne peut exister sans produire des biens matériels. A l’aide des instruments de travail, l’homme agit sur la nature et se procure ce dont il a besoin. C’est de l’évolution de la production matérielle que dépend le progrès de la société.
L’histoire de la société commence à partir du moment où l’homme est parvenu à confectionner et à utiliser des instruments de production.
Plus le niveau des forces productives (V.) est élevé, et plus grande est la domination de l’homme sur la nature. Avec le progrès des forces productives, change le second aspect de la production matérielle — les rapports de production (V.), se transforme le régime économique et social.
Les nouveaux rapports de production qui surgissent sur la base des forces productives et qui leur correspondent pleinement, sont la condition principale et décisive qui détermine l’essor continu et impétueux des forces productives.
La succession des formations économiques et sociales dans l’histoire (la commune primitive, l’esclavage, le féodalisme, le capitalisme, le socialisme) signifie la substitution de rapports de production plus progressifs aux rapports de production donnés.
Cette succession est toujours la conséquence nécessaire de la loi du développement des forces productives de la société. L’établissement de nouveaux rapports de production s’effectue généralement par le renversement révolutionnaire des anciens rapports.
Le mérite de Marx et d’Engels, par conséquent, est d’avoir fixé leur attention, avant tout, sur les lois économiques de la vie sociale, sur les conditions objectives de la production matérielle, base de toute l’activité historique des hommes.
Avec le matérialisme historique, au chaos et à l’arbitraire qui régnaient « dans les conceptions de l’histoire et de la politique, succéda une théorie scientifique remarquablement cohérente et harmonieuse, qui montre comment, d’une forme d’organisation sociale, surgit et se développe, par suite de la croissance des forces productives, une autre forme, plus élevée, — comment par exemple, le capitalisme naît du féodalisme » (Lénine : Œuvres choisies en deux volumes, t. I, 1ère partie, M. 1954, p. 65).
Le matérialisme historique en a fini pour toujours avec les théories idéalistes pour qui l’histoire de la société est le résultat de l’activité désordonnée et arbitraire des individus, la résultante des volontés et des désirs des hommes.
L’évolution de la société, comme celle de la nature, n’est pas déterminée par des désirs subjectifs, mais par des lois objectives qui ne dépendent ni de la volonté ni de la conscience des hommes. Ceux-ci peuvent découvrir les lois objectives, les étudier, les connaître, en tenir compte dans leurs actes, les utiliser dans leur intérêt, limiter l’action de certaines et donner libre cours à d’autres, mais ils ne peuvent les modifier ou les abolir.
A plus forte raison ne peuvent-ils en créer de nouvelles. Ce qui fait la portée immense du matérialisme historique, c’est qu’il a découvert et expliqué les lois du développement social, et qu’il a armé ainsi le prolétariat et son parti de la connaissance des voies qui conduisent à la transformation révolutionnaire de la société.
Comme l’indique Lénine, la conception matérialiste de l’histoire a réduit les actions des individus aux actions des classes, dont la lutte détermine le développement de la société.
La production matérielle est donc le fondement de la vie et du devenir social : cette découverte a révélé le grand rôle créateur des masses laborieuses dans l’histoire ; ainsi fut démontré que l’histoire du développement social est celle des producteurs immédiats, des masses laborieuses, forces essentielles de la production des biens matériels, indispensables à l’existence de la société.
Le mode de production, la vie matérielle de la société conditionne le caractère d’un régime social, des institutions politiques, la mentalité des hommes, leurs opinions, leurs idées, leurs théories. L’existence sociale détermine la conscience sociale. Impossible de comprendre l’essence des institutions politiques, des idées, des théories, si l’on oublie leur origine matérielle — le régime économique de la société.
Impossible de comprendre pourquoi à telle époque apparaissent telles institutions politiques et telles idées, pourquoi à une autre époque en apparaissent d’autres si l’on part de ces institutions politiques et de ces idées elles-mêmes, et non de la base économique (V. Base et superstructure).
La conscience sociale, — opinions politiques, conceptions du droit et de l’art philosophie, religion et autres formes d’idéologie, — est fonction des rapports de production dominants et change radicalement avec la transformation de la base, du régime économique.
Tout en montrant que les institutions politiques, les idées, les théories tirent leur origine et dépendent de la base, la théorie du matérialisme historique ne nie aucunement leur importance considérable dans la vie sociale. A l’encontre du matérialisme économique qui réduit à néant le rôle des idées, le matérialisme historique en souligne le rôle immense.
Une fois surgies, les institutions sociales et politiques ainsi que les idées deviennent elles-mêmes une force agissant sur les conditions qui les ont engendrées.
Ou bien elles freinent le développement social, elles jouent le rôle de forces réactionnaires qui servent les couches et les classes retardataires de la société, ou bien elles contribuent au progrès en servant les classes avancées, révolutionnaires.
Grâce au matérialisme historique, la science de la société est devenue une science exacte à l’égal de la biologie. Le matérialisme historique a une grande importance pour l’activité pratique du parti communiste.
Pour ne pas se tromper en politique, le parti du prolétariat doit fonder son action non sur des principes abstraits, les « principes de la raison humaine », mais sur les conditions concrètes de la vie matérielle, sur les besoins réels de la société.
Dans la préface à son ouvrage « Contribution à la critique de l’économie politique », Marx a formulé l’essence du matérialisme historique :
« Dans la production sociale de leur existence, les hommes entrent en des rapports déterminés, nécessaires, indépendants de leur volonté ; ces rapports de production correspondent à un degré de développement donné de leurs forces productives matérielles.
L’ensemble de ces rapports de production constitue la structure économique de la société, la base réelle sur quoi s’élève une superstructure juridique et politique, et à laquelle correspondent des formes de conscience sociale déterminées.
Le mode de production de la vie matérielle conditionne le procès de vie social, politique et intellectuel en général. Ce n’est pas la conscience des hommes qui détermine leur existence ; c’est au contraire leur existence sociale qui détermine leur conscience.
A un certain stade de leur développement, les forces productives matérielles de la société entrent en contradiction avec les rapports de production existants, ou, ce qui n’en est que l’expression juridique, avec les rapports de propriété au sein desquels elles s’étaient mues jusqu’alors.
De formes de développement de forces productives qu’ils étaient, les rapports en deviennent des entraves. Alors s’ouvre une époque de révolutions sociales. Le changement de la base économique bouleverse plus ou moins lentement ou rapidement toute la formidable superstructure.
Lorsqu’on étudie ces bouleversements, il faut toujours distinguer entre le bouleversement matériel des conditions économiques — constaté avec une précision propre aux sciences naturelles, — et les formes juridiques, politiques, religieuses, artistiques ou philosophiques, bref, les formes idéologiques sous lesquelles les hommes prennent conscience de ce conflit et le mènent à bout.
De même qu’on ne juge un individu sur l’idée qu’il se fait de lui-même, de même on ne peut juger une telle époque de bouleversements sur sa conscience de soi ; il faut, au contraire, expliquer cette conscience par les contradictions de la vie matérielle, par le conflit qui existe entre les forces productives de la société et les rapports de production.
Une formation sociale ne disparaît jamais avant que soient développées toutes les forces productives auxquelles elle peut donner libre cours ; de nouveaux rapports de production, supérieurs aux anciens, n’apparaissent jamais avant que leurs conditions matérielles d’existence n’aient mûri au sein de la vieille société.
C’est pourquoi l’humanité ne se pose jamais que des problèmes qu’elle peut résoudre ; car, à regarder de plus près, il se trouvera toujours que le problème lui-même ne surgit que lorsque les conditions matérielles pour le résoudre existent déjà ou tout au moins sont en voie de devenir. »
La théorie du matérialisme historique, créée par Marx et Engels, a été développée et enrichie par Lénine et Staline, grâce à l’analyse des nouvelles conditions historiques à l’époque de l’impérialisme et des révolutions prolétariennes, à l’époque de l’édification du socialisme.
MATERIALISME MECANISTE. Une des étapes et formes de la philosophie matérialiste. Le matérialisme mécaniste tente d’expliquer tous les phénomènes de la nature par les lois de la mécanique et de ramener tous les processus naturels qualitativement différents (chimiques, biologiques, psychiques et autres) à des processus mécaniques.
Cette doctrine considère le mouvement non comme un changement en général, mais comme une simple translation des corps dans l’espace, due à l’action extérieure, au choc des corps entre eux.
Le matérialisme mécaniste nie les sources internes du mouvement des choses, leur changement qualitatif, les bonds dans le développement, le développement de l’inférieur au supérieur, du simple au complexe.
La philosophie de Démocrite (V.) contenait déjà des rudiments du matérialisme mécaniste qui s’épanouit au XVIIe et au XVIIIe siècle (Hobbes — V., Descartes — V., Spinoza — V., les matérialistes français et anglais du XVIIIe siècle).
Le matérialisme mécaniste était une étape nécessaire et progressiste de la philosophie matérialiste. Cette forme du matérialisme s’imposait du fait que parmi toutes les sciences, seules la mécanique et les mathématiques avaient atteint un niveau relativement élevé. Mais ceci explique également le caractère limité du matérialisme de l’époque.
Forts des réalisations des sciences de la nature. Marx et Engels ont dépassé les bornes mécanistes de l’ancien matérialisme et ont créé le matérialisme dialectique qui se distingue qualitativement de toutes les formes antérieures du matérialisme.
Le marxisme a toujours lutté résolument contre les tentatives de ressusciter le matérialisme mécaniste.
En Union Soviétique quelques mécanistes (L. Axelrod, Variach et d’autres) avaient tenté de réviser le matérialisme dialectique de leur point de vue. Ils défiguraient les données scientifiques, luttaient contre la dialectique marxiste et se ralliaient à l’idéalisme dans différents domaines, surtout en gnoséologie. (V. Théorie des hiéroglyphes.)
La philosophie mécaniste avec ses théories de l’ « équilibre » (V. Théorie de l’équilibre) et de la « spontanéité » a été utilisée par les ennemis du léninisme, les boukhariniens, les trotskistes et d’autres dans la lutte contre la ligne du parti communiste. Cette poignée de philosophes mécanistes fut dénoncée comme antimarxiste.
MATERIALISME METAPHYSIQUE. V. Matérialisme ; Métaphysique.