Mao Zedong
La situation et notre politique après la victoire
dans la guerre de résistance contre le Japon1
13 août 1945
Nous vivons des jours où d’énormes changements se produisent dans la situation en Extrême-Orient. La capitulation de l’impérialisme japonais est maintenant chose certaine. Le facteur décisif de la capitulation du Japon est l’entrée en guerre de l’Union soviétique. Un million de combattants de l’Armée rouge entrent dans la Chine du Nord-Est ; cette force est irrésistible. L’impérialisme japonais ne peut plus poursuivre le combat2. La dure et âpre Guerre de Résistance du peuple chinois vient d’être couronnée par la victoire. En tant qu’étape historique, la Guerre de Résistance contre le Japon est maintenant terminée.
Dans ces circonstances, quels sont actuellement les rapports entre les différentes classes en Chine et les rapports entre le Kuomintang et le Parti communiste ? Que deviendront-ils à l’avenir ? Quelle est la politique de notre Parti ? Ce sont là des questions auxquelles le peuple tout entier et tous les camarades de notre Parti portent un grand intérêt.
Qu’en est-il du Kuomintang ? Regardez ce qu’il a été et vous saurez ce qu’il est ; regardez ce qu’il a été et ce qu’il est et vous saurez ce qu’il sera. Dans le passé, ce parti a mené, durant dix années entières, une guerre civile contre-révolutionnaire. Au cours de la Guerre de Résistance, il a déclenché trois campagnes anticommunistes de grande envergure3, en 1940, 1941 et 1943, s’apprêtant chaque fois à développer la campagne en une guerre civile à l’échelle nationale. C’est uniquement grâce à la juste politique de notre Parti et à l’opposition du peuple tout entier que ces tentatives ont échoué. Chacun sait que Tchiang Kaï-chek, le représentant politique des grands propriétaires fonciers et de la grande bourgeoisie de Chine, est un individu des plus cruels et des plus perfides. Sa politique a été d’attendre la victoire en spectateur, les bras croisés, de conserver ses forces et de se préparer à la guerre civile. La victoire qu’il attendait est arrivée, et voilà que ce “généralissime” s’apprête à “descendre de la montagne”4. Ces huit dernières années, nous avons changé de place avec Tchiang Kaï-chek ; auparavant, nous étions sur la montagne et il était au bord de l’eau5; pendant la Guerre de Résistance, nous étions derrière les lignes ennemies et il s’était retiré sur la montagne. Maintenant, il va en descendre, il en descend pour s’emparer des fruits de la victoire.
Au cours des huit dernières années, le peuple et l’armée de nos régions libérées, sans aucune aide extérieure et en comptant uniquement sur leurs propres efforts, ont libéré de vastes territoires du pays, ont contenu et attaqué la majeure partie des forces d’invasion japonaises ainsi que la quasi-totalité des troupes fantoches. C’est grâce à notre résistance résolue et à notre lutte héroïque que les 200 millions d’habitants du grand-arrière6 ont pu échapper aux atrocités des envahisseurs nippons et que les régions habitées par ces 200 millions d’hommes ont pu être préservées de l’occupation japonaise. Tchiang Kaï-chek se tenait caché sur le mont Omei, une garde devant lui, et cette garde, c’était les régions libérées, le peuple et l’armée des régions libérées. En défendant les 200 millions d’hommes du grand-arrière, nous avons protégé par là même ce “généralissime” et nous lui avons donné le temps et l’espace nécessaires pour attendre la victoire en spectateur, les bras croisés. Le temps : huit ans et un mois. L’espace : une région peuplée de 200 millions d’habitants. Ces conditions, c’est nous qui les lui avons procurées. Sans nous, il n’aurait pu rester là, en spectateur. Eh bien, ce “généralissime” nous en est-il reconnaissant ? Lui, reconnaissant ? Non ! Cet individu n’a jamais su ce que c’est que la reconnaissance. Comment Tchiang Kaï-chek s’est-il hissé au pouvoir ? Grâce à l’Expédition du Nord7, à la première coopération entre le Kuomintang et le Parti communiste8, à l’appui du peuple qui ne l’avait pas encore percé à jour. Une fois au pouvoir, Tchiang Kaï-chek, loin d’en être reconnaissant au peuple, l’a étendu à terre d’un coup de poing et l’a plongé dans le bain de sang de dix années de guerre civile. Vous connaissez bien cette page de l’histoire, camarades. Cette fois-ci, dans la Guerre de Résistance, le peuple chinois a encore protégé Tchiang Kaï-chek. Maintenant, la guerre se termine par la victoire et le Japon est sur le point de capituler, mais Tchiang Kaï-chek n’en est nullement reconnaissant au peuple ; au contraire, feuilletant les vieilles annales de 1927, il veut agir selon les mêmes procédés qu’autrefois9. Il dit qu’il n’y a jamais eu de “guerre civile” en Chine, mais seulement une “extermination des bandits”. Qu’il appelle cela comme il voudra, le fait est qu’il veut déclencher une guerre civile contre le peuple, qu’il veut massacrer le peuple.
Tant que la guerre civile n’aura pas éclaté sur le plan national, bien des gens parmi le peuple et beaucoup de camarades de notre Parti n’auront pas une idée nette de cette question. Parce que la guerre civile n’a pas encore pris une grande extension, qu’elle ne présente pas encore le caractère d’une guerre généralisée ni d’une guerre ouverte et que les combats ne sont pas encore nombreux, beaucoup pensent : “Peut-être bien qu’il n’y aura pas de guerre civile, après tout !” Beaucoup d’autres ont peur de la guerre civile. Cette peur n’est pas sans fondement. Il y a eu dix ans de combats, puis encore huit ans de Guerre de Résistance. Si les combats continuent, où tout cela nous mènera-t-il ? Il est bien naturel que de telles craintes surgissent. En ce qui concerne les machinations de Tchiang Kaï-chek pour déclencher une guerre civile, la politique adoptée par notre Parti a toujours été nette et constante : s’opposer résolument à la guerre civile, condamner la guerre civile et empêcher la guerre civile. A l’avenir, nous devons encore, de toutes nos forces et avec la plus grande patience, guider le peuple dans ses efforts pour empêcher la guerre civile. Cependant, il faut voir d’un esprit lucide que le danger de guerre civile est extrêmement grave parce que la politique de Tchiang Kaï-chek est déjà arrêtée. La politique de Tchiang Kaï-chek, c’est la guerre civile. Notre politique, la politique du peuple, est contre la guerre civile. Les adversaires de la guerre civile ne comprennent que le Parti communiste chinois et le peuple chinois ; dommage que Tchiang Kaï-chek et le Kuomintang ne soient pas de leur nombre ! Ainsi, l’une des parties ne veut pas se battre et l’autre le veut. Si les deux parties ne le voulaient pas, il n’y aurait pas de guerre. Mais, puisque l’une des parties seulement est contre la guerre et que cette partie n’est pas encore assez forte pour tenir l’autre en échec, le danger de guerre civile est extrêmement grave.
Que Tchiang Kaï-chek s’obstine dans sa politique réactionnaire de dictature et de guerre civile, notre Parti l’a montré en temps opportun. Avant, pendant et après le VIIe Congrès du Parti10, nous avons fait tous les efforts nécessaires pour attirer l’attention du peuple sur le danger de guerre civile, afin que le peuple tout entier, les membres de notre Parti et notre armée, bien à l’avance, aient l’esprit préparé. C’est là un point très important, et il y a une grande différence entre avoir et ne pas avoir une telle préparation. En 1927, notre Parti était encore dans son enfance et il n’avait pas du tout l’esprit préparé face à l’attaque contre-révolutionnaire lancée à l’improviste par Tchiang Kaï-chek. Aussi les fruits de la victoire du peuple furent bientôt perdus, le peuple eut à endurer de longues souffrances et une Chine radieuse fut plongée dans les ténèbres. Cette fois, les choses sont différentes ; notre Parti a acquis la riche expérience de trois révolutions11 et atteint un degré bien plus élevé de maturité politique. Le Comité central du Parti a maintes fois mis en évidence le danger de guerre civile, de sorte que tout le peuple, tous les camarades du Parti et l’armée dirigée par le Parti y soient préparés.
Tchiang Kaï-chek cherche toujours à arracher au peuple la moindre parcelle de pouvoir, le moindre avantage conquis. Et nous ? Notre politique consiste à lui riposter du tac au tac et à nous battre pour chaque pouce de terre. Nous agissons de la même manière que lui. Tchiang Kaï-chek cherche toujours à imposer la guerre au peuple, une épée à la main gauche, une autre à la main droite. A son exemple, nous prenons, nous aussi, des épées. Ce n’est qu’à la suite d’enquêtes et de recherches que nous sommes arrivés à cela. De telles enquêtes et recherches sont très importantes. Quand nous voyons l’autre tenir quelque chose dans ses mains, nous devons procéder à une enquête. Que tient-il dans ses mains ? Des épées. A quoi servent les épées ? A tuer. Qui veut-il tuer avec ses épées ? Le peuple. Quand vous aurez tiré tout cela au clair, poussez plus loin votre enquête — le peuple chinois, lui aussi, a des mains, et peut prendre des épées. Il peut se forger une épée, s’il n’en a pas. Il a découvert cette vérité après de longues enquêtes et recherches. Les seigneurs de guerre, les propriétaires fonciers, les despotes locaux, les mauvais hobereaux et les impérialistes, tous ont des épées à la main et sont prêts à tuer. Le peuple a compris cela, il agit donc de la même façon. Certains d’entre nous négligent souvent ces enquêtes et ces recherches. Tchen Tou-sieou12, par exemple, ne comprenait pas que l’on puisse tuer quand on a une épée à la main. Certains diront : c’est là une vérité banale, comment un dirigeant du Parti communiste a-t-il pu l’ignorer ? On ne sait jamais. N’ayant fait ni enquêtes ni recherches, Tchen Tou-sieou n’a pas compris cette vérité, nous l’avons donc appelé opportuniste. Qui n’a fait ni enquêtes ni recherches n’a pas droit à la parole et, par conséquent, nous avons privé Tchen Tou-sieou de ce droit. Nous avons adopté une voie différente de celle de Tchen Tou-sieou et nous avons fait en sorte que le peuple, qui subit l’oppression et le massacre, prenne l’épée en main. Si quelqu’un cherche encore à nous tuer, nous agirons à sa manière. Il n’y a pas longtemps, le Kuomintang envoya six divisions attaquer notre sous-région de Kouantchong; trois d’entre elles y pénétrèrent et occupèrent une superficie de 20 lis de profondeur sur 100 de long. Nous avons agi à leur façon et nous les avons anéanties intégralement, radicalement et totalement sur cette superficie de 20 lis sur 10013. Notre politique est de riposter du tac au tac et de nous battre pour chaque pouce de terre ; jamais nous ne permettrons au Kuomintang de s’emparer sans peine de notre sol ni de tuer les nôtres à sa guise. Evidemment, se battre pour chaque pouce de terre ne signifie pas adopter la ligne gauchiste d’autrefois : “ne pas abandonner un seul pouce de terre des bases d’appui”14. Cette fois, nous avions abandonné une superficie de 20 lis sur 100. Abandonnée vers la fin de juillet, elle fut reprise au début d’août. Après l’Incident de l’Anhouei du Sud15, l’officier d’état-major envoyé par le Kuomintang pour la liaison me demanda un jour ce que nous comptions faire. Je répondis : “Vous êtes tout le temps à Yenan et vous ne le savez pas ? ‘Si Ho nous attaque, nous l’attaquerons. Si Ho s’arrête, nous nous arrêterons’16.” Le nom de Tchiang Kaï-chek ne fut pas prononcé à l’époque, mais seulement celui de Ho Ying-kin. Nous disons aujourd’hui : “Si Tchiang nous attaque, nous l’attaquerons. Si Tchiang s’arrête, nous nous arrêterons.” Nous agirons de la même manière que lui. Et comme Tchiang Kaï-chek affile maintenant ses épées, nous devons affiler les nôtres aussi.
Les droits conquis par le peuple ne doivent jamais être abandonnés à la légère, il faut se battre pour les défendre. Nous ne voulons pas la guerre civile. Cependant, si Tchiang Kaï-chek tient absolument à l’imposer au peuple chinois, force nous est de prendre les armes et de le combattre, pour nous défendre, pour protéger la vie et les biens, les droits et le bonheur du peuple des régions libérées. Cette guerre civile, il nous l’aura imposée. Si nous ne gagnons pas la guerre, nous ne nous en prendrons ni au Ciel ni à la Terre, mais seulement à nous-mêmes. Que, cependant, personne ne pense pouvoir dépouiller ou frustrer sans peine le peuple des droits qu’il a conquis. Ce n’est pas possible. L’année dernière, un journaliste américain m’a demandé : “Qui vous a donné le pouvoir d’agir ?” Je lui ai répondu : “Le peuple.” Qui d’autre, sinon le peuple ? Le Kuomintang au pouvoir ne nous l’a pas donné. Il ne nous reconnaît pas. C’est à titre d’“organisation culturelle” que nous participons au Conseil politique national17, comme le stipule son règlement. Nous disons : nous ne sommes pas une “organisation culturelle”, nous avons une armée et nous sommes une “organisation militaire”. Tchiang Kaï-chek a déclaré, le 1er mars de cette année, que le Parti communiste ne pourrait obtenir un statut légal que s’il livrait son armée. La déclaration de Tchiang Kaï-chek tient toujours. Nous n’avons pas livré notre armée, nous n’avons donc pas de statut légal et nous n’avons “ni foi ni loi”. Notre devoir, c’est d’être responsables envers le peuple. Chacune de nos paroles, chacun de nos actes et chacune de nos mesures politiques doivent répondre aux intérêts du peuple, et si des erreurs sont commises, elles devront être corrigées ; c’est ce qu’on appelle être responsable envers le peuple. Camarades ! Le peuple veut la libération ; aussi délègue-t-il son pouvoir à ceux qui sont capables de le représenter et de travailler loyalement pour lui, c’est-à-dire à nous, les communistes. Représentants du peuple, nous devons le représenter dignement, nous ne devons pas agir comme Tchen Tou-sieou. Face aux attaques contre-révolutionnaires lancées contre le peuple, Tchen Tou-sieou n’adopta pas la politique de riposter du tac au tac et de se battre pour chaque pouce de terre ; si bien qu’en 1927, dans l’espace de quelques mois, il ft perdre au peuple tous les droits que celui-ci avait conquis. Cette fois-ci, nous devons être sur nos gardes. Notre politique diffère absolument de celle de Tchen Tou-sieou ; nous ne nous laisserons prendre à aucune tromperie. Nous devons garder l’esprit lucide et avoir une politique juste ; nous ne devons pas commettre d’erreurs.
A qui doivent revenir les fruits de la victoire dans la Guerre de Résistance ? Cela saute aux yeux. Prenez, par exemple, un pêcher. L’arbre donne des pêches, ce sont les fruits de la victoire. Qui est en droit de cueillir les pêches ? C’est demander qui a planté et arrosé l’arbre. Terré dans la montagne, Tchiang Kaï-chek n’a pas porté un seul seau d’eau et, maintenant, il allonge bien loin le bras pour cueillir les pêches. “Ces pêches m’appartiennent, à moi, Tchiang Kaï-chek, dit-il, je suis le propriétaire foncier, vous êtes mes serfs, et je vous défends de les cueillir.” Nous l’avons réfuté dans la presse18. Nous disons : “Tu n’as jamais porté d’eau, donc tu n’as pas le droit de cueillir les pêches. Nous, peuple des régions libérées, nous avons arrosé l’arbre jour après jour, nous avons plus que quiconque le droit de récolter les fruits.” Camarades ! La victoire de la Guerre de Résistance a été remportée par le peuple au prix de son sang et de ses sacrifices, elle doit être la victoire du peuple et c’est au peuple que doivent revenir les fruits de la Guerre de Résistance. Quant à Tchiang Kaï-chek, il a été passif dans la Guerre de Résistance, mais actif dans la lutte contre le communisme ; il a été la pierre d’achoppement dans la Guerre de Résistance du peuple. Et maintenant c’est lui, la pierre d’achoppement, qui vient accaparer les fruits de la victoire ; il veut que la Chine, après sa victoire dans la Guerre de Résistance, retombe dans son ancien état d’avant la guerre et il ne lui permet pas le moindre changement. C’est ce qui donne lieu à la lutte. Camarades ! C’est une lutte des plus sérieuses.
Que les fruits de la victoire dans la Guerre de Résistance doivent revenir au peuple, c’est une chose ; mais qui les aura en fin de compte, et si ce sera le peuple ou non, c’est une autre chose. N’allez pas croire que tous les fruits de la victoire tomberont sûrement dans les mains du peuple. Tout un lot de grosses pêches, telles que Changhaï, Nankin, Hangtcheou et d’autres grandes villes, sera enlevé par Tchiang Kaï-chek. Celui-ci agit de connivence avec l’impérialisme américain, et dans ces régions, ils ont le dessus, tandis que, jusqu’ici, le peuple révolutionnaire n’a pu en occuper, pour l’essentiel, que les campagnes. Un autre lot de pêches sera disputé par les deux parties. Il s’agit des villes, moyennes et petites, situées sur la section au nord de Taiyuan de la ligne ferroviaire Tatong-Poutcheou, sur la section centrale de la ligne Peiping-Soueiyuan, sur la ligne Peiping-Liaoning, sur la section au nord de Tchengtcheou de la ligne Peiping-Hankeou, sur la ligne Tchengting-Taiyuan, la ligne Paikouei-Tsintcheng19, la ligne Tehtcheou-Chekiatchouang, la ligne Tientsin-Poukeou, la ligne Tsingtao-Tsinan et sur la section à l’est de Tchengtcheou de la ligne Longhai. Ces villes, moyennes et petites, devront être disputées ; ce sont les pêches, moyennes et petites, que le peuple des régions libérées a arrosées de sa sueur et de son sang. Il est difficile de dire en ce moment si ces lieux tomberont dans les mains du peuple. A présent, on ne peut dire que ces deux mots : lutter ferme. Y a-t-il des secteurs qui tomberont sûrement dans les mains du peuple ? Oui, il y en a. Ce sont les vastes régions rurales et les nombreuses villes du Hopei, du Tchahar et du Jéhol20, de la majeure partie du Chansi, de tout le Chantong et du nord du Kiangsou ; il y a là de vastes ensembles de villages, une centaine de villes groupées dans une région, 70 à 80 dans une autre, 40 à 50 dans une troisième — en tout 3, 4, 5 ou 6 groupes de ce genre. De quelle sorte de villes s’agit-il ? De villes moyennes et petites. Nous avons la force de cueillir ces fruits de la victoire, nous en sommes sûrs. Ce sera la première fois dans l’histoire de la révolution chinoise que nous aurons un tel lot de fruits. Dans le passé, ce n’est qu’après avoir brisé la troisième campagne “d’encerclement et d’anéantissement” de l’ennemi21, dans la seconde moitié de l’année 1931, que nous avons eu les 21 chefs-lieux de district22 d’un seul tenant dans la Région de base centrale du Kiangsi, mais on n’y comptait aucune ville de moyenne importance. Avec ce groupe de 21 petites villes, la population atteignit, à son maximum,2.500.0 habitants. En ne s’appuyant que sur cela, le peuple chinois a pu poursuivre une lutte d’une aussi longue durée, remporter de si grandes victoires et briser des campagnes “d’encerclement et d’anéantissement” d’une telle envergure. Plus tard, nous avons subi la défaite, que nous devons imputer non à Tchiang Kaï-chek mais à nous-mêmes qui n’avons pas assez bien combattu. Cette fois-ci, des dizaines de grandes et de petites villes se trouvent groupées dans une seule région et il existe 3, 4, 5 ou 6 régions de cet ordre. Le peuple chinois disposera donc de 3, 4, 5 ou 6 bases révolutionnaires, dont chacune sera plus grande que la Région de base centrale du Kiangsi, et la situation sera excellente pour la révolution chinoise.
A envisager la situation dans son ensemble, l’étape de la Guerre de Résistance contre le Japon est terminée et la lutte intérieure constitue la situation nouvelle et notre nouvelle tâche. Tchiang Kaï-chek parle de “construction nationale”. Désormais, l’objet de la lutte sera le genre de pays à édifier. Edifier un pays de démocratie nouvelle, des larges masses populaires, placé sous la direction du prolétariat, ou un pays semi-colonial et semi-féodal soumis à la dictature des grands propriétaires fonciers et de la grande bourgeoisie ? Ce sera là une lutte fort complexe. Elle revêt, à l’heure actuelle, la forme d’une lutte entre Tchiang Kaï-chek, qui cherche à usurper les fruits de la victoire de la Guerre de Résistance, et nous, qui nous opposons à cette usurpation. Au cours de cette période, ne pas lutter ferme et aller faire cadeau à Tchiang Kaï-chek des fruits qui doivent revenir au peuple serait de l’opportunisme.
Une guerre civile, ouverte et générale, éclatera-t-elle ? Cela dépend de facteurs intérieurs et internationaux. Les facteurs intérieurs sont avant tout notre force et le degré de notre conscience politique. Etant donné la tendance générale de la situation à l’extérieur et à l’intérieur du pays et les sentiments du peuple, pouvons-nous, par nos propres luttes, circonscrire la guerre civile ou retarder le déclenchement d’une guerre civile à l’échelle nationale ? Cette possibilité existe.
Si Tchiang Kaï-chek tient à déchaîner la guerre civile, il se heurtera à de nombreuses difficultés. En premier lieu, il y a, dans les régions libérées, 100 millions d’habitants, un million de soldats et plus de 2 millions d’hommes de la milice populaire. En second lieu, la population politiquement consciente des régions contrôlées par le Kuomintang est contre la guerre civile, ce qui constitue une entrave pour Tchiang Kaï-chek. En troisième lieu, au sein du Kuomintang, il y a aussi une fraction qui n’est pas pour la guerre civile. La situation actuelle diffère considérablement de celle de 1927. Surtout, notre Parti se trouve aujourd’hui dans des conditions bien différentes. A cette époque, notre Parti était encore dans son enfance, il manquait de lucidité, n’avait pas l’expérience de la lutte armée et ne connaissait pas la politique de riposter du tac au tac. Aujourd’hui, la conscience politique de notre Parti est d’un niveau beaucoup plus élevé.
A part notre propre conscience politique, conscience politique de l’avant-garde du prolétariat, il y a la question de la conscience politique des masses populaires. Lorsque le peuple n’est pas encore politiquement conscient, il est tout à fait possible que les fruits de la révolution passent en d’autres mains. C’est ce qui est arrivé dans le passé. Aujourd’hui, la conscience politique du peuple chinois est également d’un niveau beaucoup plus élevé. Le prestige de notre Parti n’a jamais été aussi grand parmi le peuple. Cependant, au sein du peuple, et tout particulièrement parmi la population des régions occupées par les Japonais ou contrôlées par le Kuomintang, un assez grand nombre de gens ont encore confiance en Tchiang Kaï-chek et se font des illusions sur le Kuomintang et les États-Unis, illusions que Tchiang Kaï-chek s’évertue de son côté à répandre. Que cette partie du peuple chinois manque encore de conscience politique, cela montre qu’il reste beaucoup à faire dans notre travail de propagande et d’organisation. Le réveil politique du peuple n’est pas chose facile. Pour débarrasser le peuple de ses idées erronées, il nous faut faire des efforts sérieux et considérables. Nous devons balayer ce qu’il y a d’arriéré dans la pensée du peuple chinois, comme nous balayons nos chambres. La poussière ne s’en va jamais d’elle-même sans qu’on la balaye. Nous devons effectuer un vaste travail de propagande et d’éducation parmi les masses populaires, afin qu’elles connaissent la situation réelle et la marche des événements en Chine et qu’elles prennent confiance dans leur propre force.
Le peuple, c’est à nous de l’organiser. C’est à nous de l’organiser pour abattre la réaction en Chine. Tout ce qui est réactionnaire est pareil : tant qu’on ne le frappe pas, impossible de le faire tomber. C’est comme lorsqu’on balaie : là où le balai ne passe pas, la poussière ne s’en va pas d’elle-même. Au sud de la région frontière du Chensi-Kansou-Ninghsia, il est une rivière nommée Kiétse. Au sud de la rivière se trouve le district de Louotchouan, et au nord le district de Fouhsien. Deux rives, deux mondes. Le sud est sous la domination du Kuomintang ; comme nous n’y sommes pas allés, le peuple n’est pas organisé et les ordures s’y accumulent. Certains de nos camarades se fient uniquement à l’influence politique, s’imaginant que les problèmes peuvent être résolus par cette seule influence. C’est de la foi aveugle. En 1936, nous étions à Paoan23. A 40 ou 50 lis de là, il y avait un village fortifié, tenu par un propriétaire foncier despote. Paoan était alors le siège du Comité central du Parti et notre influence politique pouvait être considérée comme très grande, mais les contre-révolutionnaires de ce village refusaient obstinément de se rendre. Nous avons donné des coups de balai au sud, des coups de balai au nord, mais ce fut en vain. C’est seulement quand notre balai se porta au cœur du village que le propriétaire foncier s’écria : “Oh ! Là ! là ! j’abandonne24 !” Ainsi vont les choses dans ce monde. Les cloches ne sonnent pas si on ne les met pas en branle. Les tables ne bougent pas si on ne les déplace pas. Le Japon ne capitulerait pas si l’Armée rouge de l’Union soviétique n’était pas entrée dans la Chine du Nord-Est. Les troupes japonaises et les troupes fantoches ne déposeraient jamais les armes si nos troupes ne les combattaient pas. L’influence politique ne peut produire son plein effet que là où passe le balai. Notre balai, c’est le Parti communiste, la VIIIe Armée de Route et la Nouvelle IVe Armée. Balai en main, vous devez apprendre à balayer ; ne restez pas au lit à vous imaginer qu’un coup de vent va se lever et fera s’envoler toute la poussière. Nous, marxistes, nous sommes des réalistes révolutionnaires et nous ne nous bercerons jamais d’illusions. Il y a en Chine un vieux dicton : “Lève-toi dès l’aube et balaie la cour25.” L’aube, c’est la naissance d’un jour nouveau. Nos ancêtres nous ont dit de nous lever et de balayer dès le point du jour. Ils nous ont fixé une tâche. C’est seulement en pensant et en agissant de la sorte que nous y trouverons notre avantage et que nous aurons de quoi nous occuper. La Chine a un vaste territoire et c’est à nous de le balayer partout, pouce par pouce.
Sur quelle base notre politique doit-elle reposer ? Sur notre propre force : c’est ce qui s’appelle compter sur ses propres forces. Certes, nous ne sommes pas seuls, tous les pays et tous les peuples du monde en lutte contre l’impérialisme sont nos amis. Cependant, nous insistons sur la nécessité de compter sur nos propres forces. En nous appuyant sur les forces que nous avons nous-mêmes organisées, nous pouvons vaincre tous les réactionnaires chinois et étrangers. Tchiang Kaï-chek, au contraire, s’appuie entièrement sur l’aide de l’impérialisme américain qu’il considère comme son puissant protecteur. Sa politique s’est toujours fondée sur la trinité de la dictature, de la guerre civile et de la mise à l’encan du pays. L’impérialisme américain veut aider Tchiang Kaï-chek à faire la guerre civile et veut transformer la Chine en une dépendance des États-Unis ; cette politique aussi fut arrêtée il y a bien longtemps. Mais, fort en apparence, l’impérialisme américain est faible intérieurement. Nous devons garder un esprit clair, c’est-à-dire ne pas croire aux “belles paroles” des impérialistes ni nous laisser intimider par leurs menaces. Un Américain m’a dit un jour : “Vous devriez écouter Hurley et faire entrer quelques-uns des vôtres dans le gouvernement du Kuomintang26.” Je lui ai répondu : “Ce n’est pas tâche facile que de remplir une fonction quand on a pieds et poings liés; nous ne le ferons pas. Si nous le faisons, nous devrons avoir pieds et poings libres et pouvoir agir en toute liberté, c’est-à-dire qu’il faut constituer un gouvernement de coalition sur une base démocratique.” Il m’a dit : “Ce ne sera pas bien si vous ne le faites pas.” Je lui ai demandé : “Et pourquoi ?” Il a dit : “Premièrement, les Américains vous blâmeront ; deuxièmement, les Américains soutiendront Tchiang Kaï-chek.” J’ai répondu : “Vous autres Américains, si vous voulez, repus de pain et rassasiés de sommeil, blâmer les gens et soutenir Tchiang Kaï-chek, c’est votre affaire et je ne m’en mêlerai pas. Maintenant, ce que nous avons, c’est du millet plus des fusils ; ce que vous avez, c’est du pain plus des canons. Si vous avez envie de soutenir Tchiang Kaï-chek, soutenez-le, et aussi longtemps que vous le voudrez. Mais retenez bien ceci : A qui appartient la Chine ? La Chine n’appartient absolument pas à Tchiang Kaï-chek, la Chine est au peuple chinois. Le jour viendra où il ne vous sera plus possible de soutenir Tchiang Kaï-chek.” Camarades ! Cet Américain cherchait à intimider les gens. Les impérialistes excellent dans ce jeu-là et, en effet, dans les colonies, beaucoup de gens se sont laissé intimider. Les impérialistes pensent que dans les colonies tout le monde peut être intimidé, mais ils ne se rendent pas compte qu’en Chine il y a justement des gens que ce jeu-là n’effraye pas. Nous avons, dans le temps, ouvertement critiqué et dénoncé la politique américaine qui consiste à aider Tchiang Kaï-chek et à combattre les communistes ; cela était nécessaire et nous continuerons à le faire.
L’Union soviétique a envoyé ses troupes, l’Armée rouge est venue aider le peuple chinois à chasser l’agresseur ; un tel événement est sans précédent dans l’histoire de la Chine. Son influence est incalculable. Les organismes de propagande des États-Unis et de Tchiang Kaï-chek comptaient balayer l’influence politique de l’Armée rouge avec deux bombes atomiques27. Mais elle ne peut être balayée ; cela n’est pas si facile. Les bombes atomiques peuvent-elles décider de l’issue d’une guerre ? Non, elles ne le peuvent pas. Les bombes atomiques n’ont pu contraindre le Japon à capituler. Sans les luttes menées par le peuple, les bombes atomiques à elles seules restent vaines. Si les bombes atomiques avaient pu décider de la guerre, pourquoi donc était-il besoin de demander à l’Union soviétique d’envoyer des troupes ? Pourquoi le Japon n’a-t-il pas capitulé quand deux bombes atomiques ont été jetées sur lui, alors qu’il a fait sa capitulation aussitôt après l’envoi de troupes par l’Union soviétique ? Certains de nos camarades croient eux aussi que la bombe atomique est toute-puissante ; c’est une grosse erreur. Ces camarades montrent même moins de jugement qu’un pair d’Angleterre. Il est un pair d’Angleterre nommé Mountbatten. Il a dit que la pire des erreurs serait de croire que la bombe atomique peut décider de la guerre28. Ces camarades retardent plus que Mountbatten. Quelle influence leur a fait prendre la bombe atomique pour quelque chose de miraculeux ? L’influence bourgeoise. D’où vient-elle ? De l’éducation qu’ils ont reçue dans les écoles bourgeoises, de la presse et des agences d’information bourgeoises. Il y a deux conceptions du monde et deux méthodes : la conception du monde et la méthode prolétariennes, la conception du monde et la méthode bourgeoises. Souvent ces camarades restent attachés à la conception du monde et à la méthode bourgeoises tandis qu’ils laissent dans l’oubli la conception du monde et la méthode prolétariennes. La théorie “les armes décident de tout”, le point de vue purement militaire, un style de travail bureaucratique coupé des masses, l’esprit individualiste et ainsi de suite, tout cela, ce sont des influences bourgeoises dans nos rangs. Nous devons fréquemment les balayer de nos rangs, tout comme nous balayons la poussière.
L’entrée en guerre de l’Union soviétique a décidé de la capitulation du Japon et la situation en Chine aborde une période nouvelle. Entre la Guerre de Résistance et la nouvelle période, il y a une étape de transition. Au cours de celle-ci, la lutte consiste à s’opposer à Tchiang Kaï-chek qui usurpe les fruits de la victoire remportée dans la Guerre de Résistance. Tchiang Kaï-chek veut déclencher une guerre civile à l’échelle nationale et sa politique est bien arrêtée ; à cela, nous devons être préparés. Quel que soit le moment où éclatera cette guerre civile, nous devons nous tenir prêts. Pour le cas où elle arriverait tôt, mettons demain matin, nous devons aussi être prêts. C’est là le premier point. En raison de la situation internationale et intérieure actuelle, il est possible que la guerre civile soit circonscrite pendant un temps et qu’elle garde provisoirement un caractère local. C’est le deuxième point. Le point un, c’est ce à quoi nous devons nous préparer ; le point deux, c’est ce qui existe depuis longtemps. Bref, tenons-nous prêts. Etant prêts, nous pourrons faire face, comme il convient, à toutes les situations, si complexes qu’elles puissent être.