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Dans Le guide des égarés, Maïmonide (ou « Rambam ») expose trois conceptions de la prophétie. La première conception, que le Rambam rejette, est celle des païens qui pensent que Dieu choisit un homme pour lui faire porter un message.
Or, cela signifie que Rambam rejette le fait d’un « choix » et qu’il est obligé d’accepter la conception prophétique du « reflet » qu’on trouve chez Al Farabi, Avicenne et Averroès… Et Rambam le reconnaît lui-même ; il puise ouvertement dans Aristote.
Voici ce qu’il dit :
« La deuxième opinion est celle des philosophes, à savoir que la prophétie est une certaine perfection (existant) dans la nature humaine ; mais que l’individu humain n’obtient cette perfection qu’au moyen de l’exercice, qui fait passer à l’acte ce que l’espèce possède en puissance, à moins qu’il n’y soit mis obstacle par quelque empêchement tenant au tempérament ou par quelque cause extérieure.
Car, toutes les fois que l’existence d’une perfection n’est que possible dans une certaine espèce, elle ne saurait exister jusqu’au dernier point dans chacun des individus de cette espèce, mais il faut nécessairement (qu’elle existe au moins) dans un individu quelconque ; et si cette perfection est de nature à avoir besoin d’une cause déterminante pour se réaliser, il faut une telle cause.
Selon cette opinion, il n’est pas possible que l’ignorant devienne prophète, ni qu’un homme sans avoir été prophète la veille le soit (subitement) le lendemain, comme quelqu’un qui fait une trouvaille.
Mais voici, au contraire, ce qu’il en est : si l’homme supérieur, parfait dans ses qualités rationnelles et morales, possède en même temps la faculté imaginative la plus parfaite et s’est préparé de la manière que tu entendras (plus loin), il sera nécessairement prophète, car c’est là une perfection que nous possédons naturellement.
Il ne se peut donc pas, selon cette opinion, qu’un individu, étant propre à la prophétie et s’y étant préparé, ne soit pas un prophète, pas plus qu’il ne se peut qu’un individu d’un tempérament sain se nourrisse d’une bonne nourriture, sans qu’il en naisse un bon sang et autres choses semblables.
La troisième opinion, qui est celle de notre Loi et un principe fondamental de notre religion, est absolument semblable à cette opinion philosophique, à l’exception d’un seul point.
En effet, nous croyons que celui qui est propre à la prophétie et qui y est préparé peut pourtant ne pas être prophète, ce qui dépend de la volonté divine. »
Et plus loin, de manière tout à fait aristotélicienne :
« Sache que la prophétie, en réalité, est une émanation de Dieu, qui se répand, par l’intermédiaire de l’intellect actif, sur la faculté rationnelle d’abord, et ensuite sur la faculté imaginative ; c’est le plus haut degré de l’homme et le terme de la perfection à laquelle son espèce peut atteindre, et cet état est la plus haute perfection de la faculté imaginative. »
Et enfin, de manière totalement similaire à Avicenne :
« Tu connais aussi les actions de cette faculté imaginative, consistant à garder le souvenir des choses sensibles, à les combiner, et, ce qui est (particulièrement) dans sa nature, à retracer (les images) ; son activité la plus grande et la plus noble n’a lieu que lorsque les sens se reposent et cessent de fonctionner, c’est alors qu’il lui survient une certaine inspiration, (qui est) en raison de sa disposition, et qui est la cause des songes vrais et aussi celle de la prophétie. Elle ne diffère que par le plus et le moins, et non par l’espèce. »
Et plus loin encore, de manière encore une fois parfaitement conforme à ce que dit Avicenne (sauf pour la troisième partie de son exposé) :
« Cela étant, il faut que tu saches que, si cette émanation de l’intellect (actif) se répand seulement sur la faculté rationnelle (de l’homme), sans qu’il s’en répande rien sur la faculté imaginative [soit parce que l’émanation elle-même est insuffisante, soit parce que la faculté imaginative est défectueuse dans sa formation primitive, de sorte qu’elle est incapable de recevoir l’émanation de l’intellect], c’est là (ce qui constitue) la classe des savants qui se livrent à la spéculation.
Mais si cette émanation se répand à la fois sur les deux facultés, je veux dire sur la rationnelle et sur l’imaginative [comme nous l’avons exposé et comme l’ont aussi exposé d’autres parmi les philosophes], et que l’imaginative a été créée primitivement dans toute sa perfection, c’est là (ce qui constitue) la classe des prophètes.
Si, enfin, l’émanation se répand seulement sur la faculté imaginative, et que la faculté rationnelle reste en arrière, soit par suite de sa formation primitive, soit par suite du peu d’exercice, c’est (ce qui constitue) la classe des hommes d’État qui font les lois, des devins, des augures et de ceux qui font des songes vrais ; et de même, ceux qui font des miracles par des artifices extraordinaires et des arts occultes, sans pourtant être des savants, sont tous de cette troisième classe. »
On a donc Maïmonide reconnaissant le « reflet », mais attribuant cela non pas à une impression de l’intellect dans l’esprit, comme le fait Averroès, mais comme une captation d’une émanation divine.
Au lieu de pousser Aristote jusqu’au bout, Maïmonide en revient à Platon, au « un » et ses « émanations », qu’il considère même comme étant faites par un Dieu « conscient », « pensant ».