[Article publié pour la première fois dans la revue Crise n° 37]
Nous avons dit en 2020 que la pandémie avait ouvert la seconde crise générale du capitalisme, et que désormais les deux mots clefs étaient restructuration et guerre. Le conflit militaire généralisé en Ukraine, que nous avons annoncé six mois avant son commencement, a été compris par tout le monde comme significatif, car il ne s’est toujours pas arrêté.
Néanmoins, il y avait encore l’espoir parmi la quasi-totalité des gens en Europe que les digues n’étaient pas toutes tombées, que la guerre n’était pas encore réellement présente, que l’on pouvait la repousser. Les événements au Moyen-Orient rendent caduc de tels espoirs. Même s’il est toujours juste de souhaiter la paix, il faut pourtant bien être réaliste quant à la réalité et à la bataille pour le repartage du monde.
Car, qui est-ce qui est décisif en juin 2025, sur ce plan ? Qu’Israël a attaqué du jour au lendemain l’Iran, avec des séries ininterrompues d’opérations de frappes au moyen de son aviation militaire. Le droit international bourgeois a sauté en éclats.
Et lorsque, une semaine plus tard, l’armée américaine est elle-même intervenue pour procéder à des frappes contre des installations nucléaires, là tous les cadres ont été littéralement pulvérisés. Attaquer des installations atomiques ! Même si le risque de radiation à la suite de ces attaques était faible (mais certainement pas nul), on est là dans l’affirmation directe de la puissance impérialiste, aux dépens de toute notion élémentaire de droit bourgeois.
Pour dire les choses simplement, il n’y a plus de règles qui tiennent. On le voit, d’ailleurs, avec l’action israélienne à Gaza, puisque la famine est employée comme acte de guerre, les brutalités et la torture ayant également été employées à l’encontre des Palestiniens à la suite du 7 octobre 2023.
L’attaque du 7 octobre 2023 fut elle-même barbare, d’une stupidité politique en plus d’être criminelle, et seuls des étudiants occidentaux gauchistes ou des nationalistes arriérés du tiers-monde peuvent y voir un acte de « résistance ».
On est là en plein retour dans la barbarie, et dans une telle situation, faut-il avoir de l’espoir ou commencer à raisonner de manière pragmatique pour trouver des choses « intéressantes » dans les crimes des uns et des autres ? Naturellement pas ! Il ne faut avoir confiance qu’en les masses, qu’en le drapeau rouge, qu’en la révolution démocratique et en la révolution socialiste.
Israël et l’Iran ont tous les deux le même objectif : obtenir l’hégémonie militaire sur le Moyen-Orient. Le premier est l’outil direct de la superpuissance impérialiste américaine, le second est intégré au dispositif unissant la Russie impérialiste et la superpuissance impérialiste chinoise.
Lorsque le Hamas et ses alliés ont mené l’attaque depuis Gaza le 7 octobre 2023, c’était grâce à l’argent du Qatar et aux armes iraniennes. Par la suite, Israël en a profité en 2024 pour procéder à un affrontement technologique et meurtrier avec le Hezbollah, le parti pro-Iran basé au Liban. On se souvient surtout des bipeurs et de talkies-walkies piégés blessant grièvement autour de 3 500 personnes et en tuant 42.
L’Iran n’était jamais loin dans ce conflit : lorsque le chef du Hezbollah, Hassan Nasrallah, est tué par l’armée israélienne le 1er octobre 2024, l’Iran a lancé près de 200 missiles contre Israël.
Et, un peu plus tôt, le 31 juillet 2024, le dirigeant du Hamas et ex-Premier ministre palestinien Ismaël Haniyeh a été victime d’un attentat dans la capitale iranienne, Téhéran, où il se trouvait pour assister à l’investiture du nouveau président iranien Massoud Pezechkian.
L’affrontement direct avec l’Iran était donc inéluctable dans une telle logique d’escalade. C’est le sens de l’intervention israélienne lancée le 13 juin 2025. Elle a comme prétexte les avancées iraniennes dans le domaine de l’enrichissement d’uranium afin d’obtenir une arme nucléaire, mais elle aurait eu lieu de toute façon.
On a deux pays où les monopoles jouent un rôle majeur dans l’économie, deux pays où le complexe militaro-industriel a un poids massif et décisif, deux pays où la population connaît un profond endoctrinement belliciste et nationaliste, deux pays avec également un haut niveau culturel et scientifique ce qui, ici, n’arrange pas les choses.
Israël s’est lancé dans l’offensive militaire contre l’Iran en s’appuyant sur ses avantages dans le domaine technologique. Autrement dit, l’aviation israélienne opère pour ses bombardements de manière libre, en raison du manque de défense aérienne iranienne appropriée, alors que les missiles iraniens sont très largement stoppés par le « dôme de fer », le dispositif anti-missiles israélien.
Si Israël peut agir ainsi, c’est qu’il dispose de la technologie et de moyens financiers.
Chaque jour de l’offensive et d’utilisation du dôme de fer signifie dépenser 400 et 600 millions d’euros, voire plus. Et il faut se souvenir qu’Israël est militairement actif depuis le 7 octobre 2023. On doit donc considérer qu’entre 15 % et 20% du PIB sont engloutis !
C’est un chiffre immense et l’État israélien s’effondrerait s’il n’était pas soutenu à bout de bras par la superpuissance impérialiste américaine. Là est précisément la force et la faiblesse d’Israël, de son État et de la société.
La société israélienne est profondément divisée, avec des couches d’immigration juive se superposant, dans une unité à la fois réelle et artificielle, ce qui produit une fuite en avant dans le fanatisme religieux et l’idéologie de la colonisation. Sur le plan économique, le capitalisme est monopoliste et extrêmement brutal. Sans la dynamique militariste relative à l’ennemi intérieur (les Palestiniens) et extérieur (le Hezbollah et l’Iran), la crise prédominerait en Israël.
L’utilisation de la technologie a d’autant plus une dimension idéologique, afin de présenter Israël comme invincible en raison de son avance technologique et du soutien unilatéral de la part de la superpuissance impérialiste américaine. Israël n’a fait historiquement que reprendre le concept de « qualitative military edge » employé initialement par la superpuissance impérialiste américaine dans sa compétition avec la superpuissance social-impérialiste soviétique (qui disposait d’un avantage en termes quantitatifs).
Du point de vue du matérialisme dialectique, c’est le peuple qui fait l’Histoire et l’emploi de technologies avancées ou « en avance » sur les autres n’est pas quelque chose de décisif. Mais on parle là de notre idéologie à nous, et du principe de la guerre populaire. Face à des ennemis antipopulaires comme le Hamas, le Hezbollah ou l’Iran, qui sont tous des produits du féodalisme moderne, la démarche « technologique » américano-israélienne fonctionne très bien.
L’armée israélienne, au moyen de son aviation militaire, a donc réussi en Iran en juin 2025 à détruire toute une série d’objectifs militaires, technologiques, industriels, médiatiques, frappant également directement des scientifiques dans le domaine du nucléaire, mais également des hauts-gradés des gardiens de la révolution et des forces armées iraniennes.
Elle a fait littéralement ce qu’elle a voulu et on peut dire qu’elle a réussi à décapiter le haut de l’appareil d’État, du moins dans le domaine directement militaire.
Naturellement, la République islamique d’Iran a prétendu se défendre héroïquement et victorieusement, frapper sévèrement et profondément l’entité sioniste, etc. Tout cela apparaît clairement comme de la vantardise, même si l’État israélien a strictement censuré toutes les destructions subies (ce que les médias occidentaux ont tous suivi).
Ont été tués par l’armée israélienne notamment le commandant en chef du Corps des gardiens de la révolution islamique Hossein Salami, le chef d’état-major des forces armées de la République islamique d’Iran Mohammad Hussein Baqeri, le commandant en chef de la force aérospatiale du Corps des gardiens de la révolution islamique Amir Ali Hajizadeh, le commandant du quartier général central de Khatam al-Anbiya Gholam Ali Rashid, le commandant des défenses aériennes du Corps des gardiens de la révolution islamique Davoud Sheikhian, le commandant de la force de drones du Corps des gardiens de la révolution islamique Pour Taher, le commandant du système de défense aérienne de la Force aérospatiale du Corps des gardiens de la révolution islamique Khosrow Hassani, l’amiral et conseiller politique du guide suprême de l’Iran Ali Shamkhani, les chefs adjoints du renseignement de l’état-major des armées Gholamreza Mehrabi et Mehdi Rabbani, le chef adjoint de l’organisation du renseignement du Corps des gardiens de la révolution islamique Hassan Mohaqeq, le brigadier général de l’organisation du renseignement du corps des gardiens de la révolution islamique Mohammad Kazemi.
Puis, il y a eu les frappes américaines, dans la nuit du 21 au 22 juin 2025. Ont été visées l’usine d’enrichissement d’uranium de Fordo, le site nucléaire de Natanz, le centre de technologie et de recherche nucléaire d’Ispahan.
Cela fait tout de même beaucoup, eu égard à l’idéologie officielle de la République islamique. Le « grand Satan » et « l’entité sioniste » l’ont frappé, on peut dire, impunément. Le bâtiment de la télévision d’État iranienne a été la victime des opérations, provoquant bien sûr une interruption de la retransmission.
En pratique, c’est une humiliation, que nie le régime. Et malheureusement avec un succès : c’est la raison du cessez-le-feu forcé par le président américain Donald Trump le 24 juin, au lendemain de l’envoi annoncé bien à l’avance de missiles iraniens contre la base aérienne américaine Al Udeid, au Qatar.
Car l’objectif inavoué, enfin à moitié inavoué, c’était le changement de régime en Iran. Officiellement, il est difficile de demander une telle chose, car il y a le droit international. Mais en filigrane, le thème est monté, et les responsables israéliens ont finalement assumé à plusieurs reprises d’aller en ce sens.
Cette dynamique a bien entendu été calculée dès le départ, en osmose avec la superpuissance impérialiste américaine. Cette dernière entend tout changer pour ne rien changer.
Le Premier ministre israélien Benyamin Netanyahou a envoyé un message «au noble peuple iranien » ; il a affirmé que « le moment est venu pour le peuple iranien de s’unir autour de son drapeau et de son héritage historique, en défendant sa liberté face au régime maléfique et oppressif ».
Il a justifié l’intervention israélienne en disant que « notre combat est contre le régime islamique meurtrier qui vous opprime et vous appauvrit, c’est l’occasion pour vous de vous lever et de faire entendre vos voix. »
En écho à cela, les médias occidentaux ont largement mis en avant Reza Pahlavi, le fils du Chah. Enfin, la veille de la décision du cessez-le-feu, Donald Trump avait rejoint l’appel à changer le régime : « Il n’est pas politiquement correct d’utiliser le terme « changement de régime », mais si le régime iranien actuel n’est pas en mesure de rendre à l’Iran sa grandeur, pourquoi n’y aurait-il pas un changement de régime ? ».
Il demandait auparavant la « capitulation » du régime. Et c’est là qu’on voit bien qu’on n’est pas dans un simple conflit, mais dans une confrontation de grande ampleur. Il en va du repartage du monde.
L’Iran se retrouve au minimum dans une situation pré-révolutionnaire. Comme on le sait, la période 1989-2020 se caractérise par un grand progrès des forces productives dans le monde. L’Iran n’a pas échappé à ce développement, cependant en raison de la nature du régime, il n’a pas pu en profiter comme il aurait dû.
Même s’il faut considérer le régime actuel en Iran comme pragmatique plus que comme fondamentaliste, il maintient à l’arrière-plan une logique meurtrière, faite d’emprisonnement, de tortures, de meurtres, de liquidations. Il ne peut pas échapper à sa matrice, née véritablement lors de la « révolution culturelle » islamique au début des années 1980.
La condition des femmes est ici, bien sûr, l’aspect le plus explosif. Elle témoigne de la prévalence historique du féodalisme en Iran, et en même temps en 2025 elle apparaît comme une absurdité, une oppression médiévale, un phénomène grotesque dont il faut se débarrasser.
Il est donc essentiel d’appuyer la révolution iranienne qui ne saurait manquer d’émerger historiquement, et pour cela d’apporter son aide aux organisations révolutionnaires d’Iran, qui luttent avec abnégation, générosité et héroïsme. Leur courage doit provoquer le respect et l’humilité, et appelle à l’internationalisme prolétarien.