Le culte de l’expérience comme valeur en soi, l’empirisme, relève initialement d’un matérialisme qui, à son apparition, a la dignité de se révolter contre la féodalité et ses abstractions religieuses. C’est un matérialisme sensualiste, qui va dans la logique de l’athéisme, de la reconnaissance de la nature.

Il est souvent expliqué dans la littérature bourgeoise que l’empirisme est une révolte contre la scolastique catholique et contre Aristote, les deux étant assimilés. C’est une erreur complète. La philosophie d’Aristote est matérialiste, elle reconnaît toute sa valeur à l’expérience. Ce contre quoi les empiristes se sont révoltés, c’est contre l’interprétation catholique faite d’Aristote, avec notamment Thomas d’Aquin.

La religion était un obstacle fondamental à la science, le catholicisme n’utilisait Aristote que pour contrer celui-ci, de l’intérieur pour ainsi dire. Le courant de Thomas d’Aquin n’a par ailleurs jamais représenté qu’un courant du catholicisme, l’autre s’appuyant sur l’idéalisme complet d’Augustin.

Les avancées humaines, avec l’élévation des forces productives, ont permis de bousculer la religion et ensuite de la dépasser. Le progrès en termes de civilisation a notamment permis le développement de la médecine, une démarche tout à fait concrète.

La première grande figure est le Flamand André Vésale (1514–1564) qui le premier amène le dépassement de l’œuvre de Galien de Pergame (129-216) par la confrontation au réel, notamment avec la dissection.

Portrait d’André Vésale dans son ouvrage De humani corporis fabrica, 1543

La vivisection commence alors à s’employer, notamment avec l’Italien Realdo Colombo (1516–1559), son disciple Hieronymus Fabricius (1533-1619), qui lui-même fut le professeur de l’Anglais William Harvey (1578-1657), auteur d’un important ouvrage sur la circulation sanguine, Exercitatio Anatomica de Motu Cordis et Sanguinis in Animalibus (Exercice anatomique sur le mouvement du cœur et du sang chez les animaux).

L’humaniste Francis Bacon (1561–1626) théorise alors l’empirisme : apprendre, c’est faire parler les choses, les faire révéler leur dynamique interne. Dieu a créé le monde – même si ici le Dieu est très proche de celui de Spinoza et est en fait Nature – et on peut se l’approprier en redécouvrant ses propriétés qui parlent pour ainsi dire d’elles-mêmes lorsqu’on travaille sur elles.

Portrait de Francis Bacon par Paul van Somer, 1617

On trouve une vision strictement parallèle avec deux philosophes français, pour le coup anti-Nature, René Descartes (1596-1650) et Nicolas Malebranche (1638-1715), qui bien que tournés vers la spiritualité, reconnaissent une organisation figée du monde, tous deux considérant que les animaux sont des automates.

Pour résumer sommairement, avec la religion on avait une science produisant par déduction en s’appuyant sur des principes abstraits, tandis que désormais on a l’induction : on généralise les observations, on les systématise.

Toute une série de penseurs se lance alors dans de multiples domaines, notamment à travers ce qu’on appellera le groupe d’Oxford. L’immense chercheur multi-domaines Robert Hooke (1635–1703) découvre notamment ce qu’est une cellule, le philosophe John Locke (1632–1704) résume l’esprit humain à une sorte de mécanique accumulatrice d’expériences, le médecin John Mayow (1641–1679) étudie l’air, tout comme le chimiste Robert Boyle (1627–1691).

Une Expérience sur un oiseau dans une pompe à air, peinture de Joseph Wright of Derby représentant une expérience se fondant sur le travail de Robert Boyle

Le médecin Richard Lower (1631–1691) étudie la circulation sanguine dans son rapport avec la physiologie cardiaque, le médecin Thomas Willis (1621–1675) étudie la neuroanatomie, Christopher Wren (1632–1723) se tourne vers l’anatomie, la géométrie, l’astronomie.

On est ici dans un foisonnement expérimental permis par un contexte radicalement nouveau où la bourgeoisie prône la connaissance, l’activité scientifique, les recherches pour faire avancer les forces productives.

Christopher Wren

Le Français Jean Riolan (1577-1657) et l’Irlandais Edmund O’Meara (1614–1681) s’opposèrent à la vivisection, arguant que les conditions faussaient la valeur de l’expérience, mais ils ne faisaient en réalité que chercher à protéger les conceptions anciennes.

On doit considérer les expériences de cette époque comme l’expression, inévitable, d’un matérialisme immédiatiste, empirique, élémentaire, inductionniste.

D’ailleurs, le savant britannique Stephen Hales (1677–1761) et le Suisse Albrecht von Haller (1708–1777) – ce dernier découvrant le rôle des nerfs dans la sensibilité – regrettaient leur propre pratique de la vivisection, qu’ils excusaient en raison de la découverte de processus physiologiques inaccessibles sinon.

La situation devient totalement différente après la révolution française et la grande offensive de la bourgeoisie. La méthode expérimentale va être systématisée sans état d’âme, comme pour chercher à tout prix à prolonger l’élan initial, de manière mécanique.

Les deux principales figures littéralement criminelles qui apparaissent alors assument entièrement la cruauté. Ils sont d’ailleurs Français, exprimant une bourgeoisie se précipitant à la conquête du pouvoir dans tous les domaines, avec cynisme.


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