Le mot impression vient du latin impressio, signifiant « action d’appuyer sur » ; le radical indo-européen commun per signifiant « frapper ». Or, qu’est-ce qui est frappé ? Justement la matière grise. C’est pour cela qu’on dit que quelqu’un nous a marqué. Notre cerveau, en tant que matière grise, possède son empreinte.
Voilà pourquoi ont tort les personnes prétendant vivre leur vie selon leurs propres « choix », à la mode de l’existentialisme. Ils prétendent que leur esprit « domine » leur corps, niant que l’esprit et le corps ne forment qu’un seul et même ensemble matériel. Dans leur logique, ils pourraient ainsi mettre de côté des impressions, comme bon leur semble.
L’exemple si commun de la vie en société bourgeoise qu’est la personne niant une relation sentimentale du jour au lendemain tient précisément à cela. Elle pense qu’elle peut gérer de manière « libre », « rationnelle » ; se voulant « pur esprit », elle s’imagine pouvoir mettre de côté les sentiments.
C’est naturellement impossible et cette personne se retrouve avec des « cadavres dans le placard », devenant une pure bombe à retardement sur plan sentimental et affectif. En fait, on devrait même dire qu’elle n’est plus qu’un être humain de manière équivoque.
Le thème de la fidélité tient précisément à cette question. Les idéalistes s’imaginent que l’empreinte ne peut être qu’éternelle, les post-modernes qu’elle ne peut être qu’éphémère. En réalité, il s’agit de porter un regard matérialiste sur l’empreinte, et de voir dans quelle mesure elle est « vivante » encore ou non.
Voir une empreinte là où il n’y en a pas ou là il n’y en a plus aboutit à un dérèglement du comportement individuel, car il y a inadéquation entre la réalité reflétée dans l’esprit et le comportement dans cette même réalité.
C’est cela qui faisait dire à Baruch Spinoza que « L’amour n’est rien d’autre qu’une joie qu’accompagne l’idée d’une cause extérieure ». Ce qu’on appelle l’amour est une représentation idéologique d’une réalité – la joie – reflétée dans l’esprit ; l’amour c’est, en fait, la joie de la joie, le fait d’être joyeux d’être joyeux !
La joie en elle-même, de manière cohérente sur le plan matérialiste, chez Baruch Spinoza, correspond au « passage de l’homme d’une moindre à une plus grande perfection » : plus on utilise ses facultés en tant qu’être humain, plus on est épanoui.
Cela sous-tend bien entendu que l’être humain a une essence, décidée par la nature, par l’univers (ce que Baruch Spinoza ici, à son époque, masque sous le vocable de « Dieu » tout en précisant « Dieu ou la nature », les deux termes s’équivalant).
L’idéologie de l’existentialisme nie précisément cette essence, en affirmant de son côté qu’il y a d’abord l’existence, ensuite l’essence : on pourrait choisir qui on est ou qui on devient. D’où les théories post-modernes raisonnant en termes de « transphobie », de « queer », de « genre », de « pansexuel », etc., leur rejet du couple, leur rejet de tout ce qui est universel, leur rejet des Lumières, leur rejet de l’Humanisme, etc.
Du point de vue du matérialisme dialectique à l’opposé, il n’y a pas de « libre-arbitre », le cerveau n’étant qu’une caisse de résonance, les pensées formant un développement dialectique de la matière elle-même, avec notamment les neurones.
Une relation sentimentale ne se commande par conséquent pas : elle s’établit de manière matérialiste, dans les faits, dans la réalité, elle se reconnaît à son empreinte, et être matérialiste c’est l’assumer. Comme le dit l’adage, on tombe amoureux quand on s’y attend le moins.
Le drame de la société bourgeoisie est que justement par opportunisme, par obéissance au principe d’accumulation du capital, des individus réfutent leurs propres sentiments.
Il faut ici bien noter que les idéologies post-modernes prétendent combattre le capitalisme, mais poussent en réalité son raisonnement individualiste jusqu’au bout, en individualisant au maximum les individus.
L’idéologie post-moderne n’est qu’une réponse particulière, individuelle, à un problème d’ordre général. Elle nie le couple en prétendant combattre le capitalisme, alors qu’elle ne fait que pousser la logique capitaliste jusqu’au bout. Au couple instable du capitalisme, elle fait un fétiche de l’instabilité.
A cela on ne peut qu’opposer le romantisme révolutionnaire : un couple ne peut s’épanouir, dans notre société, qu’en levant la bannière de la sincérité et de l’authenticité, car pour être lui-même réel, authentique, honnête, il doit combattre culturellement et idéologiquement les valeurs dominantes.
Un couple authentique ne saurait rester stable dans une société capitaliste : il est rongé, attaqué de toutes parts par les appels opportunistes. Sans compréhension de cela, il y a effondrement ; l’amertume de bien des couples échouant provient de cette incompréhension idéologique de ce qui s’est passé.
C’est pourquoi ici les films hollywoodiens font l’éloge des couples petits-bourgeois new-yorkais : à l’abri du grand capitalisme mais également éloigné du prolétariat, le couple pourrait faire son « cocon ».
Il va sans dire que c’est le rêve d’une immense part de la population, plus exactement des jeunes s’établissant en tant qu’adultes dans la vie sociale.
Il y a une part de dignité du réel, car il s’agit de se protéger et de protéger une relation sentimentale ; en même temps, c’est une fuite, une tentative illusoire de vivre à côté de la société. Ce qui se déroule alors est un processus où le couple devient autocentré, et ne possédant forcément pas la force de vivre indépendamment du reste du monde, il va à l’effondrement par l’absence de production culturelle.
La réponse est alors de faire des enfants, dans l’idée de cimenter la relation, mais aussi d’intégrer la société sans l’intégrer, par des « intermédiaires ». Là encore c’est une illusion, car les enfants sont victimes de projection, ne sont pas éduqués car les parents sont autocentrés et basculent dans l’immaturité, alors que de toutes manières la société en pleine décadence formate les enfants dans un cadre ultra-individualiste.
On a là un drame tout à fait actuel, au cœur même de la société ; c’est quelque chose qui devrait être représenté dans les arts et les lettres, au moyen du réalisme socialiste.
Ce serait là aider à la prise de conscience de ce qui est réel et ainsi servir le peuple, mais aussi combattre le fascisme qui profit des déceptions des gens cherchant de manière immature à être enchantés par le capitalisme.