Accueil → Analyse → Culture → La musique classique en URSS socialiste
L’Ukraine avait été mise de côté par le tsarisme russe et l’une des premières missions de l’URSS fut de lancer le prolongement de l’affirmation nationale ukrainienne.
Les compositeurs majeurs de l’Ukraine de l’URSS socialiste sont particulièrement méconnus et leur immense valeur n’en ressort que davantage ; il est évident que la musique classique, libérée du carcan du capitalisme, se tournera vers eux une immense attention.
Le compositeur ukrainien Boris Liatochinski (1894-1968) connut une grande renommée en URSS, obtenant le prix Staline en 1946 pour son Quintette ukrainien, ainsi qu’en 1952 pour la musique du film sur le poète national ukrainien, l’immense Taras Chevtchenko, dont il fera également une Suite.
On a également Mykhaylo Skorulsky (1887-1950), notamment avec son ballet Le chant de la forêt, avec un livret de sa fille, la danseuse Natalia Skorulskaya, tiré d’un drame éponyme d’une pionnière de la littérature ukrainienne, Lesya Ukrainka (1871-1913).
Fut proche de celle-ci le grand compositeur national ukrainien Mykola Lyssenko (1842-1912), qui porta une grande attention à la musique folklorique.
L’œuvre, composée en 1936, fut jouée pour la première fois en 1946 à Kiev.
On a Andrei Shtogarenko (1902-1992), prix Staline pour les cantates Mon Ukraine composées en 1943 et la suite symphonique En mémoire de Lesya Ukrainka de 1952.
On a, enfin, Victor Kosenko (1896-1938). Ce pianiste de très grande importance se situe dans le prolongement de Scriabine et Rachmaninov, ainsi que de Tchaïkovski, à quoi s’ajoute l’Ukrainien Mykola Lyssenko. Il se situe ainsi dans une perspective d’une richesse incroyable et c’est un terrible dommage qu’il soit mort relativement jeune, un cabinet-musée commémoratif de l’artiste étant ouvert à Kiev dès son décès.
Voici quelques œuvres de cet immense maître, œuvres prolongeant Scriabine, mais dans une manière à la fois plus douce et plus concrète, sans l’esthétisation d’une déchirure musicale. Cela tient à la fois à la perspective socialiste et au tempérament flegmatique ukrainien (par opposition à une expressivité russe elle bien plus marquée).
La perspective qu’ouvre ici Victor Kosenko est immense, incontournable.
Il faut également noter l’immense pianiste Samuil Feinberg (1890-1962), né à Odessa. Si son approche sort sans doute d’une perspective ukrainienne stricto sensu, il est remarquable qu’on trouve ce même penchant vers Scriabine, dont il fut l’un des plus grands disciples.
Voici son interprétation de la sonate n°4 de Scriabine en 1939 et celle de la sonate n°5 en 1948.
Samuil Feinberg fut le premier en Russie, à partir de 1914, à jouer en concert l’intégralité du Clavier bien tempéré de Bach en concert. Voici un court extrait témoignant suffisamment de l’ampleur magistral de ce pianiste, de sa compréhension complète de Bach.
Par la suite, il joua plusieurs cycles des 32 sonates de Beethoven et des 10 sonates de Scriabine.
Voici la sonate pour piano n°3 de Samuil Feinberg, datant de 1916-1917, tout à fait dans l’esprit de Scriabine. L’œuvre, d’une profondeur immense, s’applique cependant à une certaine virtuosité que l’on peut considérer comme une fuite en avant, avec une orientation marquée par rapport a à l’échelle chromatique (pour simplifier : par rapport aux touches noires au piano – par opposition à l’échelle diatonique).
Samuil Feinberg, d’une modestie exemplaire, fut professeur de piano du conservatoire de Moscou de 1922 à sa mort quarante ans plus tard ; ses élèves publièrent son œuvre posthume Le pianisme en tant qu’art.
Il fut décoré de la bannière rouge du travail en avril 1937 et en décembre 1946, prix Staline du second degré en 1946.
Il s’était placé en effet dans la perspective du réalisme socialiste et alla dans le sens de davantage de simplicité, la mélodie l’emportant. La redécouverte de ses œuvres est un passage inévitable de la musique classique russe, mais également de la musique classique en général.
Voici sa sonate n°11, composé en 1952, qui tend vers la limpidité tout en conservant toute la richesse de la vie intérieure.
Son concerto pour piano n°2, de 1944, ici joué en 1946 avec lui au piano, se situe dans une même perspective.
Voici également sa sonate n°8, composé en 1932-1936, et sa sonate n°10, composé en 1940.