Accueil → Analyse → Culture → Les illuminations d’Arthur Rimbaud
Voici des exemples du déroulement de l’illumination, ce qui se situe entre le démarrage et la clôture, avec un goût prononcé, donc, pour le mouvement et la spatialisation.
« Une porte claqua (…), l’enfant tourna ses bras (…). Madame *** établit un piano dans les Alpes (…). Les caravanes partirent. » (Après le déluge)
« Les brasiers, pleuvant aux rafales de givre (…) Ces feux à la pluie du vent de diamants jetée par le cœur terrestre éternellement carbonisé pour nous (…). Les brasiers et les écumes. La musique, virement des gouffres et choc des glaçons aux astres. » (Barbare)
« Des prés de flammes bondissent (…). Le terreau de l’arête est piétiné (…) et tous les bruits désastreux filent leur courbe. » (Mystique)
« J’ai marché, réveillant les haleines vives et tièdes, et les pierreries regardèrent, et les ailes se levèrent sans bruit (…). Je levai un à un les voiles. Dans l’allée, en agitant les bras (…). Elle fuyait (…), je la chassais (…). L’aube et l’enfant tombèrent au bas du bois. » (Aube)
« je vois la digitale s’ouvrir (…). Des pièces d’or jaune semées sur l’agate, des piliers d’acajou supportant un dôme d’émeraudes, des bouquets de satin blanc et de fines verges de rubis entourent la rose d’eau. » (Fleurs)
« Des sifflements de mort et des cercles de musique sourde font monter, s’élargir et trembler (…). Les couleurs propres de la vie se foncent, dansent, et se dégagent autour de la vision, sur le chantier. Et les frissons s’élèvent et grondent. » (Being Beauteous)
« Tes yeux, des boules précieuses, remuent. Tachées de lies brunes, tes joues se creusent. Tes crocs luisent ». (Antique)
« Criaient sur la place publique : « Mes amis, je veux qu’elle soit reine ! » « Je veux être reine ! » Elle riait et tremblait. Il parlait aux amis de révélation, d’épreuve terminée. Ils se pâmaient l’un contre l’autre. » (Royauté)
« Il y a une horloge (…). Il y a une fondrière (…). Il y a une cathédrale (…). Il y a une petite voiture abandonnée dans le taillis ou qui descend le sentier en courant, enrubannée. Il y a une troupe de petits comédiens en costumes (…). Je suis le saint (…). Je suis le savant au fauteuil sombre. Les branches et la pluie se jettent à la croisée de la bibliothèque. » (Enfance)
« À présent, gentilhomme d’une campagne aigre au ciel sobre, j’essaie de m’émouvoir au souvenir de l’enfance mendiante (…). J’attends de devenir un très méchant fou. » (Vies)
« Les talus de gauche tiennent dans leur ombre violette les mille rapides ornières de la route humide. Défilé de féeries. En effet : des chars chargés d’animaux de bois doré, de mâts et de toiles bariolées, au grand galop de vingt chevaux de cirque tachetés » (Ornières)
« Des chalets de cristal et de bois qui se meuvent sur des rails et des poulies invisibles. Les vieux cratères ceints de colosses et de palmiers de cuivre rugissent mélodieusement dans les feux. Des fêtes amoureuses sonnent sur les canaux pendus derrière les chalets. » (Villes)
« Quelle peinture ! Un Nabuchodonosor norwégien a fait construire les escaliers des ministères ; les subalternes que j’ai pu voir sont déjà plus fiers que des Brennus, et j’ai tremblé à l’aspect des gardiens de colosses et officiers de constructions (…). Sur quelques points des passerelles de cuivre, des plates-formes, des escaliers qui contournent les halles et les piliers, j’ai cru pouvoir juger la profondeur de la ville ! » (Villes (2))
« — La bataille ! Lève la tête : ce pont de bois, arqué ; les derniers potagers ; ces masques enluminés sous la lanterne fouettée par la nuit froide (…). Ces routes bordées de grilles et de murs, contenant à peine leurs bosquets » (Métropolitain)
« Des fanums qu’éclaire la rentrée des théories ; d’immenses vues de la défense des côtes modernes ; des dunes illustrées de chaudes fleurs et de bacchanales ; de grands canaux de Carthage et des embankments d’une Venise louche ; de molles éruptions d’Etnas et des crevasses de fleurs et d’eaux. » (Promontoire)
« Un long pier en bois d’un bout à l’autre d’un champ rocailleux où la foule barbare évolue sous les arbres dépouillés. Dans des corridors de gaze noire, suivant le pas des promeneurs » (Scènes)
« La démarche cruelle des oripeaux ! (…) On les envoie prendre du dos en ville, affublés d’un luxe dégoûtant (…). Maîtres jongleurs, ils transforment le lieu et les personnes et usent de la comédie magnétique. Les yeux flambent, le sang chante, les os s’élargissent, les larmes et des filets rouges ruissellent. » (Parade)
« La morale et la langue sont réduites à leur plus simple expression, enfin ! (…) Comme, de ma fenêtre, je vois des spectres nouveaux roulant à travers l’épaisse et éternelle fumée de charbon » (Ville)
« Sa solitude est la mécanique érotique ; sa lassitude, la dynamique amoureuse (…). Là, la moralité des êtres actuels se décorpore en sa passion ou en son action. » (H)
« Que des accidents de féerie scientifique et des mouvements de fraternité sociale soient chéris comme restitution progressive de la franchise première ?… Mais la Vampire qui nous rend gentils commande que nous nous amusions avec ce qu’elle nous laisse, ou qu’autrement nous soyons plus drôles. » (Angoisse)
« Je fus au pied du baldaquin supportant ses bijoux adorés et ses chefs-d’œuvre physiques, un gros ours aux gencives violettes et au poil chenu de chagrin, les yeux aux cristaux et aux argents des consoles. Tout se fit ombre et aquarium ardent. » (Bottom)
« L’éclairage revient à l’arbre de bâtisse. Des deux extrémités de la salle, décors quelconques, des élévations harmoniques se joignent. » (Veillées)
« je suis descendu dans ce carrosse dont l’époque est assez indiquée par les glaces convexes, les panneaux bombés et les sophas contournés. Corbillard de mon sommeil, isolé, maison de berger de ma niaiserie, le véhicule vire sur le gazon de la grande route effacée » (Nocturne vulgaire)
« Cela commença sous les rires des enfants, cela finira par eux. Ce poison va rester dans toutes nos veines même quand, la fanfare tournant, nous serons rendu à l’ancienne inharmonie. Ô maintenant, nous si digne de ces tortures » (Matinée d’ivresse)
« Parez-vous, dansez, riez. Je ne pourrai jamais envoyer l’Amour par la fenêtre. Ma camarade, mendiante, enfant monstre ! (…) J’ai tendu des cordes de clocher à clocher ; des guirlandes de fenêtre à fenêtre ; des chaînes d’or d’étoile à étoile, et je danse. » (Phrases)
« Il tua tous ceux qui le suivaient, après la chasse ou les libations. — Tous le suivaient. Il s’amusa à égorger les bêtes de luxe. Il fit flamber les palais. Il se ruait sur les gens et les taillait en pièces. La foule, les toits d’or, les belles bêtes existaient encore. » (Conte)
« Je répondais en ricanant à ce satanique docteur, et finissais par gagner la fenêtre. Je créais, par delà la campagne traversée par des bandes de musique rare, les fantômes du futur luxe nocturne.
Après cette distraction vaguement hygiénique, je m’étendais sur une paillasse. » (Vagabonds)
« Dans une flache laissée par l’inondation du mois précédent à un sentier assez haut elle me fit remarquer de très petits poissons.
La ville, avec sa fumée et ses bruits de métiers, nous suivait très loin dans les chemins.» (Ouvriers)« Quelques-uns de ces ponts sont encore chargés de masures. D’autres soutiennent des mâts, des signaux, de frêles parapets. Des accords mineurs se croisent, et filent, des cordes montent des berges. » (Les ponts)
« Il frissonne au passage des chasses et des hordes. La comédie goutte sur les tréteaux de gazon. Et l’embarras des pauvres et des faibles sur ces plans stupides ! (…) La même magie bourgeoise à tous les points où la malle nous déposera ! » (Soir historique)