Ainsi installés dans une nature qu’ils tentent de conceptualiser de manière magique, qu’inévitablement ils extériorisent culturellement avec des rites et des œuvres artistiques, les Humains s’organisent progressivement en vue de mieux maîtriser leurs conditions de vie et de prévoir, d’élaborer des façons de mieux reproduire leur existence.
Ce processus est en soi complètement naturel, non qu’il exprime alors tout à fait une culture humaine harmonieuse avec la nature, même si c’est en partie vrai. C’est même fondamentalement la raison pour laquelle ou peut parler de communisme primitif.
Mais on parle bien ici d’une étape primitive, au sens où il s’agit en fait de l’élaboration d’une pensée complexe, qui commence seulement à être en mesure d’organiser ce que reflète la nature, qui est au début d’un processus de l’apprentissage lui permettant de procéder à des abstractions intellectuelles.
Il était donc inévitable que soit dépassée cette étape à mesure que l’élan culturel qui était ainsi initié allait en se développant.
Ainsi, par ce processus même, l’Humanité élabore une pensée qui s’extériorise de la nature. Mais cette extériorisation conceptuelle, matrice de la culture, est en soi un artifice, puisque tout en conceptualisant la nature et donc en l’extériorisant peu à peu, l’Humanité ne s’en extrait pour autant pas, car cela est tout simplement impossible.
Ici s’ouvre une longue contradiction entre l’Humanité et la Nature.
Cependant, à ce stade primitif, il s’agit encore d’un face à face largement indifférencié. C’est lentement que le développement de l’activité de ces communautés humaines va pousser à toujours plus complexifier la conceptualisation de la nature et sa compréhension, détachant l’Humanité d’une part, et la Nature de l’autre.
À mesure que les activités se complexifient, des rôles se dessinent également au sein du groupe et avec eux, les bases de la société se posent. Dans ses manuscrits de 1857-1858, les Grundrisse, Karl Marx nous dresse le panorama de ces communautés primitives :
« On peut admettre que l’état pastoral, c’est-à-dire en fait le nomadisme en général, est la première forme du mode d’existence; non pas que la tribu se fixe pas sur un territoire déterminé, mais qu’il prend tout de la terre autant qu’il puisse- les hommes n’étant pas sédentaires par nature (sauf dans un environnement naturel particulièrement fécond, pour les faire vivre du fruit des arbres, tels les singes ; sinon ils errent, comme les animaux sauvages).
C’est ainsi qu’apparaît la communauté tribale, commune naturelle, non pas résultat mais condition préalable de l’appropriation (temporaire) et de l’utilisation collectives du sol.
Lorsqu’elle se fixe enfin, comment cette communauté originaire est plus ou moins modifiée dépend de différentes conditions extérieures, climatiques, géographiques, physiques, etc. ; tout comme de leur disposition naturelle – son caractère tribal.
La communauté tribale, issue directement de la nature, ou si l’on veut la horde, est la première condition – communauté dans le sang, la langue, les mœurs, etc. – de l’appropriation des conditions objectives d’existence et de l’activité reproductive et objective (cette activité pouvant être celle de pasteurs, chasseurs, cultivateurs, etc.). »
Les premières communautés humaines accumulent ainsi des expériences dans leur entourage immédiat. Leur particularité biologique, long fruit de l’évolution, leur donne désormais la possibilité d’être en mesure de modifier plus intensément leur environnement direct.
Cela a amené la production de nouveaux outils toujours plus perfectionnés, en mesure d’améliorer des secteurs précis mais toujours plus diversifié de l’existence : la collecte de nourriture, la couture de pièces de peau, la taille fine de matières variés, et bientôt la mise au feu encore expérimentale et tâtonnante de certains matériaux : la terre, puis certains minerais. A ce stade, on assiste à l’établissement de foyers en tant que tels.
Mais la sédentarisation relative des regroupements humains renforce aussi la contradiction entre ceux-ci et leur environnement direct. Certains animaux ont commencé à coopérer avec les êtres humains, amenant un processus d’accompagnement (comme pour les loups devenus chiens) et de domestication. Certains végétaux ont été repéré et leur utilisation systématisée, pour l’alimentation et pour la médecine, jusqu’à la mise en place de l’agriculture en tant que telle.
Ce processus a bien entendu encore été extrêmement long. Le développement de l’agriculture, de l’élevage, la maîtrise de la poterie, tout cela ne commence qu’à être localement acquis vers -8000, notamment au Proche-Orient.
Puis, de nouveaux foyers de communautés humaines ayant atteint ce stade à leur tour se manifestent, toujours localement, dispersés néanmoins partout sur la planète. Dans Le capital, Karl Marx nous rappelle que :
« La production capitaliste prend racine sur un terrain préparé par une longue série d’évolutions et de révolutions économiques.
La productivité du travail, qui lui sert de point de départ, est l’œuvre d’un développement historique dont les périodes se comptent non par siècles, par milliers de siècles. »
L’humanité a ainsi, au fur et à mesure, cessé de se contenter de pratiquer la chasse et la cueillette, pour se tourner vers l’agriculture, la domestication des animaux. Ce processus de sédentarisation s’étale sur 7000 ans, à partir de 10 000 avant notre ère.