Ecrit les 5 et 6 (18-19) novembre 1917.
Paru le 20 (7) novembre 1917 dans la « Pravda » n° 182
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A tous les membres du parti et à toutes les classes laborieuses de Russie
Camarades,
Tout le monde sait qu’au IIe Congrès des Soviets des députes ouvriers et soldats de Russie, la majorité des délégués appartenait au Parti bolchévik.
Ce fait est essentiel pour comprendre la révolution qui vient de s’accomplir et de triompher, tant à Pétrograd et à Moscou que dans toute la Russie. C’est précisément ce fait qu’oublient et qu’éludent sans cesse tous les partisans des capitalistes et leurs complices inconscients qui sapent le principe fondamental de la nouvelle révolution, à savoir :
Tout le pouvoir aux Soviets. Il ne saurait y avoir en Russie d’autre gouvernement que le Gouvernement soviétique. Le pouvoir des Soviets a triomphé en Russie et le passage du gouvernement des mains d’un parti à un autre au sein des Soviets est assuré sans aucune révolution, par une simple décision des Soviets, par un simple renouvellement des députés aux Soviets.
Le IIe Congrès des Soviets de Russie a donné la majorité au Parti bolchévik. C’est pourquoi seul le gouvernement constitué par ce Parti est un gouvernement soviétique.
Tout le monde sait, que le Comité central du Parti bolchévik, quelques heures avant de former le nouveau gouvernement, et avant de proposer la liste de ses membres au IIe Congrès des Soviets de Russie, avait invité à sa séance les trois membres les plus en vue du groupe socialiste-révolutionnaire de gauche, les camarades Kamkov, Spiro et Karéline, et leur avait proposé de participer au nouveau gouvernement.
Nous regrettons vivement que les camarades socialistes-révolutionnaires de gauche s’y soient refusés ; nous estimons qu’un tel refus est inadmissible de la part de révolutionnaires et de partisans des travailleurs, nous sommes prêts à tout instant à inclure au gouvernement les socialistes-révolutionnaires de gauche ; toutefois nous déclarons que, en qualité de parti de la majorité au IIe Congrès des Soviets de Russie, nous avons devant le peuple le droit et le devoir de former le gouvernement.
Tout le monde sait que le Comité central de notre Parti a proposé au Congrès des Soviets de Russie une liste purement bolchévique de Commissaires du peuple et que le Congrès a approuvé la formation de ce gouvernement purement bolchévik.
Aussi les déclarations fallacieuses prétendant que le gouvernement bolchévik n’est pas un gouvernement soviétique sont un simple mensonge ; elles n’émanent et ne peuvent émaner que des ennemis du peuple, des ennemis du pouvoir des Soviets.
Bien au contraire, après le IIe Congrès des Soviets de Russie, jusqu’à la convocation du IIIe Congrès, jusqu’aux nouvelles élections aux Soviets, ou jusqu’à la formation d’un nouveau gouvernement par le Comité exécutif central, – seul le gouvernement bolchévik peut être reconnu aujourd’hui comme gouvernement soviétique.
Camarades, quelques membres du Comité central de notre Parti et du Conseil des Commissaires du peuple, Kaménev, Zinoviev, Noguine, Rykov, Milioutine et d’autres, ont démissionné hier, le 4 novembre, du Comité central de notre Parti, et les trois derniers, du Conseil des Commissaires du peuple.
Dans un Parti aussi grand que le nôtre, malgré l’orientation révolutionnaire prolétarienne de notre politique, il ne pouvait manquer de se trouver des camarades insuffisamment fermes et persévérants dans la lutte contre les ennemis du peuple.
Les tâches qui se posent aujourd’hui à notre Parti sont immenses, les difficultés énormes ; aussi quelques membres de notre Parti, qui occupaient auparavant des postes de confiance, ont-ils bronché devant l’assaut de la bourgeoisie et déserté nos rangs. Toute la bourgeoisie et tous ses auxiliaires exultent, à cette occasion, d’une joie mauvaise, crient à la débâcle du gouvernement bolchévik dont ils prophétisent la fin.
Camarades, ne croyez pas à ce mensonge. Les camarades partis ont agi en déserteurs ; non seulement ils ont abandonné leurs postes, mais encore ils ont enfreint la résolution expresse du Comité central de notre Parti qui leur enjoignait, avant de donner leur démission, d’attendre au moins les décisions des organisations de Pétrograd et de Moscou de notre Parti. Nous condamnons résolument cette désertion. Nous sommes profondément convaincus que tous les ouvriers, tous les soldats et tous les paysans conscients, qui adhèrent à notre Parti ou qui sympathisent avec lui, condamneront avec non moins de résolution la conduite des déserteurs.
Mais nous déclarons que la désertion de quelques membres haut placés de notre Parti n’ébranlera pas un instant, pas le moins du monde, l’unité des masses qui suivent notre Parti et, par conséquent, n’ébranlera pas notre Parti.
Rappelez-vous, camarades, que deux des déserteurs, Kaménev et Zinoviev, dès avant l’insurrection à Pétrograd, avaient agi comme déserteurs et briseurs de grève : non seulement ils ont voté contre l’insurrection à la séance décisive du Comité central du 10 octobre 1917, mais encore, après la décision prise par le Comité central, ils ont mené campagne contre l’insurrection parmi les militants du parti.
Tout le monde sait que les journaux qui craignaient de se ranger du côté des ouvriers et qui penchaient plutôt vers la bourgeoisie (Novaïa Jizn, par exemple) firent alors chorus avec la presse bourgeoise, et crièrent à la « désagrégation » de notre Parti, à l’« échec de l’insurrection », etc. Mais la vie a eu tôt fait de démentir le mensonge et la calomnie des uns, les doutes, les hésitations, la lâcheté des autres.
La « tempête » qu’on voulait soulever à propos des manœuvres de Kaménev et de Zinoviev pour compromettre l’insurrection de Pétrograd, fut une tempête dans un verre d’eau ; et le grandiose élan des masses, l’héroïsme de millions d’ouvriers, de soldats et de paysans à Pétrograd et à Moscou, au front, dans les tranchées et dans les campagnes, écarta les déserteurs avec autant de facilité qu’un train rejette des éclats de bois.
Honte aux sceptiques, aux hésitants, à tous ceux qui doutent, à tous ceux qui se sont laissé intimider par la bourgeoisie ou qui ont cédé aux cris de ces auxiliaires déclarés ou non. Il n’y a pas l’ombre d’une hésitation dans les masses d’ouvriers et de soldats de Pétrograd, de Moscou et d’ailleurs. Unanime et ferme, comme un seul homme, notre Parti monte la garde autour du pouvoir des Soviets, autour des intérêts de tous les travailleurs, avant tout des ouvriers et des paysans pauvres !
Des écrivassiers bourgeois et ceux qui se sont laissé intimider par la bourgeoisie nous accusent eu chœur d’être intransigeants, intraitables, de ne pas vouloir partager le pouvoir avec un autre parti. Ce n’est pas vrai, camarades ! Nous avons proposé et proposons aux socialistes-révolutionnaires de gauche de partager le pouvoir avec nous.
Ce n’est pas notre faute s’ils ont refusé. Nous avions engagé des pourparlers au cours desquels nous avons fait de multiples concessions même après la clôture du IIe Congrès des Soviets ; nous sommes allés jusqu’à admettre, éventuellement, des représentants d’une fraction de la Douma de Pétrograd, ce repaire de korniloviens qui sera tout le premier balayé par le peuple, si ces misérables, si les rejetons des capitalistes et des gros propriétaires fonciers, si les élèves-officiers tentent de nouveau de s’opposer à la volonté du peuple, comme ils ont essayé de le faire dimanche dernier à Pétrograd et comme ils veulent le faire une fois de plus (à preuve le complot de Pourichkévitch et les documents saisis chez lui hier, le 3 novembre).
Mais ces messieurs qui se tiennent derrière les socialistes-révolutionnaires de gauche et qui agissent par leur truchement dans l’intérêt de la bourgeoisie, ont interprété notre attitude bienveillante comme une faiblesse de notre part, et ils en ont profité pour nous signifier de nouveaux ultimatums. A la réunion du 3 novembre, les sieurs Abramovitch et Martov nous ont présenté l’ultimatum suivant : pas de pourparlers tant que notre gouvernement n’aura pas mis fin aux arrestations et à l’interdiction des journaux bourgeois.
Notre Parti et le Comité exécutif central du congrès des Soviets ont repoussé cette sommation qui émane visiblement des partisans de Kalédine, de la bourgeoisie, de Kérenski et de Kornilov. Le complot de Pourichkévitch et l’apparition à Pétrograd, le 5 novembre, d’une délégation d’une unité du 17e corps d’armée qui menace de marcher sur Pétrograd (menace ridicule, puisque les détachements avancés de ces korniloviens sont déjà défaits et ont fui devant Gatchina, et que la plupart ont refusé de marcher contre les Soviets), tous ces événements ont montré de qui émanait en fait l’ultimatum des sieurs Abramovitch et Martov, qui ces gens-là servaient en réalité.
Que tous les travailleurs fassent preuve de calme et de fermeté ! Jamais notre Parti ne cédera aux sommations de la minorité des Soviets, d’une minorité qui s’est laissé intimider par la bourgeoisie et qui, en fait, en dépit de ses « bonnes intentions », se comporte comme un fantoche entre les mains des korniloviens.
Nous nous en tenons fermement au principe du pouvoir aux Soviets, c’est-à-dire du pouvoir de la majorité issue du dernier congrès des Soviets ; nous avons accepté et nous acceptons toujours de partager le pouvoir avec la minorité des Soviets, à la condition que celle-ci s’engage loyalement, honnêtement à se soumettre à la majorité et à appliquer le programme approuvé par l’ensemble du IIe Congrès des Soviets de Russie, et qui consiste dans un acheminement graduel, mais résolu et inflexible, vers le socialisme. Mais nous ne nous soumettrons à aucun ultimatum de la coterie intellectuelle qui n’a pas les masses avec elle, qui en fait n’est suivie que par les partisans de Kornilov, de Savinkov, par les élèves-officiers, etc.
Que tous les travailleurs demeurent donc calmes et fermes ! Notre Parti, le parti de la majorité aux Soviets, unanime, veille sur leurs intérêts ; et notre Parti rallie, comme auparavant, des millions d’ouvriers dans les villes, de soldats dans les tranchées, de paysans dans les campagnes, tous prêts à assurer, coûte que coûte, la victoire de la paix et la victoire du socialisme !