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Lénine
IIe Congrès des mineurs de Russie1
25 janvier 1921
La tournure douloureuse qu’a prise le problème du rôle et des tâches des syndicats s’explique par le fait qu’il a revêtu prématurément la forme d’une lutte fractionnelle. C’est une question extrêmement vaste, illimitée, et on ne saurait l’aborder à la hâte, comme cela a été fait ; et c’est surtout de cette hâte, de cette précipitation exagérée que je fais grief au camarade Trotski. Il nous est arrivé à tous et il nous arrivera de présenter au Comité central des thèses insuffisamment préparées, parce que notre travail se fait dans une extrême précipitation. La faute est minime, il nous est arrivé à tous de nous dépêcher. Cette faute est monnaie courante, et on ne s’en guérira pas, parce que les conditions objectives de la situation sont trop difficiles. Il faut donc aborder d’autant plus prudemment les questions de caractère fractionnel, les questions litigieuses. Parce qu’il est trop facile, même pour une personne peu ardente, − ce que je ne peux dire de mon contradicteur − de tomber dans ce panneau. Et maintenant, pour vous faire toucher les choses du doigt et entrer tout de suite dans le vif du sujet, je vais vous lire les principales thèses de Trotski.
Voici ce qu’il écrit dans sa brochure, à la fin de la thèse 12 :
« Nous observons qu’au fur et à mesure que les tâches de l’économie viennent au premier plan, de nombreux militants syndicaux s’élèvent sur un ton de plus en plus vif et intransigeant contre les perspectives de l’« amalgame » et les conséquences pratiques qui en découlent. Parmi ceux-ci, nous trouvons les camarades Tomski et Losovski.
Mais il y a plus. De nombreux syndicalistes, repoussant les nouvelles tâches et méthodes, développent autour d’eux un esprit d’étroitesse corporative, d’inimitié à l’égard des nouveaux militants affectés à une branche déterminée de l’économie ; en fait, ils maintiennent ainsi les survivances de l’esprit de corporation parmi les ouvriers organisés dans les syndicats. »
Je pourrais citer de nombreux passages du même genre dans la brochure de Trotski. Du point de vue de l’intervention fractionnelle, je pose la question : convenait-il à un homme jouissant d’une telle autorité, à un dirigeant d’une telle importance, de s’attaquer de la sorte à des camarades du parti ? Je suis sûr qu’outre ceux qui sont aux prises, 99 % diront qu’on ne peut se comporter de la sorte.
Si les camarades Tomski et Lozovski étaient coupables ou suspects d’avoir, par exemple, refusé d’emblée de signer la paix de Brest-Litovsk, ou de faire la guerre, j’aurais compris une telle attaque. L’intérêt de la révolution doit être placé plus haut que la démocratie formelle. Mais avoir une conduite aussi inconsidérée à un tel moment, c’est une erreur radicale. On ne peut pas agir ainsi. Il est dit dans ce point que de nombreux syndicalistes développent autour d’eux un esprit d’inimitié et d’étroitesse. Qu’est-ce que cela signifie ? Quels sont ces propos, et quel est ce langage ? Est-il permis d’aborder la question de cette manière ? Si je disais auparavant que je réussirais peut-être à « faire le tampon » et à ne pas intervenir dans la discussion, parce qu’il est nuisible de se battre avec Trotski, nuisible pour nous, pour le parti, pour la République, par contre, après cette brochure, j’ai dit qu’il était indispensable d’intervenir.
Trotski écrit que « de nombreux syndicalistes développent autour d’eux un esprit d’inimitié à l’égard des nouveaux militants » ; qu’est-ce que cela signifie ? Si réellement de nombreux syndicalistes développent autour d’eux « un esprit d’inimitié à l’égard des nouveaux militants », il faut les nommer. Sinon, c’est précisément secouer, c’est aborder le problème d’un point de vue bureaucratique. Et même s’il existe un esprit d’inimitié à l’égard des nouveaux militants, il n’est pas permis de parler ainsi. Trotski accuse Lozovski et Tomski de bureaucratie. Et moi, je dirais que c’est le contraire. Il n’y a même plus moyen de poursuivre la lecture, car le point de départ a tout abîmé : un peu de fiel a gâté tout le miel, on a beau ajouter du miel, le mal est fait.
A qui la faute si de nombreux syndicats développent un esprit d’inimitié à l’égard des nouveaux militants ? Les membres du groupe-tampon ou du Tsektran diront bien entendu : aux syndicalistes.
En somme ici tout est amoncelé, comme le fait la tempête de neige qui souffle en ce moment, tout est bourré d’inventions et d’absurdités. Mais il faut, camarades, tirer les choses au clair, en dégager le fond. Et le fond, c’est que plusieurs actes maladroits suscitent le mécontentement des masses. Mon contradicteur affirme que certains ont développé cet esprit. Cela montre que la question est mal posée au départ. Il faut donc la tirer au clair. En novembre, la Conférence de Russie s’est réunie, et c’est là qu’est lancé ce petit mot : « secouer » les syndicats. Trotski a commis une erreur en parlant ainsi. Il est évident politiquement qu’une telle démarche provoquera la scission et renversera la dictature du prolétariat.
On doit comprendre que les syndicats ne sont pas des administrations comme les Commissariats du Peuple, mais qu’ils sont tout le prolétariat réuni, une administration particulière qu’on ne peut aborder ainsi. Et lorsque la question de cette faute susceptible d’entraîner la scission s’est trouvée posée, j’ai dit : « Ne parlez pas encore de large discussion, allez en commission, et là, tirez avec précaution l’affaire au clair. » Mais des camarades disent : « Voyons, comment peut-on agir ainsi ? C’est violer la démocratie. » Le camarade Boukharine en est même venu à parler du « mot d’ordre sacré de démocratie ouvrière ». Ce sont ses propres termes. Je l’ai lu, et… c’est tout juste si je ne me suis pas signé. (Rires.) J’affirme que l’erreur commence toujours par être petite et qu’elle grandit ensuite. Les divergences commencent toujours par de petites choses. Il est arrivé à chacun d’avoir une petite plaie, mais si elle s’infecte, elle peut finir par un mal mortel. Or, cette affaire est justement une blessure en train de s’infecter. En novembre, on parle de secouer les syndicats, et en décembre, il y a déjà erreur grave.
La session plénière du Comité central de décembre n’a pas été en notre faveur. La majorité s’y est ralliée à Trotski, et la résolution de Trotski et Boukharine est passée, résolution que vous avez lue, bien entendu. Mais même les membres du Comité central qui ne nous sont pas favorables ont dû reconnaître que les mariniers ont davantage raison que le Tsektran. C’est un fait. Et lorsque je demande quelle a été la faute du Tsektran, il convient de répondre que notre faute n’est pas d’avoir exercé une pression, car c’est là votre mérite, mais d’avoir toléré des excès bureaucratiques.
Mais si vous avez compris ces excès, on doit les corriger, et non s’élever contre les corrections. Tout est là. Il faudra des dizaines d’années pour vaincre la bureaucratie. C’est une lutte extrêmement difficile, et si quelqu’un vient nous dire que nous nous débarrasserons d’un seul coup de la bureaucratie en adoptant des programmes antibureaucratiques, ce ne sera qu’un charlatan, amateur de belles paroles. C’est immédiatement qu’il faut corriger les excès. Il faut los saisir et les corriger, sans appeler bon ce qui est mauvais et blanc ce qui est noir. Les ouvriers et les paysans comprennent qu’ils doivent encore apprendre à diriger, mais ils comprennent aussi parfaitement qu’il y a des excès bureaucratiques, et qui se refuse à les corriger est extrêmement coupable. Il faut les redresser en temps opportun, comme le disent les mariniers, et ne pas attendre que d’autres les signalent.
Même de plus bons responsables ont pu se tromper. Il y en a d’excellents au Tsektran, et nous allons les nommer et corriger les excès bureaucratiques qu’ils ont tolérés. Le camarade Trotski dit que les camarades syndicalistes Tomski et Lozovski sont coupables de susciter autour d’eux de l’inimitié à l’égard des nouveaux militants. Mais c’est monstrueux. Il faut être presque malade ou une tête brûlée qui perd toute mesure, pour s’exprimer de la sorte.
Le résultat de cette précipitation c’est qu’on discute, qu’on présente des programmes, qu’on écrit que tel ou tel est coupable, et l’aboutissement, c’est que tout est gâté à la racine.
Lorsque des gens se disputent, vous savez ce qui se passe au bout de deux jours : ils évoquent leurs parents jusqu’à la dixième génération, et se mettent à en parler. On leur demande : « Pourquoi vous êtes-vous disputés ? » « Eh bien, c’est sa tante et lui son grand-père. » « Non, pas maintenant, mais l’autre jour, pourquoi vous êtes-vous disputés ? ». On s’aperçoit que toutes ces discordes ont été imaginées pendant ces deux jours.
Le Tsektran a toléré une série d’exagérations, et d ‘exagérations nuisibles, il a toléré de la bureaucratie inutile. Des exagérations, il y en a partout. Il y a des administrations qui, à Moscou seulement, ont trente mille employés. Ce ne sont pas des prunes que cela. Il faut s’en guérir, franchir ce mur. Il ne faut pas avoir peur, il ne faut pas penser que les uns lèsent les autres, que les uns soient traqués par les autres. Si l’on engage la lutte fractionnelle et que l’on dit : c’est Tomski qui est coupable, parce qu’il a développé dans les masses un esprit d’inimitié envers les membres du Tsektran, le problème s’en trouvera complétement faussé ; tout notre travail sera au départ compromis, de même que tous les rapports avec les syndicats. Or, les syndicats, c’est le prolétariat dans son ensemble. En insistant sur ce point, en votant par programmes, on provoquera la chute du pouvoir des Soviets.
Si le parti rompt avec les syndicats, il a tort, et ce sera à coup sûr la perte du pouvoir soviétique. Nous n’avons pas d’autre soutien que des millions de prolétaires, inconscients, le plus souvent incultes, peu évolués, illettrés, mais qui, en tant que prolétaires, suivent leur parti. Il y a vingt ans qu’ils estiment que c’est leur parti. Puis vient une classe qui n’est pas la nôtre, qui sera peut-être pour nous, si nous sommes intelligents et si nous appliquons une politique juste dans notre classe. Nous sommes arrivés au moment crucial de notre révolution, nous avons soulevé des masses de prolétaires, nous avons soulevé les masses de paysans pauvres de la campagne pour qu’elles nous soutiennent consciemment. Ceci, aucune révolution ne l’a fait. Aucune classe ne peut nous renverser : la majorité du prolétariat et de la paysannerie pauvre est pour nous. Nul ne peut causer notre perte, sauf nos propres erreurs. Tout est dans ce « si ». Si nous provoquons une scission dont nous sommes responsables, tout s’écroulera, pour cette raison que les syndicats ne sont pas seulement une administration, mais aussi la source d’où nous tirons tout notre pouvoir. C’est cette classe dont l’économie capitaliste a fait l’unificateur économique, qui réunit grâce à son industrie les millions de paysans dispersés et éparpillés. Et c’est pourquoi un seul prolétaire est plus fort que deux cents paysans.
Et voilà pourquoi la manière dont Trotski aborde le problème est totalement erronée. Je pourrais prendre n’importe quelle thèse et l’analyser : il faudrait pour cela non pas une heure mais dix, et tout le monde se sauverait, car ce serait ennuyeux. Chaque thèse procède de ce principe erroné au départ : « de nombreux syndicalistes développent un esprit d’animosité ». Un esprit d’inimitié à notre endroit s’est développé dans la masse des syndicats, par suite des erreurs, par suite de la bureaucratie tolérée par les dirigeants, y compris moi-même, puisque c’est moi qui ai désigné le Glavpolitpout. Comment faire ? Corriger ? Il faut corriger les excès du Tsektran, en comprenant que le parti est un parti ferme, ouvrier, qui tient bon sur ses jambes et a toute sa tête. Nous ne renions ni le principe de la désignation, ni la dictature. L’ouvrier, passé par une école de vingt années en Russie, ne l’admettrait pas. Si nous soutenons cette erreur, c’en sera fait de nous, à coup sûr ; or, il y a là une erreur et c’est là le fond du problème.
Trotski dit que Lozovski et Tomski repoussent les nouvelles tâches. Si on le démontre, l’affaire change d’aspect. Quelles sont ces nouvelles tâches ?
Ici, on nous dit : « atmosphère de production », « démocratie de la production », « rôle dans la production ». Dès le début, à la discussion du 30 décembre, j’ai dit que tout cela n’est que littérature, que l’ouvrier n’y comprend rien, que tout cela est impliqué dans les tâches de la propagande de production2. Nous ne renonçons pas à la dictature, à la direction unique, elles demeurent, je les soutiendrai ; mais je ne défendrai pas la sottise et les excès. « L’atmosphère de production » est une expression risible, dont les ouvriers riront. Pour parler plus simplement et plus clairement, c’est tout simplement la propagande de production. Mais un organisme spécial existe à cet effet.
Pour ce qui est d’élever le rôle des syndicats dans la production, j’ai répondu le 30 décembre, j’ai répondu dans la presse qu’il existe une résolution du camarade Roudzoutak, adoptée à la conférence du 5 novembre. Les camarades Trotski et Boukharine affirment qu’elle a été rédigée par le Tsektran. Bien que ce fait ait été démenti, je dirai que si c’est lui, qui donc alors s’écarte des nouvelles tâches ? Les syndicats l’ont adoptée, le Tsektran l’a rédigée. Eh bien, c’est parfait, après cela les enfants n’ont plus à se disputer et à soulever des divergences fractionnelles. Le camarade Trotski a-t-il de nouvelles tâches ? Non. Et ce qu’il a de nouveau est pire. Là est le fond de la question. Le camarade Trotski bataille pour que le parti condamne ceux qui repoussent les nouvelles tâches, et désigne les camarades Tomski et Lozovski comme les plus grands pécheurs.
Roudzoutak exprime tout plus clairement et simplement, il ne parle ni d’« atmosphère de production », ni de « démocratie de la production ». II dit clairement que chaque membre du syndicat doit être conscient qu’il est absolument indispensable d’élever la productivité dans le pays. C’est écrit dans une langue simple et compréhensible. Il a tout mieux exprimé que Trotski, et plus complètement, parce qu’il a ajouté les primes en nature et les tribunaux disciplinaires. Sans cela, tous les discours affirmant que nous rétablirons les transports, apporterons une amélioration, ne sont que verbiage. Organisons des commissions, organisons des tribunaux disciplinaires. On a exagéré dans ce sens au Tsektran. Nous proposons de dire que les excès sont des excès, qu’il est inutile de les défendre au moyen de tâches nouvelles, qu’il faut les corriger. Nous ne renonçons pas à user de la contrainte. Aucun ouvrier de bon sens n’ira dire que l’on peut se passer maintenant de la contrainte ou dissoudre les syndicats, ou bien leur confier toute la production. Seul le camarade Chliapnikov a pu lâcher cette bourde.
Dans tout le discours du camarade Chliapnikov, il y a un passage admirable, où il dit que chez nous, à Sormovo, une expérience a été tentée, l’absentéisme a été réduit de 30 %. On dit que c’est vrai, mais comme je suis méfiant, je suis d’avis d’envoyer une commission enquêter, comparer Nijni et Pétrograd. C’est une chose qu’on peut faire non pas à une réunion, mais dans une commission de travail. Trotski dit que l’on veut faire obstacle à l’amalgame. Fadaises que tout cela. Le camarade Trotski dit qu’il faut aller de l’avant ; si la voiture est bonne, il faut aller de l’avant, mais si elle va de travers, il faut faire marche arrière. Cela sera utile pour le parti, parce qu’on doit étudier l’expérience.
La production est arrêtée, alors on s’est mis à la production de mauvaises thèses. C’est un travail qui exige étude et expérience. Vous autres, syndicalistes, vous autres, ouvriers des mines, vous faites votre travail. Permettez, si vous le faites, alors interrogez, exigez les chiffres, vérifiez vingt fois, ne croyez pas un seul mot, et seulement alors, annoncez le résultat. S’il est bon, allez de l’avant, s’il est mauvais, faites machine arrière. C’est du travail, et non de la logomachie. Voilà ce qu’il fallait faire aux ·6unions du parti.
Au VIIIe Congrès des Soviets, j’ai dit qu’il nous faudrait un peu moins de politique. En le disant, je pensais que nous n’aurions plus d’erreurs politiques, et voilà que trois ans après la révolution soviétique, nous parlons de syndicalisme ; c’est une honte. Si l’on m’avait dit, il y a six mois, que j’écrirais sur un tel sujet, j’aurais plutôt parlé du bassin du Donetz. Maintenant, on détourne notre attention et on tire le parti en arrière. Une petite erreur dégénère en une grande. J’en viens maintenant au camarade Chliapnikov. Au point 16 de ses thèses, le camarade Trotski relève correctement l’erreur de Chliapnikov.
En jouant les tampons, Boukharine s’est raccroché à Chliapnikov ; mieux eût valu se raccrocher à un fétu de paille. Il promet aux syndicats des candidatures obligatoires. Par conséquent, c’est le syndicat qui désigne. C’est exactement ce que dit Chliapnikov. Dans le monde entier, les marxistes ont combattu le syndicalisme. Il y a plus de vingt ans que nous luttons dans le parti, que nous avons démontré aux ouvriers par des actes, et non par dos paroles, que le parti est quelque chose de particulier, qu’il lui faut des hommes conscients, prêts à faire le sacrifice de leur vie, qu’il commet des erreurs, mais qu’il les corrige, qu’il guide et sélectionne des hommes qui doivent savoir quel chemin reste à parcourir et quels obstacles restent encore à franchir. Le parti ne trompe pas les ouvriers. Il ne fait pas de promesses impossibles à tenir. Et si vous sautez par-dessus les syndicats, vous réduisez à néant nos trois années de travail, vous remettez tout en question. Le camarade Boukharine à qui j’ai parlé de cette erreur, m’a dit : « Camarade Lénine, vous nous cherchez noise. »
Je conçois qu’on présente les candidatures obligatoires sous la direction du Comité central du parti. Mais alors quels droits donnons-nous donc ? Pas question de réaliser une coalition. Les ouvriers et les paysans sont deux classes différentes. Si l’électricité se répandait en vingt ans partout, dans tout le pays, ce serait extraordinairement rapide. On ne peut pas faire cela rapidement. Mais c’est alors seulement que nous pourrons parler de transmettre les droits aux syndicats ; avant, ce serait tromper les ouvriers. La dictature du prolétariat est la plus solide qui soit au monde, parce qu’ici la confiance a été gagnée par les actes et que le parti a veillé rigoureusement à empêcher toute déliquescence.
Que cela signifie-t-il ?
Chaque ouvrier saurait-il administrer l’Etat ? Les gens pratiques savent que c’est une fable, que nos millions d’ouvriers organisés dans les syndicats traversent la période dont nous avons parlé, à savoir que les syndicats sont l’école du communisme et de la gestion. Lorsqu’ils l’auront fréquentée pendant des années, ils auront appris, mais les progrès sont lents. Nous n’avons même pas liquidé l’analphabétisme. Nous savons comment les ouvriers liés à la paysannerie se laissent séduire par des mots d’ordre non prolétariens. Combien d’ouvriers ont participé à la gestion ? Quelques milliers dans toute la Russie, c’est tout. Si nous disons que ce n’est pas le parti, mais les syndicats eux-mêmes qui vont présenter les candidatures et diriger, cela aura une allure très démocratique et nous donnera peut-être des voix, mais pas pour longtemps. Ce serait la fin de la dictature du prolétariat.
Lisez la résolution du IIe Congrès de l’Internationale Communiste. Ses décisions et résolutions ont fait le tour du monde. Dernièrement, le congrès socialiste de France a montré que, dans ce pays chauvin à l’extrême, nous avons gagné la majorité ; le parti s’est scindé, les dirigeants pourris ont été chassés et ceci, contre les syndicalistes. Et tous, ils ont adopté notre théorie, tous les meilleurs ouvriers, tous les meilleurs chefs. Même les syndicalistes du monde entier, les syndicalistes révolutionnaires, viennent à nous. J’ai vu moi-même les syndicalistes américains qui après un séjour chez nous disent à présent : « Oui, vraiment, sans le parti on ne peut pas diriger le prolétariat. » Vous le savez pratiquement. Et il ne sied nullement au prolétariat de se jeter dans les bras du syndicalisme, de parler de candidatures obligatoires « aux congrès des producteurs de Russie ». C’est dangereux, cela sape le rôle dirigeant du parti. Les ouvriers organisés ne représentent actuellement qu’un pourcentage infime dans le pays. Et la paysannerie suivra le parti dans sa majorité, parce que la politique du parti est juste, parce qu’au moment le plus critique, au moment de la paix de Brest-Litovsk, il a su consentir des sacrifices temporaires, battre provisoirement en retraite, et que le résultat a été bon. Comment rejeter tout cela ? Est-ce le fruit du hasard ? C’est la conquête des objectifs poursuivis par le parti pendant des dizaines d’années. Chacun croit sur parole les bolchéviks qui ont suivi pendant vingt ans l’école du parti.
Pour diriger, il faut avoir une armée de communistes révolutionnaires aguerris ; cette armée existe, elle s’appelle le parti. Toutes les balivernes syndicalistes, les candidatures obligatoires de producteurs, tout cela doit être jeté dans la corbeille à papiers. S’engager dans cette voie c’est en fait jeter le parti par-dessus bord, cela signifie en fait qu’il ne peut y avoir de dictature du prolétariat en Russie. Tel est le point de vue que je considérais de mon devoir de membre du parti de vous exposer ; il est, à mon avis, exposé sous forme de thèses pratiques dans le « Projet de
Décision du Xe Congrès du P.C.R. », signé par Lénine, Zinoviev, Tomski, Roudzoutak, Kalinine, Kaménev, Lozovski, Pétrovski, Serguéev et Staline. Lozovski, qui n’est pas membre du Comité central, y figure parce qu’il a travaillé dans la commission syndicale qu’ont malheureusement quittée Chliapnikov et Loutovinov. Les ouvriers jugeront si Chliapnikov a bien fait de se retirer. S’il a mal agi, ils le condamneront. Je suis persuadé que tous les ouvriers conscients adopteront ce programme, et que les divergences actuelles qui divisent notre parti ne seront qu’un accès de fièvre des dirigeants, que les ouvriers les corrigeront, resteront à leurs postes, défendront la discipline du parti, élèveront à tout prix la production par un travail fraternel, pratique, efficace et prudent, et nous donneront une victoire complète. (Applaudissements prolongés.)
Publié le 25 janvier 1921
dans le « Bulletin du IIe
Congrès des mineurs de Russie » n° 1
Conforme au texte du « Bulletin »