J’avais justement l’intention, camarades, de commencer mon discours par la question de savoir qui veut faire peur à l’autre, et de nommer le camarade Chliapnikov qui, lui, nous a bien effrayés. Tout le monde a dit ici que Lénine agite l’épouvantail du syndicalisme. Dire que Lénine veut effrayer c’est s’exposer au ridicule, car l’idée de présenter le syndicalisme comme un épouvantail est ridicule. Je suppose que la première chose à faire, c’est de commencer par nos programmes, c’est de lire celui du parti communiste et de voir ce qu’il contient. Les camarades Trotski et Chliapnikov évoquent tous deux le même passage du programme communiste, passage qui se trouve précisément au point 5. Le voici in extenso :
« 5. L’appareil d’organisation de l’industrie socialise doit s’appuyer au premier chef sur les syndicats. Ceux-ci doivent s’affranchir de plus en plus de l’étroitesse corporative pour devenir de grandes associations de production, rassemblant la majorité, puis progressivement la totalité des travailleurs d’une branche donnée de la production. »
Le camarade Chliapnikov a cité ce passage dans son discours. Mais si les chiffres étaient exacts, il y aurait 60 % de dirigeants d’organisations et ces 60 % seraient des ouvriers. Poursuivons. Si l’on veut se référer au programme, il faut le faire convenablement, il faut se souvenir que les membres du parti le connaissent intégralement et ne pas en lire un petit passage sans plus, comme le font Trotski et Chliapnikov. Il est historiquement démontré, camarades, que les ouvriers ne peuvent s’unir autrement que par branches de production. C’est pourquoi dans le monde entier, tous en sont arrivés à l’idée des syndicats de production. Bien sûr, c’est provisoire. On parle de la nécessité de s’affranchir de l’étroitesse corporative. Mais s’en est-on affranchi, ne fût-ce que d’un dixième ?
Tous ceux qui veulent être sincères diront non, bien sûr. Pourquoi donc l’oublier ?Qui dit aux syndicats : « Vous ne vous êtes pas encore affranchis de l’étroitesse corporative, mais vous devez le faire » ? C’est le Parti communiste de Russie dans son programme. Lisez ce programme. S’en écarter signifie s’écarter du programme pour se rapprocher du syndicalisme. On aura beau laisser entendre que Lénine veut effrayer on ne sait qui, le programme est là. En citer la première partie et oublier la deuxième, c’est s’en écarter. Dans quelle direction ? En direction du syndicalisme. Je lis plus loin :
« Devenus, conformément aux lois de la République des Soviets et à la pratique en vigueur, membres de tous les organismes de gestion industrielle tant locaux que centraux, les syndicats doivent parvenir à concentrer effectivement entre leurs mains toute la direction de toute l’économie nationale considérée comme un ensemble économique unique. »
Tout le monde se réfère à ce passage. Que dit-il ? Une chose absolument incontestable : « Ils doivent parvenir. » Il ne dit pas qu’ils y parviennent maintenant. Il n’y a pas ici l’exagération qui aboutit à l’absurdité. Il dit « parvenir ». A quoi ? A diriger et à concentrer effectivement. Quand devrez-vous y parvenir ? Pour cela, il faut l’éducation. Il faut éduquer de telle façon que chacun sans exception sache diriger, sache comment le faire. En toute conscience, pouvez-vous affirmer maintenant que les syndicats sont capables de promouvoir toujours un nombre illimité de dirigeants compétents ? Ce n’est pourtant pas six millions d’hommes qu’il faut pour ces postes, mais peut-être soixante mille, disons, cent mille. Les syndicats peuvent-ils les fournir ? Tous ceux qui ne s’emballent pas pour les formules, pour les thèses et ne se traînent pas à la remorque de ceux qui crient le plus fort, diront que non, que cela n’est pas encore possible. Pendant des années, le parti aura à faire un travail d’éducation, depuis la liquidation de l’analphabétisme jusqu’à l’ensemble des activités du parti dans les syndicats. Il y a une œuvre immense à réaliser dans les syndicats pour atteindre cet objectif par la voie voulue. Il est dit : « doivent parvenir à concentrer effectivement entre leurs mains toute la direction de toute l’économie nationale ». Il n’est pas dit : des branches de l’industrie, comme dans les thèses de ce même Trotski. Dans l’une des premières thèses, la citation est correcte, mais dans une autre, il parle de l’organisation de l’industrie. Qu’on m’excuse, mais il n’est pas permis de citer de la sorte. Si vous rédigez des thèses, si vous voulez vous référer à un programme, lisez-le jusqu’au bout. Et quiconque lira ce paragraphe 5 du début à la fin, y réfléchira un peu en y consacrant dix minutes, verra que Chliapnikov s’est écarté du programme, tandis que Trotski a exécuté un bond. Lisez ce paragraphe 5 jusqu’au bout :
« Assurant ainsi la liaison indissoluble entre la direction centralisée de l’économie nationale par l’Etat et les larges masses laborieuses, les syndicats doivent entraîner ces dernières, de la façon la plus large, à la gestion directe de l’économie. La participation des syndicats et des larges masses qu’ils initient à la gestion de l’économie constitue, en même temps, le moyen principal pour lutter contre la bureaucratisation de l’appareil économique du pouvoir des Soviets, et permet d’instaurer un véritable contrôle du peuple sur les résultats de la production. »
Voyez : vous devez d’abord arriver à une concentration dans les faits. Mais qu’est-ce que vous assurez aujourd’hui ? La liaison avec la direction centralisée d’Etat, primo. C’est un colosse. Vous ne nous avez pas appris à le manier. Ainsi, primo assurer la liaison avec la direction centralisée de l’Etat, secundo avec l’économie nationale, tertio avec les masses. Avons-nous réalisé cette liaison ? Eh bien, les syndicats peuvent- ils assurer la gestion ? Tous ceux qui ont plus de trente ans et ont quelque expérience pratique de l’édification soviétique, éclateront de rire. Lisez :
« La participation des syndicats et des larges masses qu’ils initient à la gestion de l’économie, constitue, en même temps, le moyen principal pour lutter contre la bureaucratisation de l’appareil économique du pouvoir des Soviets, et permet d ‘instaurer un véritable contrôle du peuple sur les résultats de la production. »
Il s’agit d’abord d’établir le lien avec les directions centralisées de l’Etat. Nous ne cherchons pas à dissimuler cette maladie, et nous avons dit dans le programme : assurez la liaison avec les masses, et, deuxièmement, la participation des syndicats à la gestion de l’économie. Il n’y a là-dedans aucun mot ronflant. Lorsque vous l’aurez fait de façon à réduire l’absentéisme non de 30 %, mais ne serait-ce que de 3 %, nous dirons : voilà une réalisation superbe, précieuse et utile. « La participation des syndicats et des larges masses qu’ils initient à la gestion de l’économie. » Voilà ce que dit aujourd’hui le programme. Pas un mot de promesse, rien de ronflant, rien qui ressemble à ce que vous choisissez. Le programme ne fait pas de démagogie, il dit qu’il y a des masses ignorantes, arriérées, qu’il y a des syndicats assez puissants pour entraîner toute la paysannerie, et qui eux-mêmes marchent sous la direction d’un parti trempé par vingt années de lutte contre le tsarisme.
Aucun pays n’a traversé autant d’épreuves que la Russie. Voilà tout le mécanisme grâce auquel nous tenons. Pourquoi considère-t-on cela comme un miracle ? Parce que dans un pays de paysans, seuls les syndicats peuvent grouper économiquement des millions d’exploitations dispersées, à condition que la masse de six millions d’hommes fasse elle-même confiance à son parti et le suive comme elle l’a suivi jusqu’à présent. Voilà le mécanisme grâce auquel nous tenons. Comment fonctionne-t-il, c’est une question politique. Pourquoi une minorité peut-elle diriger un pays paysan dans son écrasante majorité et pourquoi sommes-nous tranquilles ? Après trois années d’expérience, personne au monde, ni à l’extérieur ni à l’intérieur, ne peut nous briser ; si nous ne commettons pas quelque sottise extraordinaire qui nous conduise jusqu’à la scission, nous maintiendrons notre position, sinon nous risquons de causer notre perte. C’est pourquoi lorsque le camarade Chliapnikov dit et écrit dans son programme :
« Le congrès des producteurs de Russie élit la direction de l’économie nationale »,
je vous dis : lisez intégralement le paragraphe 5 de notre programme que je vous ai cité, et vous verrez que ni Lénine, ni personne ne cherche à effrayer.
Chliapnikov a dit à la fin de son discours : « Finissons-on avec la bureaucratie de l’Etat et la bureaucratie de l’économie nationale. » J’affirme que c’est de la démagogie. Nous mettons la bureaucratie à l’ordre du jour depuis le mois de juillet de l’année dernière. En juillet de l’année dernière, après le IXe Congrès du Parti communiste de Russie, Préobrajenski, lui aussi, pose la question : « N’avons-nous pas des excès bureaucratiques ? » Attention ! En août, le Comité central ratifie la lettre de Zinoviev : « Luttez contre la bureaucratie. » Une conférence du parti se réunit en septembre pour l’entériner. Ce n’est donc pas Lénine qui a inventé une nouvelle voie, comme l’affirme Trotski, mais le parti qui a dit : « Un nouveau malaise est apparu, gare. » En juillet, Préobrajenski pose cette question ; en août, c’est la lettre de Zinoviev ; en septembre, la conférence du parti ; en décembre, au congrès des Soviets, un immense rapport sur la bureaucratie. Il y a donc malaise. En 1919, nous avons écrit dans notre programme que la bureaucratie existe dans notre pays. Celui qui vous propose d’en finir avec la bureaucratie est un démagogue. Si l’on vient vous dire : « finissons-en avec la bureaucratie », c’est de la démagogie. Ce sont des sottises. Contre la bureaucratie, nous lutterons pendant de longues années, et qui pense autrement, est un charlatan et un démagogue, parce que pour vaincre la bureaucratie, il faut des centaines de mesures, il faut que l’analphabétisme ait complètement disparu, que la culture soit généralisée, que tout le monde participe à l’Inspection ouvrière et paysanne1. Chliapnikov a été Commissaire du Peuple au Travail, il a été Commissaire du Peuple au Commerce et l’Industrie. Eh bien, a-t-il mis fin à la bureaucratie ? Kissélev a été à la Direction principale de l’industrie textile. A-t-il mis fin à la bureaucratie ?
Je répète que le jour où tous nos congrès se constitueront on sections pour recueillir des faits relatifs à l’amalgame chez les ouvriers de la meunerie et les mineurs du Donbass, nous serons adultes. Mais si nous avons rédigé toute une série de programmes qui ne valent rien, cela démontre que nous ne sommes pas les maîtres. Je répète que personne ne nous brisera, aucune force ni extérieure ni intérieure, si nous n’allons pas jusqu’à la scission. Je dis que le Tsektran n’est pas seulement une trique, mais cette exagération a conduit à la scission. La bureaucratie hypertrophiée existe partout, le Comité central le sait, il en est responsable. Et de ce point de vue, l’erreur du camarade Trotski, c’est d’avoir rédigé toutes ses thèses dans l’esprit inverse. Elles sont toutes rédigées dans l’esprit de la politique visant à secouer, et elles ont toutes conduit le syndicat au bord de la scission. Il ne s’agit pas de mettre une mauvaise note au camarade Trotski, nous ne sommes pas à l’école, et nous n’avons que faire des notes, mais il faut dire que les thèses du camarade Trotski sont entièrement erronées dans leur contenu, et que pour cette raison, il faut les rejeter.
Publié le 26 janvier 1921
dans le « Bulletin du IIe
Congrès des mineurs de Russie » n° 2