On ne peut pas comprendre l’émergence d’Uzeyir Hadjibeyov et d’Aram Khatchatourian sans saisir le soutien général de l’État soviétique central aux différentes républiques en général. Il s’agissait d’élever leur niveau culturel en appuyant leur propre culture et en aidant à améliorer le niveau technique, sans en rien brimer le développement national propre.
Les oeuvres de l’Arménien Haro Stepanian, inconnu aujourd’hui, reflètent ce parcours national-démocratique intégré dans la construction du socialisme.
Les Unions de compositeurs furent généralisées, comme en 1932 avec l’Arménie, la Géorgie, l’Ukraine, en 1934 avec l’Azerbaïdjan, en 1938 avec la Biélorussie et l’Ouzbékistan, etc.
Cette politique était considérée comme centrale et essentielle ; lorsque le festival d’art ukrainien se tint à Moscou en mars 1936, toute les principales figures du Parti assistent aux principales représentations, la presse en parle très largement, etc.
En mai 1936 se tint pareillement le festival d’art kazakh, dont l’œuvre majeure, acclamée, fut l’opéra Kyz Jibek, La fille de la soie.
Kyz Jibek est une épopée romantique du XVIe siècle représentant le summum de la tradition culturelle kazakh ; l’opéra se fonde sa tradition musicale, par un travail de synthèse d’Evgueni Broussilovski pour la musique et de Gabit Mousrepov pour le livret.
La chanteuse Kulyash Baiseitova, née en 1912, reçut immédiatement le titre d’artiste populaire de l’URSS. La chanteuse d’opéra Valeria Vladimirovna Barsova (artiste populaire de l’URSS en 1937, prix Staline en 1941) dit d’elle:
« L’apparence étonnante de cette chanteuse m’a fait une impression formidable. Je n’ai pas pu en trouver une avec qui la comparer – la voix haute, légère et transparente de la chanteuse kazakhe est si individuelle et particulière. Kulyash Baiseitova est la véritable fierté non seulement des Kazakhs, mais aussi de tout notre art soviétique. »
Voici une valse kazakh chantée par Kulyash Baiseitova.
En 1937 eurent pareillement lieu à Moscou les festivals géorgien et ouzbek. L’URSS lançant des dynamiques culturelles qui se reflétaient dans des productions reconnues au niveau central.
Le kirghize Abdylas Maldybaev (1906-1978) fut épaulé par les compositeurs russes Vladimir Vlasov et Vladimir Fere pour une série d’œuvres dont le drame musical Adshal orduna (Pas la mort, mais la vie, 1938), Aichurek (Beauté lunaire, 1939), Patriotes (1941), Manas (1946).
Aichurek, joué en mai 1939 au Bolchoï, La Pravda constatant que :
« Aichurek est une preuve claire et convaincante des énormes forces créatrices du peuple kirghize, dont l’art a si récemment commencé à déployer ses ailes. »
L’œuvre s’appuie sur l’Épopée de Manas, du héros de la nation kirghize du 17e siècle dont l’action est contée dans un poème de pratiquement 500 000 vers.
L’hymne de la République Socialiste Soviétique du Kirghizistan fut pareillement composée par la même équipe autour de Abdylas Maldybaev.
Le compositeur ukrainien Mikhail Raukhverger s’installa également au Kirghizistan pour contribuer à la production musicale.
Parmi les autres compositeurs notables de toute cette vague productive, il faut également mentionner l’Azéri Qara Qarayev, qui a réalisé un important travail et dont l’œuvre la plus fameuse est le ballet Les sept beautés, qui s’appuient sur l’épopée romantique en persan du poète Nizami Gandjavi, ainsi que la suite qu’il en a tiré.
Le Tatar Färit Yarullin, né en 1913 et mort au front en 1943, réalisa de nombreux travaux, dont le ballet Şüräle, qui se fonde sur le poème éponyme de Ğabdulla Tuqay (1886-1913), la grande figure littéraire nationale tatare.
Le Şüräle est une créature démoniaque de forêt ; sa mise en place initiale n’ayant pas été terminée, l’oeuvre fut remaniée à la suite de la guerre, sous le nom d’Ali Batyr, en 1950.
L’Estonien Eugen Kapp (1908-1996) fut également un important compositeur, qui reçut notamment trois prix Staline, pour son opéra Tasuleegid de 1946, son opéra Vabaduse laulik de 1950, ainsi que son ballet Kalevipoeg de 1952.
Le Kalevipoeg est l‘épopée nationale estonienne, finalement compilée par Friedrich Reinhold Kreutzwald (1803-1882); Eugen Kapp en tirera également une Suite.
Du côté letton, on a Anatoly Lepin (1907-1984), ainsi qu’Adolf Petrovich Skulte (1909-2000), auteur de nombreuses œuvres (symphonies, musique de chambre, pièces pour piano, musique de film comme Lettonie soviétique en 1950, etc.) et notamment prix Staline pour le ballet Ballet La Broche de la liberté en 1950.
L’Arménien Sergueï Balassanian (1902-1982) écrivit en 1939 le premier opéra tadjik, Le soulèvement à Vosse en 1939, ainsi que le ballet Leili et Majnun en 1947 ; le Russe Boris Shekhter (1900-1961) fut à l’origine de la première œuvre symphonique turkmène, avec la suite Turkménistan.
Boris Shekhter s’installa à Ashgabad par la suite et composa l’opéra national turkmène Yusup and Akhmet en 1942 en commun avec le compositeur turkmène Ashir Kliev (1918-2000), puis Seiidi en 1943 avec le compositeur turkmène Dangadar Ovezov (1911-1966).
Le Géorgien Dawid Toradze (1922-1983) eut un rôle majeur avec ses ballets Gorda (1949), ainsi que Pour la paix en 1953.
Il faut ici mentionner le très important danseur et chorégraphe géorgien Vakhtang Chabukiani (1910-1992), une figure historique majeure du ballet.
Mukhtar Ashrafi (1912-1975) composa avec Sergei Vasilenko le premier opéra ouzbek, Bourane, ainsi que de nombreuses autres œuvres, notamment la musique du film Nasreddine à Boukhara.