La question française fut très importante pour l’Internationale Communiste, tout autant que la question allemande, et même la question italienne. L’objectif assumé était de récupérer les socialistes français dans leur majorité, tout comme d’intégrer l’USPD allemande et les socialistes italiens. C’était là assurer une base de masse.
Le congrès de Strasbourg de la SFIO avait choisi en janvier 1920, par 4300 voix contre 300, de quitter la seconde Internationale. Un autre vote du congrès rejetait par contre, avec 2/3 des voix, l’adhésion à l’Internationale Communiste.
Il s’ensuivit un double mouvement : d’une part des discussions avec l’Internationale Communiste, de l’autre des tractations avec l’USPD allemande, ainsi que les socialistes italiens et suisses, pour une conférence internationale au sujet de la question de l’Internationale en général.
Ludovic-Oscar Frossard et Marcel Cachin allèrent donc à Moscou pour des discussions avec l’Internationale Communiste, assistant à deux sessions de son Comité Exécutif. Finalement, la SFIO décidèrent par 2735 voix et 1632 abstentions de les envoyer assister au second congrès de l’Internationale Communiste.
Ce double positionnement était inacceptable pour l’Internationale Communiste, qui exigeait une purge idéologique et organisationnelle de la part des socialistes français. Les deux délégués reçurent donc, comme les délégués de l’USPD, de nombreuses remontrances.
Zinoviev constate ainsi au congrès que Marcel Cachin est sincère, un vrai combattant malgré qu’il ait commis des erreurs. Or, Zinoviev constate qu’en 1920, parlant du président américain Wilson, celui-ci le désigne comme le « dernier grand bourgeois », et parle de la « démocratie américaine » comme s’étant opposé aux événements des dernières années.
C’est là du social-pacifisme à la Jean Jaurès, pour Zinoviev, et c’est insuffisant. Pareillement, Zinoviev constate que Ludovic-Oscar Frossard, dans un écrit de février 1920, explique que l’adhésion à l’Internationale Communiste ne changera pas la question des élections et de l’alliance avec d’autres partis. Et Zinoviev de constater, de manière abrupte :
« Ainsi comme vous voyez, on a ainsi la conception que l’Internationale Communiste est une bonne brasserie, où les représentants des différents pays chantent « l’Internationale » et se font réciproquement des compliments.
Après, on se sépare et on continue ses vieilles pratiques.
Nous ne permettrons jamais cette satanée démarche de la IIde Internationale. »
Par la suite, Ludovic-Oscar Frossard, franc-maçon, refusera la bolchevisation et quittera le mouvement dès la fin du second congrès de l’Internationale Communiste, pour rejoindre les socialistes et devenir relativement un collaborateur du régime de Pétain après 1940. Marcel Cachin quittera lui la franc-maçonnerie comme demandé ; directeur de l’Humanité depuis 1918, il le resta jusqu’à sa mort en 1958.
Zinoviev est également outré que dans L’Humanité, telle tendance ait droit à tant d’articles, telle autre à tant d’articles, etc. Ainsi le centre a huit articles, la droite en a trois et la gauche quatre. Zinoviev compare cela à huit gouttes d’eau distillée, trois gouttes de poison et quatre gouttes de lait comme contre-poison.
Il mentionne une autre habitude néfaste :
« Frossard a expliqué avant son départ de Paris : j’aimerais aller à Moscou sans Renaudel. Nous allons avoir une discussion difficile avec les camarades russes ; c’est mieux qu’il reste à la maison.
Mais dans la lettre à ce sujet, monsieur Renaudel est désigné par Frossard comme « notre ami ». Ces manières françaises, nous devons les abolir.
Elles ne sont également pas totalement françaises. Modigliani écrit également à Serrati et Serrati à Prampolini : mon ami.
Cette méthode française et italienne ne peut pas être la nôtre. »
La critique la plus brutale vint d’Aron Goldenberg, qui dénonça que tel représentant des socialistes français ait voté les crédits de guerre, tel autre le budget ayant servi notamment à l’intervention militaire française contre la Russie rouge.
Les socialistes français ne feraient que reprendre la phraséologie révolutionnaire, alors qu’ils ont soutenu la guerre impérialiste jusqu’au bout ; structurellement, c’est un parti de l’aristocratie ouvrière, avec des réformistes petit-bourgeois s’étant enlisés dans leur propre démarche. Cachin et Frossard reflètent la position des socialistes français, qui est de prétendre qu’ils seraient d’accord sur tout avec l’Internationale Communiste, mais ce serait une duperie.
C’était là une ligne gauchiste, Aron Goldenberg passant d’ailleurs dans le camp de l’ultra-gauche à la toute fin des années 1920, alors que l’ouverture très critique des communistes russes aux socialistes français allait porter ses fruits.