Revenons au fait que c’est l’État qui fabrique l’argent. Bien évidemment, il ne peut pas le fabriquer comme bon lui semble, il ne peut pas simplement utiliser la fameuse « planche à billets » comme il l’entend.
En effet, cet argent, qui n’est que du papier, a une valeur, et il faut que l’État soit en mesure de lui trouver un équivalent, puisqu’il ne s’agit que de papier, et qu’il faut qu’il soit pour autant « crédible. »
Si l’argent n’a pas de valeur, les capitalistes ne vont pas l’utiliser. C’est la raison du triomphe du dollar, de l’euro, etc. sur d’autres monnaies dont la valeur n’est pas assurée, pouvant s’effondrer, etc.
Voici ce qu’enseigne Marx :
« L’État jette dans la circulation des billets de papier sur lesquels sont inscrits des dénominations de numéraires telles que 1 livre sterling, 5 livres sterling, etc.
En tant que ces billets circulent réellement à la place du poids d’or de la même dénomination, leur mouvement ne fait que refléter les lois du cours de la monnaie réelle.
Une loi spéciale de la circulation du papier ne peut résulter que de son rôle de représentant de l’or ou de l’argent, et cette loi est très simple : elle consiste en ce que l’émission du papier-monnaie doit être proportionnée à la quantité d’or (ou d’argent) dont il est le symbole et qui devrait réellement circuler. »
Ce qu’on appelle argent vaut ici de l’or, de l’argent, etc. L’État doit donner des gages, il doit être crédible, sa monnaie doit valoir quelque chose, sinon les billets seraient aussi peu valables que ceux du monopoly.
C’est le principe de l’étalon-or : dans les coffres de la banque nationale, il y a de l’or, équivalent à l’argent en circulation. Nous verrons, en parlant de la question de l’accumulation du capital, que la question de cet or au démarrage du capitalisme, est un sujet épineux.
Cependant, pour ce qui nous intéresse ici, et comme nous le savons, l’étalon-or a été « abandonné ».
Notre maître Marx se serait-il trompé ? Absolument pas.
L’étalon-or n’a, en réalité, pas été abandonné, mais dépassé. La raison en est ni plus ni moins que le crédit. Il y a tellement d’échanges que l’argent est obligé de s’échanger à une vitesse si grande qu’il en est dématérialisé.
Regardons cela. Que nous dit Karl Marx au sujet de l’argent ? Il nous dit :
« Plus la production marchande se développe et s’étend, moins la fonction de la monnaie comme moyen de payement est restreinte à la sphère de la circulation des produits. La monnaie devient la marchandise générale des contrats. »
La monnaie est présente à tous les niveaux du capitalisme. Elle est tellement présente qu’elle s’est dématérialisée. La carte de crédit est devenu historiquement l’outil pour accélérer les échanges : lorsqu’on paye en carte, on gagne du temps, puisque l’argent n’est pas remis à soi-même, puis remis à la caisse, puis remis à la banque. Cela passe de banque en banque.
Or, le principe du crédit est qu’on peut parfois payer sans disposer de l’argent. C’est là que s’effondre le principe d’un équivalent réel, sous la forme d’or ou d’argent, à l’argent qui circule sous la forme de billets et de pièces.
Vérifions cela chez Marx : que dit-il au sujet des trésors, des coffres des pays capitalistes, dans leur rapport avec la circulation des marchandises ?
Il dit :
« Le fleuve aux vagues d’argent et d’or possède un double courant.
D’un côté, il se répand à partir de sa source sur tout le marché du monde, où les différentes enceintes nationales le détournent en proportions diverses, pour qu’il pénètre leurs canaux de circulation intérieure, remplace leurs monnaies usées, fournisse la matière des articles de luxe, et enfin se pétrifie sous la forme de trésor.
Cette première direction lui est imprimée par les pays dont les marchandises s’échangent directement avec l’or et l’argent aux sources de leur production.
En même temps, les métaux précieux courent de côté et d’autre, et ce mouvement suit les oscillations incessantes du cours de change.
Les pays dans lesquels la production a atteint un haut degré de développement restreignent au minimum exigé par leurs fonctions spécifiques les trésors entassés dans les réservoirs des banques.
A part certaines exceptions, le débordement de ces réservoirs par trop au-dessus de leur niveau moyen est un signe de stagnation dans la circulation des marchandises ou d’une interruption dans le cours de leurs métamorphoses. »
Ce que dit Marx, c’est que plus il y a d’échanges, plus l’argent circule vite, donc moins il y a besoin d’argent, donc moins besoin de stock d’or équivalent.
Pourquoi l’étalon-or a-t-il alors été abandonné ? Simplement, car l’argent circulant a désormais d’autres équivalents, consistant en certaines possessions de l’État.
Si l’État français fait bien attention à conserver comme il se doit la Tour Eiffel, les Champs-Élysée, etc., c’est que ces possessions étatiques ont de la valeur et jouent un rôle comme équivalent symbolique de l’argent circulant.
Pourquoi symbolique ? Parce que le capital bancaire joue désormais un rôle essentiel dans les échanges, renforçant la « dématérialisation » ; nous en reparlerons par la suite, au moment de la circulation du capital, mais également de l’accumulation du capital.