Le film détourne un épisode du nouveau testament (Youssef Chahine, le réalisateur, est un chrétien d’Egypte) auquel il emprunte son titre.
L’enfant prodigue, c’est Ali, que tout le monde attend depuis qu’il est parti il y a douze ans. Sa famille, les Madbouli, est propriétaire d’une minoterie (confection de farine) qui fait vivre le village. Depuis son départ, son frère Tolba mène d’une main de fer les ouvriers et ne procède pas à la modernisation des machines. Les ouvriers se remémorent la rébellion qu’incarnait Ali et ses paroles : « Je n’admets pas l’esclavage ! ».
Un jour, Ali revient… mais il a changé et ne se montre pas à la hauteur du souvenir qu’il a laissé. Il ne reconnaît pas sa cousine Fatma qui l’aime et a attendu patiemment son retour. Chahine reprend ici l’histoire du mariage d’Ali ibn Abi Talib et de Fatima, respectivement cousin et fille de Mahomet. Dans le Coran, Fatima ne dit mot quand Mahomet lui propose de se marier avec Ali, ce qu’il interprète comme une marque de consentement, mais c’est cette forme de passivité qu’interprète Chahine.
Le film montre très bien que les ouvriers ont eu tort de chérir une image de révolte appartenant au passé, sans oser prendre leur destin en main. Fatma aussi se rend compte qu’elle a perdu son temps à rêver à un Ali révolté qui n’existe plus. Pourtant, les deux se résignent au mariage par soumission à un destin « tout tracé ».
L’attentisme des ouvriers finira par leur coûter cher. Un jour, Hassouna se blesse, victime de la vétusté d’une machine de l’usine. Sa femme brise un carreau de l’usine et exhorte Ali à en faire de même mais celui-ci s’en montre incapable.
Ali est un révolté du monde ancien et aujourd’hui complètement dépassé. L’espoir s’incarne dans le monde nouveau, la fille de Hassouna, Tafida, qui aime Ibrahim, le fils de Tolba, aussi révolté que son oncle Ali dans sa jeunesse. Ibrahim veut continuer ses études à l’étranger mais Tafida est bien résolue à ne pas l’attendre en vain, pour ne pas ressembler à Fatma.
Ces deux jeunes veulent fuir le climat irrespirable de la famille Madbouli et du village. D’ailleurs, tout le malheur rentré, la frustration de l’attente déçue ne peut que se terminer mal. Les noces entre Ali et Fatma sont frappés par la folie meurtrière des deux frères Madbouli. Une fusillade éclate entre Tolba et Ali et Fatma finit par tuer Tolba d’un coup de poignard (ce dernier, qui représente la véritable figure du salaud sans scrupule, l’avait d’ailleurs violée plus jeune).
Tafida et Ibrahim n’ont pas assisté à cette tuerie, ils sont déjà loin du domaine Madbouli où, comme le grand-père de la famille l’a dit, « aucun amour n’est possible ».
Ce film exprime très bien la lutte entre le monde ancien et le monde nouveau qui tourne inévitablement à l’avantage du second. L’échec de la rébellion romantique est également patent : les ouvriers se sont détourné du présent pour idéaliser une icône du passé.
Il témoigne aussi du caractère profondément maladif d’une grande famille bourgeoisie rongée par l’hypocrisie, les non-dits, les traditions, la sclérose des sentiments, le poids du passé, autant d’éléments conjugués qui conduisent à la mort. Enfin, le film sorti en 1976 fait un clin d’oeil appuyé à la révolution chinoise. Ainsi, quand Ali reproche à son père de ne pas l’avoir aidé, celui-ci lui répond : « 800 millions de Chinois se sont bien débrouillés tous seuls, eux ! ».
Le retour de l’enfant prodigue est aussi un film remarquable pour les chansons très belles qui l’animent, avec des chorégraphies très spontanées et entraînantes. On retiendra particulièrement « La rue est à nous » et « Bye-bye » (le dernier jour du lycée) interprété par la chanteuse libanaise Magda El Roumi (qui joue le rôle de Tafida), dont le film lancera la carrière.