Il n’était évidemment pas possible pour les révisionnistes de rejeter Staline d’un coup. Les masses avaient compris la valeur de Staline. Il n’était plus possible de renverser la tendance en ce sens. Il fallait donc l’étouffer.

Cet aspect est très important. Vu de l’extérieur de l’URSS, le PCUS a procédé à une « déstalinisation », à un rejet massif. Mais vu de l’intérieur, cela était présenté comme une « rectification », les points fondamentaux étant résolument masqués aux masses.

Cela a amené d’ailleurs certains à sous-estimer le rejet de Staline par la clique dirigeante de l’URSS, alors qu’il a été total. Seulement, il n’a pas été public, l’URSS devenant un pays social-impérialiste où la bourgeoisie était littéralement une caste à part.

On peut ainsi voir qu’entre le XIXe et le XXe congrès, soit entre 1952 et 1956, il n’y a pas de modification franchement apparente quant à la référence à Staline par le Parti dirigeant l’URSS.

L’immense Staline

L’immense Staline

Il y avait quelques gommages déjà fait, cependant. Les slogans du premier mai mis en avant à partir du 21 avril 1953 appelaient eux-mêmes à la « coexistence pacifique » internationale, à la légalité socialiste, le nom de Staline étant pratiquement omis.

La constitution fut désormais qualifiée de « soviétique » et non plus de relevant de Staline, la jeunesse communiste, auparavant Komsomol de Lénine et Staline, devint l’Union Communiste pansoviétique de la jeunesse.

En fait, dans les quinze jours suivant la mort de Staline, il y eut un processus d’abandon de la référence à Staline, de manière insidieuse : ses citations ne lui furent plus attribuées, il ne fut plus fait référence à ses œuvres majeures lorsqu’on parlait de lui. Les mesures suivant sa mort, telles que les vastes amnisties et la réduction de prix, furent annoncées sans faire référence à lui.

On a un bon exemple de l’approche générale avec l’article d’avril 1953 dans la Pravda, écrit par le rédacteur Slepov au sujet de la vie du Parti, qui souligne la supériorité de la direction collective sur la « domination des mesures administratives », tout en se revendiquant de Staline.

L’éditorial du 27 mai 1953 de la revue Kommunist dénonce également le culte de la personnalité, mais en s’appuyant sur des affirmations en ce sens de Lénine et de Staline. On lit à ce sujet :

« Notre parti lutte résolument contre le culte de la personnalité, contre l’attribution à l’individu de traits surnaturels, contre l’adoration du chef, contre l’ignorance du rôle des masses, des classes et du parti. Loin de stimuler l’initiative et l’activité des masses, de tels cultes les incitent à la passivité.

Les fondateurs du communisme, Marx, Engels, Lénine, Staline, étaient hostiles au culte de la personnalité. »

Le Comité Central du Parti Communiste d’Union Soviétique publia également un document le mois suivant sa mort, le 27 juillet 1953, avec comme prétexte le 50e anniversaire du second congrès du Parti. Ce document traitait de l’histoire du Parti, sous la forme de thèses, et plaçait tout sous l’égide de Lénine, Staline ne devenant plus qu’une simple référence en rapport avec le Parti.

C’était une réécriture de l’histoire en faveur de la thèse selon laquelle depuis la mort de Lénine, il y aurait eu une direction collective à l’œuvre, dont Staline n’aurait été qu’un rouage – la grande thèse du XXe congrès est d’affirmer qu’il avait finir par mal agir à ce niveau.

Le XXe congrès n’est pas une remise en cause de Staline – il est une dénonciation de Staline comme prétendu élément de la direction collective.

La période entre les XIXe et XXe congrès est celle de la mise en place de la direction collective, conformément aux exigences du XIXe congrès, mais avec en pratique la liquidation assumée de la forme précédente d’organisation du Parti et de son contenu.

Malenkov avait mis l’accent, en mai 1953, sur les biens courants ; c’est indirectement au nom de Staline que cela fut réfuté par Nikita Khrouchtchev qui rappela le juste combat contre la « déviation droitière » de la fin des années 1920, qu’avait justement combattu Staline.

Nikita Khrouchtchev nomma Boulganine premier ministre à la place de Georgi Malenkov et le présenta comme :

« l’un des frères d’arme les plus proches du continuateur de la cause de Lénine, Joseph Vissarianovitch Staline »

Dans son discours d’intronisation, Boulganine expliqua que son gouvernement

« suivrait les instruction du grand Lénine et du continuateur de sa cause, J. V. Staline »

Tant lors des mois de décembre 1954 que 1955, l’anniversaire de la naissance de Staline fut largement célébrée.

Le 7 janvier 1955, lors d’un meeting du Komsomol, Nikita Khrouchtchev expliqua qu’il avait influencé Staline au sujet d’une importante question politique, celle sur la mise en place d’un impôt sur les gens non mariés et sans enfants. Georgi Malenkov, qui allait être démis un mois après et était le seul autre membre du Présidium présent alors, monta à la tribune pour confirmer ces propos.

Et à la fin de l’année 1955, le dictionnaire encyclopédique présente Nikita Khrouchtchev comme :

« l’un des plus proches compagnons d’arme de J.V. Staline »

Un article pour le 76e anniversaire de la naissance de Staline, paru dans Kommunist, ne mentionne également que trois noms : Lénine, Staline, Nikita Khrouchtchev.

L’agence TASS annonça le 12 janvier 1956 la parution prochaine du 14e volume des œuvres de Staline, couvrant la période 1934-1941. Les treize premiers avaient été publiés de 1946 à 1951 et même s’il y a l’annonce, on voit que la période d’après 1934 a posé un réel problème après 1953. Il ne fut d’ailleurs jamais publié.

Le premier numéro de 1956 de Kommunist, en janvier, contient également un article de l’idéologue Mikhail Kammari, rédacteur en chef depuis 1954 (et jusque 1959) de la revue Questions de philosophie. Dans son article sur Le rôle des masses populaires dans le développement de la vie spirituelle de la société, il fait référence de manière positive à Staline.

L’arrivée du XXe congrès bouleversa la donne, comme le reflètent les prises de positions.

Ainsi, à partir du 23 janvier 1956, la Pravda ne mentionne plus Staline.

L’immense Staline

L’immense Staline

La biographie de Lénine publiée par l’Institut Marx – Engels – Lénine – Staline mentionne de manière moins importante Staline comme successeur de Lénine et ce dernier est pris comme argument pour justifier la « direction collective », avec une critique sous-jacente de Staline. Nikita Khrouchtchev apparaît à la fin comme le représentant du PCUS, avec un extrait de lui soulignant l’importance de l’industrie lourde et rejetant la ligne de Georgi Malenkov comme « anti-léniniste ».

Au meeting du Komsomol, le 21 janvier 1955, Nikita Khrouchtchev ne mentionna pas Staline, contrairement à l’année d’avant où il racontait en être proche.

Avant la conférence du Parti du 4 février 1956, le Comité Central du Parti et le Conseil des ministres salua le 75e anniversaire de Vorochilov, mais sans référence à Staline, seulement à Lénine.

Le numéro de Kommunist, l’organe théorique, publié le 9 février, ne contient pas une seule fois le nom de Staline. Une réunion des lecteurs de Problèmes d’histoire se réunit les 25, 27 et 28 janvier 1956, traitant notamment de la question de l’histoire du Parti et remettant en cause le Précis d’histoire du PCUS(b), sans toutfois oser s’en prendre encore à Staline qui est pourtant le maître d’oeuvre de cet ouvrage.

Pour l’ouverture du XXe congrès, la Pravda ne salua que Lénine.

Ce n’est que dans les bas échelons du Parti que Staline était encore une référence, ainsi qu’en Géorgie, et pour les formes dans les grandes réunions à la veille du XXe congrès : Ekaterina Fourtseva, lors de la préparation de celui-ci par le Présidium le 17 janvier, parle encore des grands enseignements de Marx, Engels, Lénine, Staline. Elle modifia par la suite radicalement son point de vue.


Revenir en haut de la page.