[Article publié dans la revue internationale Marxiste-Léniniste-Maoïste « Communisme » n°15]
C’est le problème de fond du maoïsme, quelque chose de récurrent jusqu’à aujourd’hui et c’est ainsi quelque chose qui attend sa résolution historique. Le maoïsme permet une fulgurance, mais en même temps il fait face à son opposé, l’implosion.
Cette opposition dialectique se retrouve en France chez l’UJCML et la Gauche Prolétarienne française des années 1960 et 1970, chez le Parti Communiste d’Inde (marxiste-léniniste) et le Parti Communiste de Turquie (marxiste-léniniste), chez les Brigades Rouges en Italie, et la liste peut continuer.
Dans chaque cas, on a un appel d’air, toute une nouvelle génération de jeunes qui s’impliquent de manière complète sous la bannière du maoïsme. La démarche ébranle le pays, il y a un grand niveau idéologique et culturel, le mouvement est particulièrement marquant. Puis, rapidement, au bout de quelques années le plus souvent, c’est l’implosion.
Le mouvement se délite, il scissionne, une partie significative des activistes se dissocie, voire se repent. Et l’organisation maoïste disparaît aussi vite qu’elle est arrivée. Commence alors un patient travail de réorganisation ou de reconstruction de la part de ceux qui maintiennent le cap.
C’est évidemment une description tendancielle. Il existe des différences assez profondes, rien que par le fait que la fulgurance a duré parfois quelques années seulement ou bien s’est prolongé sur une décennie. En France et en Inde, cela a été ainsi assez bref, alors qu’en Italie et au Pérou, cela a été une longue séquence.
Car, il faut le noter, le Parti Communiste du Pérou n’a pas dérogé à la règle. L’arrestation de son dirigeant Gonzalo a amené des scissions en série et une large partie de l’organisation a même basculé dans la capitulation, en prônant des accords de paix. Si, donc, le Parti Communiste du Pérou a été le meilleur élève du maoïsme sur le plan de la fulgurance, il ne présente pas de solution concernant la menace de l’implosion.
Il faut d’ailleurs noter ici qu’il existe une fausse solution à ce problème. On sait que le dirigeant albanais Enver Hoxha, à la mort de Mao Zedong, a subitement dénoncé celui-ci et modifié radicalement tout son propre discours, commençant à expliquer que la Chine populaire n’avait été que petite-bourgeoise radicale et non pas socialiste. C’est le courant dit « pro-albanais ».
Or, ce courant « pro-albanais » dit la chose suivante : le maoïsme propose une guerre populaire sans perspective, il est subjectiviste, il prône les tendances au sein du Parti, il conduit à la déroute par l’implosion. Et le courant « pro-albanais » de proposer un Parti marxiste-léniniste en version minimaliste sur le plan programmatique afin de maintenir l’unité.
C’est là une réponse tout à fait formelle et absolument fausse, car niant la complexité du réel, le mouvement historique, la loi de la contradiction.
Et cette réponse a d’autant plus eu de succès qu’il existe dans un pays une tradition au formalisme, aux apparences compassées, à la rigidité mentale. C’est pourquoi la France a historiquement été un grand bastion du courant « pro-albanais », bien plus que du maoïsme. Un autre bastion est l’Espagne, pareillement dans la continuité d’un état d’esprit borné, pratiquement féodal-aristocratique. Il faut également mentionner la Turquie, où pullulent les structures pro-albanaises historiquement (THKO, TIKB, MLKP, etc.).
La réponse « pro-albanaise » au problème de l’implosion est anti-dialectique, car elle nie la fulgurance afin de supprimer l’implosion, ce qui revient à nier le mouvement révolutionnaire et à proposer simplement une sorte de réformisme se présentant comme « allant jusqu’au bout ».
L’aridité du courant « pro-albanais » montre bien qu’on est là dans la démolition de la pensée et de la culture ; l’ennui et la fadeur le caractérise.
Le courant « pro-albanais » est en fait une réaction bourgeoise à la capacité du maoïsme d’en appeler à la subjectivité. Le maoïsme libère les esprits, c’est une bombe intellectuelle, un libérateur culturel, une explosion idéologique. Dans tous les pays où le maoïsme s’est affirmé, il y a eu de puissants marqueurs jouant de manière très profonde sur la société, exerçant une attraction formidable, d’un haut niveau culturel, avec notamment des écrivains et des cinéastes répondant à l’appel (mentionnons simplement ici Jean-Luc Godard, Yilmaz Güney, Mrinal Sen).
Cette fulgurance est la preuve du caractère révolutionnaire du maoïsme et sa fulgurance est l’expression du feu révolutionnaire.
Comment cependant faire en sorte que cela n’aboutisse pas à l’implosion, provoqué par l’immense tension historique, l’arrivée extrêmement rapide d’une nouvelle génération sur la scène historique ?
On se doute bien, en effet, qu’une masse de jeunes entre 20 et 30 ans faisant une irruption brutale dans l’action révolutionnaire dispose de l’atout de la jeunesse, mais également de faiblesses concernant l’ancrage culturel et l’héritage historique du pays.
La nouvelle génération maoïste porte le nouveau, mais le nouveau est également produit par l’ancien et c’est là que les choses se compliquent. Le Parti Communiste du Pérou a d’ailleurs réussi précisément là où le Parti Communiste d’Inde (marxiste-léniniste) a échoué.
Le Parti Communiste du Pérou s’appuyait en effet sur une connaissance très grande de la culture péruvienne, profitant notamment des travaux de José Carlos Mariategui dans les années 1920-1930, mais pas seulement : il y avait eu tout un travail sur le folklore péruvien de réalisé. Ce n’est pas pour rien que les bâtons de dynamite étaient lancés au moyen de frondes traditionnels chez les quechuas.
Le Parti Communiste d’Inde (marxiste-léniniste) s’est ici littéralement pris les pieds dans le tapis, car il a été véritablement porté dans les années 1970 par des jeunes activistes de la ville de Calcutta au Bengale occidental, cherchant à précipiter les choses sans s’appuyer sur des considérations approfondies sur la réalité culturelle, historique du pays. Si les maoïstes indiens se sont depuis réorganisés, ils ont ici une approche unitaire « pro-albanaise » pour ainsi dire et on attend toujours un exposé conséquent de ce qu’est l’hindouisme, l’islam indien, le bouddhisme, le jaïnisme, etc.
Une fulgurance, pour s’ancrer, pour avoir une nature prolongée, doit forcément synthétiser la réalité historique. On sait qu’il y a eu ici une erreur d’interprétation : à la fin des années 1960, les maoïstes français et belges se sont par exemple dit qu’il fallait « aller au peuple », faire une « longue marche » en s’établissant dans le monde du travail. C’était là une lecture anti-idéologique : comme si la synthèse historique pouvait venir d’elle-même en côtoyant des gens concrets, voire en adoptant leur mode de vie ! Cela n’a donné qu’un syndicalisme révolutionnaire plus ou moins agressif.
Non, ce qu’il faut, c’est une pensée-guide, une synthèse de l’évolution du pays à travers ses contradictions. Cela implique d’être ancré dans la réalité de manière humaine, de vivre l’évolution elle-même, d’être à l’avant-garde. Gonzalo a très bien résumé cette question.
Mais, justement, pourquoi l’implosion a-t-elle eu lieu tout de même au Pérou, malgré l’existence d’une pensée guide ?
Telle est la grande question à laquelle il faut répondre. Et la réponse réside dans l’harmonie des éléments du marxisme-léninisme-maoïsme, c’est-à-dire de l’inter-relation, l’inter-pénétration du marxisme, du léninisme, du maoïsme.
Le marxisme porte en effet déjà en lui le léninisme et le maoïsme, le léninisme porte déjà en lui le maoïsme, tout comme le léninisme est l’expression du marxisme et le maoïsme l’expression du marxisme-léninisme.
Or, pour agir, on se fonde sur le point le plus haut de l’idéologie, sur son interprétation concrète au moyen de la pensée-guide. Mais, en même temps, l’action concrète est abstraite, car si elle est particulière à un pays, elle a une dimension universelle. C’est cela qui empêche l’implosion, car c’est le pendant dialectique réel de la fulgurance.
Autrement dit, il n’est pas tout à fait exact de dire qu’il y a le marxisme-léninisme-maoïsme en général et son application concrète dans un pays donné, avec le marxisme-léninisme-maoïsme pensée guide.
Gonzalo résumait cela de la manière suivante :
« En synthèse la pensée Gonzalo n’est que l’application du marxisme-léninisme-maoïsme à notre réalité concrète ; ceci nous amène à voir qu’elle est spécifiquement capitale pour notre Parti, pour la Guerre Populaire et pour la révolution dans notre pays, j’insiste, spécifiquement capitale.
Mais pour nous, si nous considérons l’idéologie au plan universel, le principal est le maoïsme, je le répète une fois de plus. »
Or, il y a le général dans le particulier et le particulier dans le général. La fulgurance qu’implique la pensée guide doit avoir comme pendant le marxisme-léninisme-maoïsme en général. C’est, si l’on veut, la contradiction entre la théorie et la pratique, mais pas seulement, car la pensée-guide est aussi de la théorie et l’idéologie universelle également de la pratique.
Il s’agit davantage d’une harmonie de développement entre le caractère national de la révolution et sa dimension internationale, entre le particulier et l’universel. Si l’on perd cela de vue, alors c’est le vertige du succès et c’est l’implosion, car la réalité d’un pays porte également, en plus de la dimension nationale, également une dimension internationale, une dimension universelle.
L’erreur du Parti Communiste du Pérou – c’est la grande hypothèse qu’il faut faire – a été ici d’avoir considéré que lorsque le vieil État péruvien s’effondrerait il serait remplacé par les États-Unis intervenant directement et que la guerre populaire se transformerait en guerre de libération nationale.
C’était au cœur de la conception du Parti Communiste du Pérou et, de manière erronée, cela n’a jamais été abordé ouvertement après 1992 du côté péruvien. C’était une considération stratégique pourtant pour qui connaissait vraiment le Parti Communiste du Pérou et ses orientations.
Ce faisant, le Parti Communiste du Pérou repoussait la question internationale, mettait de côté la dimension universelle du processus révolutionnaire au Pérou lui-même. Dans les faits, comme chez les Brigades Rouges italiennes, cela a produit une crise de Direction – non pas parce que les dirigeants ont été arrêté, mais parce que n’a pas été posé de manière programmatique, au niveau historique, les principes de la Direction du pays.
En clair, il fallait être capable de proposer l’équivalent de ministres, avec une liste de mesures détaillées et un niveau technique-administratif, culturel-historique, plein de crédibilité.
Le problème de la fulgurance, en clair, est qu’elle tombe dans l’implosion lorsqu’il est focalisé sur la destruction aux dépens de la construction. La victoire des révolutions russe et chinoise a été possible grâce à la crédibilité historique de leurs directions dans la gestion du pays. Les maoïstes avançant avec fulgurance n’ont pas atteint ce niveau de crédibilité, d’où leur défaite historique à un certain point, malgré l’arrivée au niveau où, justement, cette question de proposition stratégique-historique se posait.