Accueil → Analyse → Culture → Le structuralisme
Cette irruption du structuralisme proposé par Claude Lévi-Strauss et Roman Jakobson va développer une vague intellectuelle sans pareil. Michel Foucault pouvait constater dès mai 1966 que :
« Le point de rupture s’est situé le jour où Lévi-Strauss pour les sociétés et Lacan pour l’inconscient, nous ont montré que le sens n’était probablement qu’une sorte d’effet de surface, un miroitement, une écume, et que ce qui nous traversait profondément, ce qui était avant nous, ce qui nous soutenait dans le temps et dans l’espace, c’était le système. »
On doit bien noter ici le caractère spécifiquement français du structuralisme, tout comme de la « French Theory », c’est-à-dire des continuateurs français l’ayant prolongé jusqu’à une philosophie de la post-modernité qui a eu un écho d’une résonance totale dans les universités américaines des années 1980-1990.
Ce sont des penseurs français, pétris de la philosophie de René Descartes, de l’individualisme bourgeois le plus grand, qui ont développé le structuralisme.
Ainsi, Claude Lévi-Strauss a appliqué le principe en anthropologie, Gérard Genette et Roland Barthes en littérature, Jacques Lacan en psychanalyse, Michel Foucault en politique, Louis Althusser en économie, Pierre Bourdieu en sociologie, Gilles Deleuze en philosophie, Henry Corbin dans la religion musulmane chiite, Algirdas Greimas en linguistique, Georges Dumézil en anthropologie, Fernand Braudel et Pierre Vidal-Naquet en histoire, etc.
Pour cette raison, l’université française, dans ses grandes marqueurs et quand elle n’est pas, de manière bien plus secondaire, sur une ligne conservatrice, se confond avec le structuralisme.
Le structuralisme, par son caractère « scientifique » plus que philosophique dans sa prétention (à l’opposé de l’existentialisme qui se veut philosophe avant tout), est une forme correspondant à l’hégémonie historique du positivisme d’Auguste Comte dans l’université française et l’idéologie bourgeoise lorsque commence son élan d’appropriation totale des institutions étatiques, dans la seconde partie du XIXe siècle.
Le structuralisme fonde sa pensée sur le principe d’une dynamique sociale en-dehors des classes sociales et de l’histoire, tout comme le positivisme ; on a le même positionnement du savant comme observateur neutre constatant des tranches seulement d’une évolution considérée comme n’ayant pas un sens en soi.
Le scepticisme et le relativisme sont deux conséquences inéluctables du structuralisme ; l’observation est si « puissante » qu’elle aboutit d’un côté à la conceptualisation d’une structure, qu’il faut parfois « déconstruire » selon les post-structuralistes, de l’autre à l’acceptation permanente d’une différence susceptible en soi d’avoir un sens.
Ce découplage de l’Histoire est tout à fait significatif lorsque Roland Barthes explique, dans L’empire des signes, que :
« Chez nous, une soupe claire est une soupe pauvre; mais ici [au Japon], la légèreté du bouillon, fluide comme de l’eau, la poussière de soja ou de haricots qui s’y déplace, la rareté des deux ou trois solides (brin d’herbe, filament de légume, parcelle de poisson) qui divisent en flottant cette petite quantité d’eau, donnent l’idée d’une densité claire, d’une nutritivité sans graisse, d’un élixir d’autant plus réconfortant qu’il est pur : quelque chose d’aquatique (plus que d’aqueux), de délicatement marin amène une pensée de source, de vitalité profonde. »
Tout se vaut, rien n’a de valeur en soi, le structuralisme étant là pour évaluer et constater les phénomènes. C’est donc un puissant dé-sagrégateur, obéissant à un besoin bien précis.
Le capitalisme, pour élargir le champ de ses interventions, a en effet besoin de déconstruire ce qui a historiquement été construit par le capitalisme lui-même comme forces de socialisation. Il s’agit là d’un aspect à la fois intellectuel, en termes de vision du monde, mais également donc d’une dimension sociale.
Au concept de totalité, d’unité des contraires proposé par le matérialisme dialectique, avec comme tradition Aristote, Épicure, Avicenne, Averroès, Spinoza, Hegel, Marx, Engels, Lénine, Staline, Mao Zedong, le structuralisme oppose la multiplicité.
Au concept d’être humain générique, de personne devant développer ses facultés, l’existentialisme a opposé l’individu et le structuralisme est allé encore plus loin en plaçant celui-ci comme objet d’un infini de tendances et de phénomènes.
Au concept de mouvement, de matière proposé par le matérialisme dialectique, le structuralisme oppose la « structure ». Une structure est ici une forme sociale, un phénomène social, une conception mentale, une tradition pratique… qui imprègne tellement les rapports entre des choses qu’elle déciderait de la tendance dominante dans ces rapports.
Le structuralisme pave ainsi la voie au principe post-structuraliste de la « déconstruction », base de la philosophie post-moderne en général qui refuse le concept de société pour lui opposer le concept de « rapport » ou de « relations ».
Toute existence serait déterminée par des « rapports » et de relations ; modifier ces rapports serait un acte d’affirmation individuelle « révolutionnaire », car transgressif par rapport à la structure encadrant les rapports à l’initial.
C’est la négation complète de l’humanisme comme réflexion humaine en tant qu’espèce de l’être humain générique par rapport à la nature, la société étant fondée sur un mode de production et de reproduction de la vie, au nom d’une saisie de l’individu comme seul point de départ et d’arrivée de la multitude des tendances et poussées variées à l’infini dans la réalité.
La manière de modifier ces rapports, tendances, poussées, même de les comprendre ou de les concevoir, est très différent selon les auteurs structuralistes – qui bien souvent n’assument pas le terme -, qui se sont divisés les champs de réflexion. Tous relèvent par contre de la même démarche anti-historique et anti-matérialiste dialectique.