A partir du moment où l’être humain a commencé à travailler, c’est-à-dire à interagir de manière technique avec la nature, son esprit s’est agrandi, c’est-à-dire que ses raisonnements ont été toujours plus nombreux, parallèlement à la transformation matérielle de la réalité.

La nature de ces raisonnements n’acquière une dimension authentiquement matérialiste qu’avec l’émergence de la bourgeoisie ; le caractère dialectique de ce matérialisme apparaît avec la classe ouvrière.

Pour cette raison, les reflets de cette transformation dans l’esprit ont pu prendre, avec le matérialisme et le matérialisme dialectique, une nature troublée, brumeuse, déformée.

La religion dans sa forme polythéiste est un de ces types de reflet, tout comme l’art qui l’accompagne qui est caractérisé par une dimension magique, troublante, liée aux rites.

Cette étape était inévitable : le reflet de la réalité incomprise prenait nécessairement un aspect d’incompréhension, d’inquiétude face à la nature toute-puissante.

La seconde étape est marquée par une tentative de maîtriser, à défaut de la réalité, au moins la société.

Pour cette raison et en même temps en raison de l’arriération des modes de production à ce stade de l’humanité, l’art s’est vu considéré comme le vecteur de messages religieux idéalisés ou psychologiques.

Platon attribuait ainsi à l’art le statut de reflet imparfait de « l’idéal », tandis que chez Aristote l’art était un moyen d’améliorer la psychologie des individus.

Le christianisme prolonge cette démarche, où l’art se voit – avec les étapes romane et gothique – défini comme le témoignage de ce qu’il y a de meilleur, comme méthode de transmission des valeurs supérieures moralement.

Par la suite, l’art s’est vu attribué une nature se voulant résolument plus intimiste.

Avec la bourgeoisie apparaît l’émergence de l’individu, c’est la « vie intérieure » qu’est censé reflété l’art, avec également l’aspect important consistant à exposer de manière unilatérale le raffinement des couches supérieures de la société.

Cependant, le cadre social général était maintenu et l’art gardait sa dimension liée à la religion ; pour cette raison, des philosophes comme Kant et Hegel ont tenté, inévitablement sans succès, de conceptualiser la contradiction évidente entre un goût individuel et une esthétique universelle.

Avec le développement impérialiste du capitalisme, le relativisme, le nihilisme et le pessimisme ont donné naissance à l’art contemporain, dans un processus qui commence avec l’impressionnisme, en passant notamment par le cubisme et le surréalisme.

Cela signifiait, avec le triomphe de l’individu comme clef de voûte de la vision bourgeoise du monde, la fin du beau comme universel, apprécié de manière individuelle, au profit d’un beau uniquement individuel, apprécié de manière universelle de manière relativiste.

Les tourments individuels, le pessimisme quant à l’avenir, la fascination pour le morbide et l’insensé, le refus de ce qui semble harmonieux et agréable, la quête du sensationnalisme et des sensations fortes pour combler le manque intérieur, le culte du vide comme « absolu » et du trop-plein comme aboutissement productif, voilà ce qui définit l’art contemporain.

C’était là la conséquence inévitable de la décadence de la bourgeoisie. Cependant, elle avait joué un rôle historiquement progressiste, en arrachant la production d’objets considérés comme beau à la religion.

En agissant ainsi, elle permettait la reconnaissance de la très longue activité artistique populaire, qui a été défini comme folklore. Les artistes authentiques, producteurs et par conséquent porteurs d’une dimension démocratique, ont toujours puisé dans le folklore.

Cela est vrai dans tous les domaines, même s’il est plus aisé d’en saisir la nature dans la peinture (par exemple avec Alfons Mucha) ou dans la musique (avec Wolfgang Amadeus Mozart), que dans la sculpture ou l’architecture.

C’est qu’en arrière-plan, en plus de la question de la forme qui est reliée à la question démocratique – et par conséquent national dans de nombreux cas de nations opprimées – le contenu repose sur la reconnaissance entière de la réalité, dans toute sa complexité.

Le contenu de l’art authentique est, par conséquent, selon le matérialisme dialectique, le réalisme, défini comme réaliste socialiste en URSS par Staline et Maxime Gorki.

Le réalisme est, en effet, la retranscription synthétique de la réalité, avec comme exigences la véracité, le caractère historiquement concret, une haute maîtrise technique, une réelle simplicité permettant l’accessibilité, la présentation des différentes contradictions et la mise en avant de la tendance du nouveau contre l’ancien.

L’art est, pour le matérialisme dialectique, une expression agréable, harmonieuse, belle, de la vision matérialiste (dialectique) de la réalité. L’art est un regard authentique sur la réalité, avec un coeur vrai et chaud permettant de souligner ce qui est vrai, vivant.

Pour cette raison, Staline a pu désigner les écrivains réalistes socialistes comme les « ingénieurs des âmes ».

Pour cette raison également, il a toujours existé des formes de réalisme, plus ou moins développées, toujours lié à ce qui est nouveau, par opposition à l’ancien. C’est ce qui explique l’appréciation des œuvres d’art du passé : on y retrouve une expression, même si encore enfantine, d’un regard authentique sur la réalité.

Le réalisme est toujours ce qui a caractérisé les formes les plus développées, les plus authentiques d’art, accompagnant les idéologies portant les charges démocratiques les plus puissantes. Cela est vrai de la peinture flamande avec le protestantisme, comme de la peinture des ambulants dans le cadre du mouvement démocratique en Russie.

En France, on trouve notamment au XVIIe siècle, de manière liée au protestantisme, les portraits du graveur Abraham Bosse, ainsi que la peinture des frères Le Nain, alors qu’au XIXe siècle on trouvera, de manière liée à la bourgeoisie, la grande vague réaliste en littérature, dont Honoré de Balzac est le plus grand représentant.

Au XVIIe siècle encore, liée à la monarchie absolue (et en partie à la bourgeoisie) dans son rejet du féodalisme, on a également les écrivains se faisant les peintres de la psychologie : Molière, Jean Racine, Jean de La Bruyère.

Il faut également mentionner les peintres réalistes du XIXe siècle, avec non pas tant Gustave Courbet que Léon Lhermitte et Jules Breton.


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