Du point de vue bourgeois, 1 + 1 = 2. Cela repose sur la tradition partant de Pythagore, passant par Platon puis Descartes, débouchant sur l’idéologie mathématique. Le monde serait constitué à partir de nombres ; comprendre quelque chose consisterait à étudier sa composition numérique.

On évalue chaque chose au moyen des nombres, car tout est dénombrable, les nombres étant fixés, stables, éternellement de même nature. Comprendre une chose, ce serait la mesurer.

Descartes résume cette conception en disant que :

« J’ai découvert que toutes les sciences qui ont pour but la recherche de l’ordre et de la mesure se rapportent aux mathématiques ; qu’il importe peu que ce soit dans les nombres, les figures, les astres, les sons, ou tout autre objet, qu’on cherche cette mesure ; qu’ainsi il doit y avoir une science générale qui explique tout ce qu’on peut trouver sur l’ordre et la mesure prise indépendamment de toute application à une matière spéciale. »

L’idéologie mathématique repose de ce fait forcément sur l’existence d’un « 1 » primordial, « Dieu », qui donnerait naissance au multiple tout en lui conférant une certaine unité pour ne pas qu’il s’éparpille.

Le matérialisme dialectique rejette cette conception qui donne une « source » unique à la réalité et qui la voit comme « composée » au moyen de nombres. Concrètement, le matérialisme dialectique rejette le « dénombrement » du monde et de ses éléments, au nom de l’infini.

Comme tout est divisible à l’infini, on ne saurait trouver des éléments stables, fixés pour l’éternité et donnant une « composition » certaine, éternelle, du point de vue mathématique.

Il n’existe pas d’éléments fixes, statiques, éternels, comme le seraient les nombres. Autrement dit, les choses ne sont pas dénombrables, car elles ne sont pas séparables les unes des autres, déjà, mais en plus dans leur aspect relatif par rapport aux autres choses, elles sont également en mouvement, donc insaisissables au moyen d’éléments statiques, fixes comme les nombres.

Pour le matérialisme dialectique, les mathématiques sont un moyen de « photographier » la réalité, c’est-à-dire de quantifier un processus à un moment donné, pour un certain état donné. Mais cela s’arrête là : il n’y a pas de « décodage » du « langage » de l’univers au moyen des mathématiques.

Pour cette raison, il n’existe pas dans les faits de formule mathématique abstraite comme « 1 + 1 = 2 », mais toujours une réalité physique concrète, à un moment donné, ce qui fait qu’on a : 1 crayon + 1 crayon = 2 crayons, ou bien 1 homme + 1 femme = 1 homme + 1 femme + 1 bébé.

Comment le matérialisme dialectique cerne-t-il cependant la question « 1+ 1 = ? » en tant que telle ?

Il existe trois réponses possibles :

a) la question 1 + 1 n’est, au sens strict, pas possible car l’univers forme une seule unité globale ; il n’est donc pas possible de séparer les éléments le composant ;

b) la question 1 + 1 a comme réponse 1, car chaque chose a deux aspects, comme l’exprime la loi de la contradiction ou conception des deux points ; on a ainsi 1 +1 = 1, ce qui est parfaitement juste puisque cela signifie également que 1 +1 = (1 +1) + (1 +1) = 1, et ce à l’infini ;

c) la question 1 + 1 a comme réponse 3, car toute contradiction porte un saut qualitatif et amène à davantage que les quantités initiales.

Il existe alors deux possibilités : choisir une réponse parmi les trois, ou bien considérer qu’il manque une réponse pour avoir deux contradictions se faisant face, composant elle-même une seule contradiction.

Au sens strict, la réponse de type a) et celle de type b) se répondent ; dans l’une, on a un monde réduit au « 1 » et, dans l’autre, on a l’infini. On a ainsi la contradiction entre le fini et l’infini. C’est, de ce fait, en soi la preuve que 1 +1 = 1.

Il faut alors chercher la réponse correspondant de manière dialectique à la réponse de type c), qui dit que 1 + 1 = 3 en raison de l’existence d’un saut qualitatif.

L’opposé du qualitatif, c’est le quantitatif. On devrait alors logiquement penser qu’il suffit de supprimer le saut et de laisser les choses se cumuler quantitativement. On aurait alors 1 + 1 = 2.

1 + 1 = 2 et 1 + 1 = 3 seraient deux opposés, comme expressions de l’opposition entre quantité et qualité.

Un tel choix n’est cependant pas possible. En effet, quand on dit 1 + 1 = 3, on n’a pas que la qualité, on a aussi la quantité. 1 + 1 = 3 c’est en effet 1 + 1 = 2 + le saut qualitatif. On ne peut pas séparer la quantité de la qualité.

Pourtant, on ne peut pas séparer la qualité de la quantité non plus. Quelle est alors la réponse à donner à 1 + 1 dans un telle approche où l’on cherche l’opposé de la qualité ?

C’est simplement 1 + 1 = 0. Le contraire du saut qualitatif – qui passe par la quantité – n’est pas une quantité statique, mais le statique lui-même. 1 + 1 = 0 signifie : rien ne change.

La contradiction entre 1 + 1 = 0 et 1 = 1 = 3 est celle entre l’absolu et le relatif (et inversement).

Les deux aspects d’une chose permettent l’existence d’un processus, son existence relative en tant que processus – et ce processus est absolu car il existe en tant que tel.

Mais les deux aspects portent en soi la rupture et confère donc à l’existence d’une chose, de manière absolue, un caractère seulement relatif à son existence, qui est ainsi dépassable.

On a ainsi :

− 1 +1, c’est-à-dire seulement le 1, c’est-à-dire le fini

− 1 + 1 = 1, c’est-à-dire 1 +1 = (1 +1) + (1 +1) = 1, c’est-à-dire l’infini

− 1 + 1 = 3, c’est-à-dire la qualité passant par la quantité, c’est-à-dire l’absolu relatif

− 1 + 1 = 0, c’est-à-dire la chose en elle-même, le relatif absolu

Ce qui donne :

La question 1 + 1 ne saurait ainsi se répondre de manière mécanique, statique, au moyen de nombres fixés éternellement et ayant une valeur en soi ; elle pose, au fond, la question du rapport du temps à l’espace, c’est-à-dire du mouvement à la matière elle-même, matière qui porte le mouvement et produit ainsi le temps.


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