Si on multiplie 3 par 2 on a 6, si on multiplie 5 par 2 on a 10.
Le principe de multiplier par deux est qu’on a la même chose deux fois ; mathématiquement, on procède à l’addition pour dénombrer le nouvel ensemble.
On se confronte ici pourtant à une contradiction, car il s’avère qu’on peut multiplier par un.
Cela ne semble avoir aucun sens, puisque la multiplication a justement comme fonction de rendre multiple.
Lorsqu’on dit que 8 x 1 = 8, on n’a pas réellement multiplié 8, au sens que 8 n’est pas devenu multiple. 8 est resté 8, et en ce sens l’opération n’a rien changé du tout.
Qu’on fasse 8 x 1 = 8 ou pas, cela ne change rien pour 8.
Si on regarde cela avec le matérialisme dialectique, on peut alors constater deux choses.
La première, c’est que multiplier par un souligne que la chose multipliée par un existe bien.
Lorsqu’on dit que 8 x 1 = 8, même si cela ne change rien pour 8, par contradiction on peut dire précisément que le fait que cela ne change rien confirme son existence, confirme l’identité de 8.
La multiplication par 1 trouve alors son sens. Mais quel intérêt y a-t-il alors, puisque tout peut être multiplié par 1 pour vérifier son identité ? C’est là qu’intervient la question du zéro.
Mais avant d’aborder cette question, tournons-nous vers le second aspect de la multiplication par 1.
On a dit que tout pouvait être multiplié par 1.
C’est vrai à l’infini : 4 x 1 = 4, 150 x 1 = 150, 239849 x 1 = 239849, etc.
On a aussi dit que multiplier par 1 ne changeait rien.
Qu’est-ce qu’on a alors ?
Eh bien, si cela ne change rien, c’est quelque chose de nul. Il n’y a pas de modifications ; la modification, quand on multiplie par 1, est de 0.
Or, cette multiplication par 1 peut être menée une infinité de fois.
Cette infinité est équivalente à 0, et on retrouve le principe comme quoi 0 est l’infini.
Maintenant revenons-en justement au 0 dans la multiplication par 1.
En fait, le piège ici est de considérer que lorsqu’on a 0 x 1 = 0, on a le même 0 des deux côtés du signe égal.
C’est assez simple si on voit les choses dialectiquement, et on peut présenter cela en deux points :
– si on dit : 1 x 0 = 0, alors les deux zéros sont bien les mêmes, car c’est une négation ; il n’y a pas 1, il y a zéro 1, on reste à zéro ;
– si on dit 0 x 1 = 0, alors les deux zéros ne sont pas les mêmes, car c’est une affirmation.
Le second point semble paradoxal : le 0 est affirmé et en même temps on dit que les deux zéros ne sont pas les mêmes ?
En même temps, cela semblait moins perturbant lorsqu’on a dit juste avant, dans le premier point, que les deux zéros restaient les mêmes dans le cadre d’une négation.
C’est là où on trouve le « secret » dialectique de la multiplication par 1.
Pour comprendre ce qui se passe, revenons à la fameuse formule de Spinoza, admirée par Hegel et Marx : toute définition est une négation.
On peut faire simple en résumant cela de la manière suivante : définir par exemple 5, c’est dire qu’il n’est pas 1 ni 3, 2 ni 4, 6 ni 7, etc.
La réalité est ce qu’elle est, et parler d’une chose c’est l’extraire de cette totalité, donc la définir en la séparant du reste. C’est une négation.
La religion prétend que les choses sont créées : pour elle, les définitions sont des affirmations.
Voyons maintenant pour les nombres autres que 0.
Lorsqu’on a 8 x 1 = 8, on a une définition qui est une négation.
On pose que 8 existe, en apparence c’est une définition affirmative : 8 existe. En réalité, on pose 8 en l’opposant au reste.
Pour le 0, c’est très différent, car 0 est l’infini.
On a dit que lorsque 1 x 0 = 0, les deux zéros sont les mêmes, et que c’est une négation : il n’y a pas 1, il y a zéro 1, on reste à zéro.
Ce qu’il faut comprendre alors, c’est que zéro est l’infini.
Il se passe donc la chose suivante : 1 x 0 = 1 x infini = une infinité de 1 = l’infini = 0.
Le premier 0 est l’infini, et il le reste ; une infinité de 1 fait partie de l’infini, se confond avec lui. Les deux 0 sont les mêmes, c’est l’infini.
On a également dit que lorsque 0 x 1 = 0, les deux zéros ne sont pas les mêmes, et que c’est une affirmation.
Reprenons 0 = l’infini. Ainsi, on a : 0 x 1 = infini x 1 = infini.
Cela semble alors incompréhensible.
Il semble bien qu’on ait le même infini.
Et on pourrait dire qu’on a triché juste avant, car une infinité de 1, c’est un infini particulier, qui reste différent de l’infini en général, qui lui est non seulement avec les 1, mais également avec les 2, les 3, les 4, etc.
Sauf qu’on a vu qu’on peut multiplier absolument tout par 1, et que chaque chose qui existe a une identité, et en fait multiplié par 1. Dire qu’une table existe, c’est dire table x 1 ; constater qu’il y a un chat, c’est dire chat x 1.
[On remarquera ici que la différence entre le matérialiste Aristote et l’idéaliste Platon est justement qu’Aristote a voulu inventer des catégories (donc le premier terme dans table x 1, chat x 1, etc.), tandis que Platon s’est focalisé sur le « x 1 » en imaginant des « idées » pures (l’idée pure de table, de chat, etc.).]
Une infinité de 1, ce n’est donc pas seulement des 1, mais également 2 x 1, 3 x 1, 4 x 1, c’est-à-dire tout ce qui est « »1″, et tout ce qui existe est « 1 » car ayant sa propre identité.
Par contre, et là réside la difficulté, on ne peut pas avoir les deux mêmes 0 lorsqu’on dit que :
0 x 1 = infini x 1 = infini
En effet, un infini « unique » est une contradiction. L’infini est infini, s’il n’y en a qu’un seul, cela supprime la notion d’infini en tant que tel !
L’infini, en tant qu’infini, présuppose qu’on ait infini x 1, infini x 2, infini x 3, etc. et ce à l’infini.
C’est pourquoi le matérialisme dialectique affirme que la matière est inépuisable, que l’univers n’a ni début ni fin, ni commencement ni arrêt.
Reste un souci. Cet infini x 1, en quoi se différencie-t-il du 1 x infini ?
C’est justement là où se produit le vertige, qui est le principal risque quand on réfléchit à la notion d’infini.
Quand on a 1 x 0, on dit qu’il n’y a aucun 1 et en même temps que « 1 x [quelque chose] » existe à l’infini.
Quand on a 0 x 1, il faut quitter le terrain de la qualité (car l’identité est une qualité) pour passer à la quantité. Il faut avoir en tête 0 x 2, 0 x 3, 0 x 4, etc.
C’est l’aspect quantitatif de l’infini, par opposition son aspect qualitatif.
C’est là la grande difficulté du 0 comme infini que l’infini est, justement infini, tant en quantité qu’en qualité. Il n’y a pas « un » infini, mais une infinité.
Notons pour conclure qu’on a opposé 0 x 1 à 1 x 0, mais qu’on aurait pu inverser les explications, car il est arbitraire de dire que 0 x 1 est une affirmation et que 1 x 0 est une négation.
On aura compris que ce sont les deux pôles d’une seule et même contradiction ; on peut d’ailleurs remplacer 0 x 1 par 1 x 0.
Ce remplacement témoigne du fait qu’on a ici d’une situation de nexus, terme que nous avons mis en avant pour désigner le moment où les deux pôles de la contradiction sont les plus en phase l’un avec l’autre, l’un devenant l’autre, pour ainsi dire « juste avant » le saut qualitatif.
Tel est le paradoxe matérialiste dialectique où toute chose va à un saut qualitatif, tout en étant déjà un saut qualitatif, et ce à l’infini tant dans le passé que l’avenir.
Toute chose à la fois statique et en mouvement, issu de l’éternité et en même temps n’existant à aucun moment réellement, car l’éternité est la transformation qualitative ininterrompue de la matière.
Loin de faire tomber dans le relativisme, cela doit aboutir à la compréhension de la nécessité de la vision matérialiste dialectique du monde pour admirer la beauté de la réalité dans son infinie transformation.