Il existe un moyen d’aller plus en avant dans la périodisation du culte des hallucinations ; pour ce faire il faut se tourner vers le continent américain. On y trouve en effet un phénomène qui est connu de très loin en Europe, mais particulièrement saisissant si on en cerne les contours de manière nette.
Il existe au début du 21e siècle en Amérique du Nord un mouvement dénommé la Native American Church, une forme religieuse née en 1918 aux États-Unis, en Oklahoma. On pourrait traduire par Église amérindienne, bien que le terme employé parle de Native American, d’Américains natifs.
Il y a actuellement 6,79 millions de personnes se définissant comme amérindiennes lors du recensement américain, 1,8 million au Canada, 23,2 millions au Mexique. Or, parmi ces gens 250 000 appartiennent à la Native American Church, ce qui en fait la religion « Native American » ayant le plus de partisans.
Là où les choses perdent tout sens du point de vue européen, c’est que le noyau dur de la religion prônée par la Native American Church est… l’assimilation d’un cactus à Jésus-Christ. On parle ici d’un cactus dénommé peyotl en français, de son nom en nahuatl (la langue des Aztèques), dont la consommation a des effets hallucinogènes.
Un observateur avisé comprendra immédiatement deux choses : tout d’abord, qu’on a ici affaire à des restes du culte des hallucinations ayant été la religion chamanique des chasseurs cueilleurs amérindiens. Ensuite, que le mouvement hippie aux États-Unis est en fait un romantisme se tournant vers cet arrière-plan historique.
La Native American Church n’est, évidemment, pas directement un chamanisme. Déjà, elle intègre, pour la plupart de ses regroupements du moins, le christianisme à son système religieux. Ensuite, elle est monothéiste, vénérant le « grand esprit ».
Cependant, il est évident que la démarche de la Native American Church repose sur la tradition amérindienne, qu’on trouve dans les grandes plaines, consistant en le culte des hallucinations.
Les Amérindiens des grandes plaines, ce sont des tribus parfois connues en Europe en raison surtout des Westerns ; on a les Arapahos, les Sioux, les Shoshones, les Cheyennes, les Comanches, les Pieds-Noirs, les Crows…
Cependant, à l’époque des westerns, le mode de vie des Amérindiens avait grandement changé, en raison de la découverte et de l’utilisation des chevaux avec la colonisation espagnole. Certaines tribus pratiquèrent alors le nomadisme, d’autre un début d’agriculture, alors qu’avant la colonisation européenne, on doit parler d’un mode de vie chasseurs cueilleurs s’entremêlant avec le mode de production esclavagiste.
Les Amérindiens étaient ainsi isolés et divisés ; ils utilisaient 37 langues différentes, et pour communiquer entre eux au-delà des barrières linguistiques sur un territoire de 2,6 millions de km², ils utilisaient des langues des signes communes sur de grandes zones. On ne sait pratiquement rien sur leur origine, la plus ancienne version étant celle découverte par les Européens au début du 16e siècle au Texas et au Nord du Mexique.
Le grand souci était en fait qu’il y a peu de précipitation dans la zone des grandes plaines, et cela implique une grande difficulté à faire pousser le maïs. On parle ici d’une population humaine ne connaissant ni les outils en fer, ni l’utilisation d’animaux de trait.
Il a été analysé que dans le Nebraska, du 11e au 15e siècle, l’alimentation se fondait à 30 % sur la viande de bison, à 30 % sur le maïs et à 20 % sur le tournesol, les courges et les haricots, à 20 % sur la cueillette de plantes sauvages.
C’est là représentatif d’une société de chasseurs cueilleurs ayant commencé l’agriculture de manière élémentaire, sans réelle domestication des animaux, avec ainsi une entrée particulièrement inégale dans le mode de production esclavagiste.
Certaines tribus indiennes menaient de ce fait des razzias pour récupérer des esclaves, parfois mutilés pour les empêcher de s’enfuir. Ces esclaves ne restaient qu’une petite minorité de la population de la tribu, servant surtout en fait pour les tâches les plus ingrates.
Les sacrifices humains avaient également lieu, le dernier tenté étant sans doute empêché par le Pawnee Petalesharo sauvant en 1817 une jeune fille comanche devant être tuée à l’occasion de la cérémonie de célébration de l’étoile du matin. La jeune fille, après être « purifiée », était brûlée, frappée et la cible de flèches, etc.
On a ici évidemment un culte patriarcal, avec en point de mire la soumission de la femme. C’est également le cas de la principale cérémonie de la zone des grandes plaines, la « danse du soleil », une fantasmagorie chamanique typique.
Voici comment est raconté, par Frederick Schwatka à la fin du 19e siècle, le principe de la cérémonie :
« Chacun des jeunes hommes se présentait à un homme-médecine. Celui-ci, prenait la peau de la poitrine du guerrier entre le pouce et l’index pour former un pli qu’il transperçait à l’aide d’un couteau à lame très étroite et tranchante, puis y insérait un os solide, de la taille d’un crayon de charpentier.
Ce dernier était attaché à une longue corde fixée, à son autre extrémité, au sommet du mât du soleil situé au centre de l’arène.
Le but à atteindre pour l’adepte était de se libérer de cette entrave. Pour cela, il devait faire en sorte que la peau de sa poitrine se déchire sous la traction des broches qui transpercent sa chair, atroce épreuve qui, même pour les plus résolus pouvait nécessiter de longues heures de torture. »
Les femmes peuvent participer en se pratiquant une incision le haut du bras où est alors plantée une plume d’aigle. Surtout, elles sont celles qui coupent les branches de l’arbre formant le mât du soleil, qui va symboliquement être attaqué par les hommes, dans une cérémonie générale dont l’arrière-plan fondamental est le jeûne, l’absence de prise d’eau, l’automutilation, avec un chamane comme élément central.
On est ici en plein culte des hallucinations pour se lier à ce que les Lakotas appellent Wakan Tanka, le « grand mystère », le « grand esprit ».