Lorsque se produit la révolution d’Octobre en 1917, les pays qui vont constituer l’Union Soviétique sont très peu développés. Cela signifie que l’architecture soviétique a dû accompagner le développement des différents pays, tout en dépendant étroitement des capacités productives en train d’être mises en place seulement.
Cela produisit une contradiction significative initialement entre des architectes en mode utopiste, élaborant en laboratoire des plans d’autant plus de grande envergure qu’ils s’avéraient irréalisables, et la réalité architecturale d’une URSS en construction cherchant à mettre en place à la fois des références et des exemples majeurs.
Les années 1920, plutôt expérimentales, cédèrent pour cette raison la place à des années 1930 où l’architecture s’alignait sur le réalisme socialiste, en soulignant la véracité, la simplicité, l’affirmation.
Par véracité, il faut comprendre que l’architecture se fonde sur la vie quotidienne réelle des gens en URSS ; par simplicité, il faut saisir l’absence de fonctionnalisme ou de formalisme, c’est-à-dire de fioritures, de formes comme fin en soi ou pseudo-preuve de « radicalité ».
Par affirmation, il faut entendre la mise en valeur d’une vie nouvelle, d’une culture propre à des pays socialistes, avec chacun leurs particularités culturelles historiques.
L’architecture soviétique de l’époque socialiste rejette ainsi le fonctionnalisme, qui fait de la fonction l’alpha et l’oméga de toute construction. Elle n’accepte pas le formalisme, qui fait de la forme une fin en soi. Elle exige de se tourner vers les gens et d’accompagner la réalité socialiste en construction de ces gens.
L’architecture soviétique de l’époque socialiste – de 1917 à 1953, ou plus exactement pour être strict du début des années 1930 à 1953 – se veut ainsi à la fois un accompagnement et une mise en perspective. Il n’y a pas de recettes définitives, mais des mises en place qui visent à exprimer une réalité et à s’inscrire en elle, dans un rapport dialectique.
L’architecture soviétique de l’époque socialiste cherche donc à synthétiser une époque ; elle n’a eu de cesse de travailler à l’élaboration d’un style qui soit en correspondance avec l’esprit de la planification soviétique et la démarche socialiste de millions d’ouvriers et de paysans. C’est là la tension dialectique à la base en ce domaine.
Il y a donc l’exigence d’un nouveau classicisme, d’une architecture en phase avec la citoyenneté soviétique.
Il faut ici remarquer que l’architecture soviétique va nécessairement de pair avec la sculpture et des arts en général, de l’urbanisme au sens de l’agencement des lieux. Il ne saurait exister d’endroits séparés du reste par une muraille de Chine, comme c’est justement le cas dans le capitalisme qui sépare tout.
En ce sens, comprendre l’architecture soviétique de l’époque socialiste est simple en général, mais demande plus concrètement, si l’on veut pousser les choses jusqu’au bout, de s’intéresser à chaque ville en particulier, avec son histoire et sa nature particulière.
Leningrad est ainsi une ville historique, laissant peu de moyens de construire des œuvres majeures nouvelles, alors que Moscou a été façonnée par le capitalisme et exigeait une réorganisation. Inversement la ville de Stalino (aujourd’hui Donetsk) était pratiquement entièrement nouvelle.
Le Parc central de culture et de loisirs Gorki à Moscou, ouvert en 1928, est ainsi emblématique de l’accompagnement de la vie quotidienne des gens.
Il est pour cette raison erroné de séparer l’architecture soviétique de l’époque socialiste de la réalité concrète à l’époque, des gens réels dans leur vie quotidienne, même si c’est naturellement nécessaire pour une introduction et une compréhension du phénomène historiquement.
L’architecture soviétique de l’époque socialiste est, en ce sens, toujours une réponse concrète à une question concrète. C’est ce qui explique aussi les différences de sensibilité ou le décalage qu’on peut avoir aujourd’hui sur certains points, principalement la question du rapport à la Nature. Il s’agit ici de la maturité d’une époque qui joue, pas une question idéologique en soi – même si inversement l’époque joue sur l’idéologie, ce qu’explique la Grande Révolution Culturelle Prolétarienne en Chine populaire.