La critique du constructivisme en architecture, au sens d’une tendance à privilégier la composition architecturale abstraite, à considérer la forme comme fin en soi, triompha aisément parmi les architectes soviétiques, qui avaient bien vu qu’on était à un tournant.

Karo Alabyan, dans Les tâches de l’architecture soviétique, souligne en 1937 que l’architecte produit au sein d’une société organisée, pour des êtres humains concrets, dont il n’est pas séparé par une muraille de Chine comme c’est le cas dans le capitalisme.

Il explique ainsi que :

« Le principe directeur de notre construction est le souci stalinien de l’homme.

À cet égard, l’architecture du métro de Moscou dirigée par L.M. Kaganovitch : le Parti a confié aux constructeurs la tâche de faire des gares souterraines de véritables œuvres d’art, qu’elles aient de belles formes, des couleurs vives, qu’elles soient légères, spacieuses, confortables, afin qu’une personne qui monte dans le métro ressente un sentiment de joie (…).

Seul un mépris de l’homme peut expliquer l’indifférence totale de certains architectes à l’aménagement intérieur, à la décoration et à l’équipement des bâtiments, notamment résidentiels.

L’intérieur est ce domaine de l’architecture où une personne entre quotidiennement en contact avec l’art de l’architecture, le plus directement, pour ainsi dire, intimement.

C’est pour l’architecture soviétique, conçue pour répondre au maximum aux besoins quotidiens d’une personne, que les questions intérieures revêtent une importance exceptionnelle.

Dans la pratique de l’aménagement intérieur des bâtiments résidentiels, les vestiges du fameux « fonctionnalisme », une interprétation simpliste et purement mécaniste des « processus se déroulant dans le bâtiment », affectent encore.

L’architecture intérieure d’un bâtiment résidentiel doit prendre en compte les besoins et les exigences les plus divers d’une personne, allant de ses plus petits besoins quotidiens à ses besoins esthétiques et ses goûts artistiques. »

Pour se tourner de manière adéquate vers les êtres humains concrets et leurs besoins, les architectes doivent vivre au rythme du peuple et de son activité. Leurs productions doivent être en phase avec la réalité et les gens réels, s’inscrire dans leur vie et donc être accessible.

L’école 518 à Moscou, par Ivan Andreevich Zvezdine, 1935

L’école 518 à Moscou, par Ivan Andreevich Zvezdine, 1935

On retrouve les principes du réalisme socialiste en peinture, en musique, en sculpture… le caractère typique, l’ancrage dans la vie quotidienne réelle, l’adéquation avec le peuple et son histoire. Karo Alabyan résume pour cette raison l’approche architecturale selon le réalisme socialiste par les principes de vérité et de simplicité.

« Notre architecture soviétique est étrangère au mensonge, aux formes abstraites, à toutes sortes de bouffonneries esthétiques bourgeoises. Le réalisme socialiste en architecture signifie avant tout : vérité et simplicité.

La véritable simplicité artistique n’a rien à voir avec la simplification. Il témoigne de la véritable maîtrise de toute la richesse du contenu.

Pouchkine a travaillé dur pour parvenir à une forme simple de ses brillants poèmes. Les œuvres de Lénine et de Staline sont simples et claires, car elles sont le summum de la pensée humaine.

La simplicité des formes d’une structure architecturale signifie avant tout la belle harmonie de ces formes, qui, à son tour, est l’expression des proportions et des rapports les plus parfaits des éléments individuels.

Le réalisme socialiste n’est pas un système de normes et de canons abstraits. L’étroitesse et la limitation sont, par leur nature même, étrangères à la méthode du réalisme socialiste.

C’est la méthode du réalisme socialiste qui ouvre à l’architecte des possibilités illimitées d’enrichir son langage artistique, sa créativité et sa compréhension des différents styles. »

Le métro de Moscou, une initiative d’envergure pour l’architecture socialiste dans les années 1930

Le métro de Moscou, une initiative d’envergure pour l’architecture socialiste dans les années 1930

Cette vérité et cette simplicité s’opposent au culte de la forme pour la forme – c’est le formalisme, dénoncé à tous les niveaux artistiques en URSS dans les années 1930. Karo Alabyan constate ainsi que la bataille est en cours :

« La restructuration créative de l’architecture soviétique est loin d’être achevée. Dans notre pratique, les rechutes du formalisme, du constructivisme et d’autres influences qui nous sont étrangères sont encore fortes.

Le culte de la « forme pure » surgit toujours sur la base de l’appauvrissement de la pensée, de l’absence de grandes idées. Plus l’architecte est impuissant à révéler le contenu, à résoudre l’image artistique, plus il essaie de se vanter de manière intrusive de son « originalité », en recourant à diverses fausses méthodes, à la création de formes abstraites et à la ruse pour cela.

A ses origines, le formalisme de notre architecture, comme le constructivisme, est lié aux dernières tendances décadentes de l’architecture bourgeoise d’Europe occidentale. Les opus formalistes n’ont rien de commun avec la réalité soviétique. Le formalisme est anti-peuple, anti-démocratique, il est hostile à la vérité, hostile à nos grandes idées de construction socialiste.

C’est pourquoi la lutte contre le formalisme est en même temps une lutte pour les architectes, qui, bien que sujets à cette grave maladie, ne sont pas désespérés du point de vue de leur restructuration ; c’est la lutte pour leur développement créatif et idéologique correct, la lutte pour leur vision du monde. »


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