[Article repris du site A Gauche.org]
Comment reconnaître les principaux traits de l’âme russe ? Les voici, habilement présentés, puissamment présentés, parfaitement reconnaissables.
« Certains réflexes de cruauté et peut-être une poésie de la cruauté, jointe à une profonde tendresse humaine.
L’indifférence intime à telles distinctions sociales, à telles conventions d’amour propre.
La faculté de se soumettre, de se dissoudre dans le destin, et parfois cependant de s’en trouver inexplicablement libéré.
Un désir et un besoin de se voir et de se comprendre dans le jeu éternel du monde, de justifier sa vie individuelle.
Le sens de la prison terrestre et la soif de s’évader, de « soulager son âme ».
Une ardeur à regarder le fond de toutes choses, même si ce fond est atroce et cruel.
Une tristesse sans guérison, venant de l’âme et non des circonstances, et une joie incompréhensible, flux de vie, venant aussi uniquement de l’âme. »
Si on a là sans doute les traits généraux de l’âme slave, le côté électrique (et d’autant plus attachant, inversement) est plus spécifiquement russe. On le comparera avec esprit avec l’extrait de Tolstoï, pour la danse non décrite dans Guerre & Paix, si emblématique de l’âme russe.
Une âme russe qui a apporté immensément au patrimoine universel. Il est essentiel de le souligner. Quand le nationalisme prime comme outil du bellicisme, il faut rappeler que l’humanité est une et que toutes les cultures nationales sont une part de celle-ci. C’est cela, l’internationalisme réel (et non le cosmopolitisme).
C’est cela qu’il faut dire alors que la France présente les Russes comme des barbares et que le projet occidental est de dépecer la Russie, avec comme outil le nationalisme ukrainien pour qui la « Moscovie » est démoniaque, Tolstoï et Dostoïevski en tête.
Plus spécifiquement, cette citation vient d’un très fin connaisseur de la littérature russe, Robert Vivier. Nous sommes en 1946 et la Bibliothèque internationale publie de nouveau La maison Bourkov d’Alexeï Rémizov. Cet auteur a quitté la Russie après la révolution d’octobre 1917, mais avait décidé d’y retourner après 1945. C’est un écrivain moderniste, profond mais tortueux et s’enlisant dans le psychologisme.
La préface de Romain Rolland, tout en saluant l’auteur, lui reproche d’ailleurs de ne voir que le côté trouble de la partie trouble du peuple. On tourne sur soi-même dans cette approche littéraire qui ne tourne pas au culte du moi façon occidental, mais reste parallèle à lui.
Robert Vivier, qui écrivit à l’occasion de l’édition de 1929, tente par contre de le présenter comme une figure majeure du renouveau littéraire russe. C’est une lecture plus poétique qu’autre chose, Robert Vivier étant un écrivain belge tourné justement vers cette approche lyrique avant tout (et il fut par ailleurs le père adoptif du fameux vulcanologue Haroun Tazieff, fils du premier mariage de sa femme Zénitta Klupta, d’origine lettone et polonaise).
Néanmoins, les termes choisis par Robert Vivier pour définir l’âme russe sont bien vus, adéquatement choisis. On peut lire n’importe quel écrivain russe d’importance, et on sait qu’ils sont bien nombreux (Tchekhov, Tolstoï, Dostoïevski, Gogol, Tourgueniev, Gorki…), on retrouvera exactement ce qui y est décrit.