L’URSS avait vu, dans le domaine de la musique, émerger deux courants tous deux étrangers au peuple : le modernisme et le proletkult. Il y avait également toutes sortes de nuances entre ces deux factions ; le compositeur Alexander Veprik, connu et apprécié dans les pays occidentaux, affirmait par exemple que la technique musicale serait « neutre » en soi, un choix ne relevant pas de l’idéologie, etc.

Cette situation était inacceptable du point de vue communiste et le fait que des œuvres d’un ultra-moderniste comme Paul Hindemith soient jouées à la philharmonie de Leningrad en 1930-1931 et 1931-1932 était exemplaire d’une situation intolérable.

La situation était en fait similaire dans l’ensemble des arts et, dans le domaine musical en particulier, le Parti avait déjà donné des avertissements, notamment avec la critique dévastatrice de la première symphonie de Gavriil Popov (1902-1972).

Cette critique, réalisée par le Département de Leningrad pour le contrôle des spectacles et du répertoire, expliquait que « la performance d’œuvres reflétant l’idéologie des classes hostiles est inacceptable ».

Vladimir Johelson, secrétaire exécutif de l’Union des compositeurs soviétiques de Leningrad, publiera dans L’étoile rouge un article démolissant cette symphonie et un débat critique s’ouvrira ensuite chez les compositeurs. Gavriil Popov se rattrapera avec sa seconde symphonie, Patrie, en 1943, qui recevra un prix Staline.

De cette situation vint la décision du Parti Communiste d’Union Soviétique (bolchevik), le 23 avril 1932, de restructurer les organisations littéraires et artistiques. Il en était désormais fini de l’autonomie des factions, en particulier du proletkult et des modernistes.

En août 1933, il y eut la résolution « Sur le statut et le nombre d’instruments de musique et l’amélioration de leur production » ; c’est à partir de cette date que la production de tourne-disques et de disques microsillons s’installe et se généralise.

Il faudra cependant attendre 1936 pour que la présence moderniste massive disparaisse des programmes et qu’il y ait une affirmation prépondérante de Ludwig von Beethoven, Piotr Ilitch Tchaïkovski, Jean-Sébastien Bach, Modeste Moussorgski, Wolfgang Amadeus Mozart, Nikolaï Rimski-Korsakov et Mikhail Glinka.

Il faut ajouter à cette liste le Norvégien Edvard Grieg, l’Allemand Georg Friedrich Haendel, l’Allemand Christoph Willibald Gluck, l’Autrichien Joseph Haydn, le Français Hector Berlioz, l’Autrichien Franz Schubert, l’Allemand Richard Wagner, les Tchèques Antonín Dvořák et Bedřich Smetana.

On a ainsi par exemple des morceaux importants des opéras de Wagner qui furent joués de manière annuelle à la philharmonie de Leningrad tout au long des années 1930 ; Lohengrin fut joué en entier en 1936. Orphée et Eurydice de Gluck fut joué en octobre 1939, en janvier et avril 1940

Parmi les œuvres de Berlioz, étaient principalement valorisées La Symphonie fantastique, la Grande symphonie funèbre et triomphale, la Grande Messe des Morts.

Parmi les références maintenues malgré tout, y compris lors des années 1920, on a les opéras Lakmé du Français Léo Delibes (1836-1891), Don Giovanni de l’Autrichien Wolfgang Amadeus Mozart, Carmen du Français Georges Bizet (1838-1875), Aïda de l’Italien Giuseppe Verdi (1813-1901), Faust ainsi que Roméo et Juliette du Français Charles Gounod (1818-1893), Le Barbier de Séville de l’Italien Gioachino Rossini (1792-1868).

Voici un exemple de critique de modernisme. Dans la revue Sovetskoe Iskusstvo (Art soviétique), on lit le 5 février 1936, dans l’article La musique classique au pays des Soviets :

« Nous connaissons et comprenons où reposait la grande force de Beethoven, Moussorgski et Glinka, Tchaïkovski et Rimski-Korsakov ; cela consiste précisément en cela : ils puisaient de la même source de toute musique – de l’art folklorique…

Les formalistes en musique de Leningrad, guidé par [Ivan] Sollertinski, se mettent à plat ventre devant Alban Berg, Hindemith, Krenek, Schönberg et d’autres idoles sacrées de l’expressionnisme allemand, la plus pervertie de toutes les écoles musicales modernes.

Ils tournent le dos à [l’opéra en chansons de 1935 d’Ivan Dzerjinski] Le Don paisible, car Dzerjinski écrit de la musique compréhensive, à savoir « la musique du 19e siècle ».

Ils rejettent avec dédain Tchaïkovski et s’en moquent. Tchaïkovski, dans tout son héritage créatif, n’auraient pas réussi autant que [Gavriil] Popov en une seule symphonie.

Et le jeune compositeur Popov [né en 1904] se proclame un génie parce qu’il a composé une œuvre gigantesque remplie de de rugissements d’éléphants et toutes sortes de bruits de cliquetis et de hurlements. »

Le Narkompros, le Commissariat d’État aux Lumières (et non pas simplement à « l’éducation ») fondé le 26 octobre 1917, se tourna alors uniquement vers l’éducation alors qu’était mis en place un Comité pour les affaires artistiques, en janvier 1946. La revue Sovetskoe Iskusstvo (Art soviétique) passa conséquemment dans les mains du Comité.

À partir de ce moment, tant la RAPM, l’association russe des musiciens prolétaires, que l’ACM, l’association pour la musique contemporaine, toutes deux dissoutes au début des années 1930, furent vigoureusement dénoncées pour leur approche incapable de saisir la nature démocratique de la musique classique authentique.

Le niveau d’organisation de l’Union des compositeurs fut élevé. Fondée en janvier 1933 avec une publication au départ bimensuelle de 200 pages, puis mensuelle d’un peu plus d’une centaine de pages, Sovetskaia Muzyka (Musique soviétique), l’Union s’appuyait sur des branches locales relativement autonomes, avec principalement Moscou et Leningrad.

Cette dernière section avait, en septembre 1933, 122 membres ; la plus grande section, celle de Moscou, avait 150 membres. Parmi ceux-ci, moins de 10 % étaient du Parti ; 105 étaient des compositeurs, 45 des musicologues. 50 % des membres composaient depuis plus de vingt ans, soit bien avant Octobre 1917. 60 % étaient ethniquement russe, 25 % juif.

Preuve de la qualité de leur travail, de 1928 à 1941, 78 % des opéras et 55 % des ballets au théâtre du Bolchoï, à Moscou, relèvent de classiques datant d’avant Octobre 1917.

Au Bolchoï, une part significative des places était réservée aux travailleurs de choc ; six bureaux de vente avaient été mis en place dans les principales usines. Des présentations et des conférences étaient organisées spécialement parfois pour un public non averti avant les mises en scène. Entre 1930 et 1933, 150 000 personnes avaient assisté à des représentations du Bolchoï.

Des concerts furent également organisés dans les usines elles-mêmes ; à partir de la saison 1934/1935, il y eut des tickets spéciaux couplant des concerts symphoniques, une soirée littéraire, un opéra mis en concert, etc.

Des compositeurs partirent de manière régulière dans des kolkhozes, notamment dans une vingtaine autour de Moscou. Et chaque entreprise disposait de sa section musicale, avec pour les plus grandes, comme l’usine Putilov à Leningrad, une chorale et un regroupement pour l’opéra.

Le rapport dialectique masses – compositeurs était lancé, même si le Parti, notamment en 1948 avec la résolution sur l’opéra «La grande amitié», devait systématiquement faire des rappels à l’ordre pour empêcher les compositeurs de basculer dans le formalisme ou le naturalisme.


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