Hegel repart donc de là où il était arrivé, par impossibilité de se rapporter à la matière en tant que telle ; il passe des centaines de pages à formuler une sorte de subjectivisme affirmant saisir les modalités dialectiques de l’existence. Les errements dans La science de la logique rendent son étude fastidieuse, malgré les éléments essentiels qu’on y trouve.
Chez Hegel, la vie serait avant tout à considérer du point de vue de l’individu vivant. Hegel revendique l’individualité subjective capable de saisir, au moyen des concepts, des réalités dispersées, dont le fonctionnement répond somme toute à une sorte de mécanique opposition / sujet-objet :
« Une telle unité d’essence et de forme, qui s’opposent comme forme et matière, est le fondement absolu, qui se détermine. »
La vérité n’est plus le réel, mais le processus logique lui-même. Ce qui compte, ce ne sont pas les choses en tant que tel, mais leurs propriétés, dont l’agencement est compris par une analyse logique – ce qui est basculer dans la démarche analytique que Hegel réfute pourtant. Tout cela parce que Hegel réduit la matière au matériau ; ici apparaît le principe de la phénoménologie, où des aspects des choses se présentent et établissent des rapports entre elles, dont la délimitation consiste en la philosophie (Husserl, Sartre, etc.).
Ce n’est pas la réalité qui porte le mouvement, mais le fait qu’il y ait mouvement qui amènerait la réalité :
« L’identité abstraite avec soi n’est pas encore en soi le caractère d’être vivant, mais que le positif est en soi lui-même la négativité, c’est par là qu’il va en-dehors de lui et qu’il se place en transformation.
Quelque chose est ainsi vivant, seulement dans la mesure où il contient en lui la contradiction, et c’est là la force, de saisir et de maintenir la contradiction en soi. »
C’est là le reflet de l’esprit bourgeois de l’entrepreneur, qui donne naissance dans la mesure où il parvient à donner vie à ce qu’il entreprend. C’est également la conception de l’individu dans le capitalisme, faisant des choix qui réussissent, qu’il « parvient » à faire réussir.
Hegel dresse une véritable théorie des « possibles », qui seraient « nécessaires » de par leur liaison dialectique, mais qui en définitive aboutit à une sorte de mysticisme de la logique dialectique, comme compréhension de l’établissement des choses :
« La logique est par là à saisir comme le système de la raison pure, le royaume de la pensée pure.
Ce royaume est la vérité, lorsqu’elle est sans enveloppe et pour elle-même.
On peut pour cette raison exprimer le fait que ce contenu est la représentation de Dieu tel qu’il est dans son essence éternelle avant la création de la nature et d’un esprit fini. »
Comprendre la logique dialectique serait saisir l’ordre des choses, et non plus les choses. La dialectique de Hegel est dégradée au culte de l’esprit se plaçant au-dessus des phénomènes, des choses, regardant de manière logique les processus. C’est Aristote placé dans le cadre de l’époque de la bourgeoisie, avec par conséquent l’introduction de la notion de mouvement à la place du système de raisonnement du type cause-conséquence.
Lénine, dans ses notes sur La science de la logique, résument de manière absolument impeccable cela, avec une précision impressionnante dans le choix des termes, dans la synthèse des errements de Hegel :
« Le fleuve et les gouttes dans ce fleuve. La situation de chaque goutte, son rapport aux autres ; sa liaison avec les autres ; la direction de son mouvement ; la vitesse ; la ligne du mouvement — droite, courbe, circulaire, etc.— vers le haut, vers le bas. La somme du mouvement. Les concepts en tant qu’inventaires des aspects particuliers du mouvement, des gouttes particulières (= « les choses »), des « filets » particuliers, etc. Voilà à peu près le tableau de l’univers d’après la Logique de Hegel — naturellement moins le Bon Dieu et l’absolu. »
Heureusement de ce fait, bien loin de cette mentalité où la logique est inventaire, le matérialisme dialectique sut préserver le noyau matérialiste et réaliser un saut qualitatif à l’hégélianisme, par le marxisme, puis le léninisme, puis le maoïsme.