[Article publié dans le dix-neuvième numéro de la revue au format PDF « Crise »]
Il faut souligner ce que la guerre en Ukraine implique sur le point de vue de l’internationalisme prolétarien, pour la Belgique et la France, sous la bannière du marxisme-léninisme-maoïsme. Il y a ici un changement majeur, dont la teneur est la recomposition de classe reconstruisant l’internationalisme prolétarien.
Le triomphe du capitalisme pour la période 1989-2020 a démoli le patrimoine prolétarien – mais l’avant-garde communiste a préservé les fondamentaux et se réaffirmera historiquement dans la nouvelle phase où le capitalisme s’effondre et bascule dans la guerre impérialiste.
Le grand mot d’ordre du Manifeste du Parti Communiste de Karl Marx et Friedrich Engels était « Prolétaires de tous les pays, unissez-vous » et, par la suite, ce fut celui de la révolution d’Octobre 1917 et de l’URSS, avec Lénine et Staline. Ce fut également la devise de l’URSS.
Cela ne veut pas dire que les soulèvements nationaux contre le colonialisme ne se soient pas vu accorder une importance capitale, bien au contraire, l’Internationale Communiste n’a jamais cessé de le souligner. Les succès en ce domaine ont amené par la suite les communistes chinois à modifier pour cette raison ce mot d’ordre, y ajoutant à la fois les nations opprimées et les peuples opprimés. Ce qui donne : « Prolétaires de tous les pays, nations et peuples opprimés, unissez-vous ! »
Que faut-il comprendre par peuple et nation opprimés ? Par nations opprimées, il était compris les peuples étant parvenu à leur forme nationale, mais dans un cadre où ils sont opprimés par l’impérialisme, la forme sociale de leur pays étant semi-féodale, semi-coloniale. Par peuple opprimé, il faut comprendre les peuples qui sont victimes d’un colonialisme en tant que tel et ne sont pas parvenus à une affirmation nationale en tant que telle, comme les Palestiniens ou les Sud-Africains.
Les nations opprimées et les peuples opprimés formaient dans les années 1960, comme l’expliquaient les communistes chinois, une nouvelle « zone de tempête » ; c’était là que se situait le centre de gravité de la révolution mondiale. Dans sa fameuse « lettre en 25 points » critiquant le Parti Communiste d’Union Soviétique, le Parti Communiste de Chine a noté en 1963 souligne que :
« C’est dans les vastes régions d’Asie, d’Afrique et d’Amérique latine que convergent les différentes contradictions du monde contemporain, que la domination impérialiste est le plus faible, et elles constituent aujourd’hui la principale zone des tempêtes de la révolution mondiale qui assène des coups directs à l’impérialisme (…).
Actuellement, dans les rangs du mouvement communiste international, certains vont jusqu’à mépriser la lutte libératrice des nations opprimées et à adopter une attitude passive et négative envers elle ; en fait, ils ne font que défendre les intérêts du capital monopoliste, trahir les intérêts du prolétariat et, ce faisant, ils dégénèrent et deviennent des social-démocrates.
L’attitude envers la lutte révolutionnaire des peuples des pays d’Asie, d’Afrique et d’Amérique latine est un important critère qui permet de distinguer ceux qui veulent faire la révolution de ceux qui ne le veulent pas, ceux qui défendent véritablement la paix mondiale de ceux qui encouragent les forces d’agression et de guerre. »
Cette question de la reconnaissance de l’importance des pays du tiers-monde est alors centrale, car elle permet de saisir la nature de la situation mondiale. De fait, les communistes des pays capitalistes occidentaux ont été totalement corrompus en ne saisissant pas cela. Ils imaginaient que leurs pays s’appauvrissaient, en tout cas les larges masses, alors que le capitalisme était en expansion, notamment en profitant de l’organisation du tiers-monde selon les intérêts du capitalisme occidental (et également du social-impérialisme soviétique).
Les statuts du Parti Communiste de Chine, en 1969, voient le premier chapitre, consistant en le programme général, se conclure par les lignes suivantes :
« Fermement attaché à l’internationalisme prolétarien, le Parti communiste chinois s’unit résolument avec les partis et groupements marxistes-léninistes authentiques, avec le prolétariat, et avec les peuples et la nations opprimés du monde entier dans la lutte en commun pour abattre l’impérialisme ayant à sa tête les États-Unis, le révisionnisme moderne ayant pour centre la clique des renégats révisionnistes soviétiques, ainsi que toute la réaction, et parvenir à l’abolition sur le globe du système d’exploitation de l’homme par l’homme, qui apportera l’émancipation à toute l’humanité.
Les membres du Parti communiste chinois, qui ont fait serment de consacrer leur vie à la cause du communisme, doivent s’armer de résolution, ne reculer devant aucun sacrifice et surmonter les difficultés pour remporter la victoire ! »
Tenant un discours dans une cage de fer et en tenue de bagnard à la suite de son arrestation en 1992, le dirigeant du Parti Communiste du Pérou Gonzalo a rappelé la nature de son pays tout en appelant à persévérer sur la voie de la guerre populaire :
« Aujourd’hui il n’y a qu’une réalité, ce sont les mêmes rivaux de la première et de la deuxième guerre mondiale qui génèrent et préparent la troisième et nouvelle guerre mondiale.
Il faut le savoir et nous, fils d’un pays opprimé, nous faisons partie du butin. Nous ne pouvons pas l’accepter ! Assez d’exploitation impérialiste ! Il faut en finir avec eux ! »
Cette question du butin des impérialistes est essentielle, oublier cette question, c’est basculer dans le social-impérialisme, si puissant en Belgique et en France, avec des pseudos-contestations et des pseudos-révolutionnaires, qui en fait vivent bien au chaud dans les métropoles impérialistes, ne se mettant pas à la hauteur des contradictions mondiales.
Il y a ici lieu de rompre de fond en comble avec toutes les formes de narratifs de la pensée bourgeoise, impliquant de nuancer les formes de capitalisme, que ce soit sous le masque d’un discours disant qu’il existerait des formes « émergentes » ou en « transition » ou celui qui prétend avec un romantisme stérile qu’il existerait des pays portant des « alternatives » ou des « résistances » à l’ordre capitaliste mondialisé.
Dans le cadre du mode de production du capitalisme de notre époque, il faut voir que le capitalisme est désormais partout, avec des nuances, des contrastes et des différenciations, et donc avec des contradictions devenues générales et mondiales.
Les communistes luttent dans chaque pays selon les intérêts de la révolution mondiale ; ils ne perdent jamais de vue cette réalité stratégique, sans quoi ils perdraient leur substance même. Eviter la corruption bourgeoise implique de se mettre à la hauteur des enjeux.
De manière juste, le Parti Communiste du Pérou présentait justement comme suit les contradictions historiques, dans sa Ligne générale, en 1988 :
« 1) La contradiction entre les nations opprimées d’une part et les superpuissances impérialistes et puissances impérialistes de l’autre ; c’est ce que renferme la thèse des trois mondes se dessinent ; cette contradiction se dessine – et nous la formulons ainsi -, car l’essence de cette contradiction est avec les superpuissances impérialistes, mais il y a aussi contradiction avec les puissances impérialistes.
C’est la contradiction principale ; le développement et le triomphe des révolutions de démocratie nouvelle représentent sa solution.
2) La contradiction prolétariat-bourgeoisie ; sa solution : la révolution socialiste et, en perspective, la révolution culturelle prolétarienne.
3) La contradiction inter-impérialiste : entre les superpuissances ; entre superpuissances et puissances impérialistes et puissances impérialistes entre elles, ce qui mène à la guerre pour l’hégémonie mondiale et aux guerres impérialistes de rapine ; le prolétariat doit leur opposer la guerre populaire et, en perspective, la guerre populaire mondiale. »
Ne pas voir la contradiction entre les nations opprimées d’une part et les superpuissances impérialistes et puissances impérialistes de l’autre, ne pas en saisir l’importance, c’est être corrompu par son propre impérialisme, c’est basculer dans le camp « social » des métropoles impérialistes.
Cela souligne d’autant plus l’importance des orientations communistes dans un tel cadre, alors qu’une invasion impérialiste de grande ampleur a lieu, modifiant le cadre général.
La base fondamentale du travail qui doit être la base de toute réflexion de toute avant-garde, de toute théorie nourrissant la pratique et se nourrissant d’elle doit donc être celle articulant la « thèse des trois mondes » avec la « perspective de la guerre populaire mondiale », elle-même orientée à tout moment et constamment, et donc à chaque étape (au sens matérialiste dialectique) qu’il faudra déterminée, sur les exigences de la révolution culturelle prolétarienne propre à l’étape en cours.
C’est là historiquement poser le premier jalon de la reconstruction de la conscience de classe en Belgique et France, sur la base de la plateforme édifiée, affirmée et arborée depuis maintenant des années par l’avant-garde révolutionnaire sous la bannière du marxisme-léninisme-maoïsme, qui a défendue authentiquement l’héritage révolutionnaire et le prolonge historiquement.
La guerre en Ukraine est, dans le cadre des contradictions mondiales, un jalon posé dans la reconstruction de la conscience de classe, de la recomposition du tissu prolétarien. La paralysie actuelle des masses est un reflet de son ankylosement dans la société de consommation. Les masses ont perdu de vue la question de la guerre impérialiste comme découlant nécessairement du capitalisme, de par l’expansion capitaliste de la période 1979-2020, avec la désagrégation du bloc du social-impérialisme soviétique et l’intégration de la Chine comme usine du monde.
Cependant, une incompréhension de la guerre impérialiste n’a pas été la règle auparavant. Une des grandes conséquences de la première crise générale du capitalisme a été de solidifier ce positionnement pacifiste et internationaliste dans une grande partie des peuples du monde. Ce positionnement n’a pas été acquis simplement par des positions théoriques, mais bien par une intervention pratique dans l’histoire des Partis Communistes dans le cadre de l’Internationale Communiste, puis par les mouvements anti-révisionnistes des années 1960-1970 rejoignant la bannière du maoïsme.
On ne peut d’ailleurs pas comprendre les oppositions organisées à la guerre en Yougoslavie (1993), puis en Afghanistan (2001) et en Irak (2003) en Belgique et en France sans voir qu’elles sont justement l’expression d’une fin de parcours historique du mouvement ouvrier de l’époque de la première crise générale.
La base de ces contestations a été la formation de collectifs anti-guerre par des mouvements pacifistes-alternatifs le plus souvent issus ou connectés aux organisations de gauche ayant relevé d’une manière ou d’une autre au mouvement ouvrier.
Il est ici encore difficile d’en avoir une photographie précise, mais les années 2010 ont justement été la décennie du grand lessivage politique, idéologique et culturel de la gauche produit de la première crise générale. L’expansion capitaliste a effacé tout un parcours politique historique.
A ce titre, la déclaration « Les années 2010, dernière étape de la période-parenthèse ouverte en 1989 », publiée en janvier 2020 par le PCF (mlm) juste avant l’émergence de la pandémie et avant son impact immense historiquement, revêt un caractère tout à fait concret :
« La différence est ici fondamentale avec les années 1980, période d’instabilité générale avec l’affrontement des superpuissances américaine et social-impérialiste soviétique en toile de fond.
À l’époque, il existait des poches antagoniques, tels les squats, une mouvance contestataire restreinte mais engagée de manière commune, au-delà des différences, dans l’exigence de la rupture.
La chose a été rendue impossible dans la période 1989-2019, tout ayant été asséché. »
Ce qu’on parvient à saisir à partir de la période 2020-2022, c’est que cet assèchement a été un processus sinueux aboutissant à la liquidation dans les masses de pratiquement toutes les positions acquises entre 1917 et 1989.
Mais, dialectiquement, plus les masses ont perdu leurs repères politiques et culturels issus de l’expérience de la première crise générale, plus la sauvegarde et le déploiement de la pensée révolutionnaire a été favorisé par ce qui allait aboutir au Centre MLM de Belgique et le PCF (mlm).
Ainsi, toute personne qui saisit la question de l’affrontement révolutionnaire ne peut que se mettre en relation avec l’avant-garde communiste en Belgique et en France, afin d’être soi-même un contributeur subjectif au processus en cours. Il n’y a pas d’autres alternatives, si ce n’est de tomber dans une forme de réformisme ou de capitulation.
L’enjeu ouvert par la seconde crise générale du capitalisme, c’est bien qu’il n’y aura pas de « prise de conscience » symbolique ou uniquement politiquement partisane, à l’instar de ce qui fut et a été historiquement réalisé lors de la première crise générale, mais un processus de rupture.
Non pas que le niveau de conscience n’est pas essentiel, bien au contraire, mais il ne peut pas y avoir d’élévation du niveau de conscience sans une capacité de rupture pratique avec le système dans son ensemble.
Action Directe note à ce sujet en 1984 dans son document Guerre et restructuration :
« Dans le mouvement que le capital impulse et dans ce que détermine le militarisme, il ne s’agit plus seulement de la simple reproduction du capital par celle de la force de travail (société de consommation, chute des taux de profits par la stabilisation des forces et le développement antagoniste de leurs qualités), mais de la reproduction productive du capital par la consommation directe, l’attachement des forces productives à une nouvelle notion de quantité et de sécurité fondée sur la violence et la terreur quotidienne que le capital développe pour sa survie existentielle, par la guerre dans le tiers monde et la menace de nucléarisation des conflits économio-stratégiques.
« La tendance à la guerre vit dans chaque aspect des rapports sociaux capitalistes jusqu’à arriver sous une forme contradictoire dans la conscience même des prolétaires » (BR, Colonne Walter Alasia).
« Le nouveau consensus ainsi recherché, tout en déplaçant la production hors de l’usine pour neutraliser les antagonismes de classes qui y étaient une dimension centrale, centralise alors la société comme unité et cause de production du militarisme ; Décomposition et différenciation n’opèrent pas seulement au niveau matériel, mais au contraire ont un objectif beaucoup plus ambitieux : transformer l’ouvrier en « homme du capital », pur appendice, sans vie et sans histoire, de la machine.
Et cela n’est possible qu’en anéantissant la mémoire historique collective de la classe ouvrière » (BR, Colonne Walter Alasia).
Aujourd’hui l’OTAN est la forme particulière que prend l’impérialisme pour généraliser au travers de son mode de production, son hégémonie. »
On parle ici d’un long commencement de l’installation du capitalisme développé, devant se terminer dans les années 2020. Car la question de la guerre impérialiste réouverte par la seconde crise générale repose directement cette question de l’affrontement révolutionnaire dans la conscience populaire.
La paralysie des masses populaires est en fait liée à cet aspect, car la classe ouvrière porte en elle l’antagonisme avec la bourgeoisie et le retour des antagonismes impérialistes lui rappelle, c’est qu’elle sait déjà au moins instinctivement, dans une forme torturée : rien n’est possible sans lier le fusil à la démocratie, sans protéger la démocratie par une armée populaire.
Avec la guerre en Ukraine, et plus généralement la seconde crise générale ouverte par la pandémie de Covid-19, c’est toute la sédimentation spirituelle liée à la corruption capitaliste résultant de la période 1989-2019 qui est en train de s’effriter.
A ce titre, on remarquera que tous les courants qui nient l’héritage des années 1970-1980 sont condamnés à moyen-court terme à la mort.
Qu’ils soient réformistes, populistes, révisionnistes ou post-révisionnistes, tous les courants contestataires à prétention sociale ou utopique ont failli de par leur acceptation d’un capitalisme stabilisé.
Or, on ne peut pas affronter la machinerie capitaliste développée sans avoir recours aux concepts pratiques de rupture subjective, d’aliénation, de métropole impérialiste, de guerre impérialiste.
Ce qui se pose pour l’affrontement révolutionnaire tel qu’il se dessine pour les décennies à l’horizon 2050, c’est la capacité culturelle et idéologique à assumer une rupture autonome au cœur dans la machinerie impérialiste telle qu’elle s’élance à nouveau vers la guerre.
La caractéristique de notre époque est que le capitalisme se fait désormais face à lui-même, la Crise ouverte avec la pandémie de COVID-19 a confirmé être une crise générale du mode de production capitaliste, désormais mondialisé et généralisée, de manière forcément contrastée et différenciée.
Le capitalisme s’est imposé de fait partout, et il se brise sur ses propres contradictions.
Et le face à face entre la Russie capitaliste, dans une version bureaucratique et impérialiste, et l’OTAN, représentant les pays d’une version libérale et impérialistes du capitalisme, prenant en étau l’Ukraine, ouvre nécessairement un chemin à l’expression du réel antagonisme au mode de production capitaliste dans son ensemble, c’est-à-dire à la rupture révolutionnaire, tenant compte des contrastes et des différences de situation et portant partout face au capitalisme mondialisé et à l’esprit de la bourgeoisie qui le porte, une lutte des classe offensive, allant à la guerre populaire et affirmant ainsi toujours plus la culture prolétarienne annonçant une nouvelle Humanité, dépassant les contradictions et les impasses du capitalisme, et réconciliant l’Humanité avec elle-même et avec la Biosphère.
Telle est la gigantesque tâche qui attend les révolutionnaires de notre époque, alors que s’ouvre enfin la voie lumineuse de la rupture et de la culture, restaurant l’inévitable et enthousiasmante perspective de changer la vie, en renversant le monde décadent, épuisé et aliénant, dans lequel s’était enfermée l’Humanité depuis tant de décennies.