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La question du Bengale est un cas très proche de la question allemande, les pays allemands se séparant en deux nations : l’Allemagne et l’Autriche. Fondamentalement, dans l’histoire, le Bengale a été coupé en deux parties, partageant le même langage, mais divisées pour ce qui concerne la principale idéologie, qui était, à cette époque féodale, la religion.
En raison de cela et suivant la définition marxiste de la nation, la séparation de l’Ouest et de l’Est est plus proche de la séparation Allemagne / Autriche que de la séparation Allemagne de l’Ouest/de l’Est de 1945-1989.
Voyons maintenant comment le peuple bengali a évolué.
La raison d’une telle séparation comme celle qui s’est déroulée au Bengale – avec la formation du Bangladesh – ne peut pas simplement s’expliquer par les conversions de masses dans le Bengale oriental amenées par les missionnaires musulmans.
L’Islam est arrivé au 12ème siècle, par la conquête d’un côté, par le commerce de l’autre, particulièrement sur la zone côtière, avec le port de Chittagong par exemple. Ensuite, de nombreux missionnaires arrivèrent pour propager l’Islam.
Mais cela ne peut pas avoir amené au fait qu’aujourd’hui, 90,4% de la population du Bangladesh est de culture islamique.
Pourquoi cela ?
a) Premièrement, nous pouvons voir que la culture islamique ne s’est pas répandue avec cette ampleur dans la partie occidentale du Bengale. De plus, l’Islam n’a pas commencé comme un courant tentant de devenir le courant principal.
Il n’a jamais eu les particularités d’une culture minoritaire, comme cela a été le cas à Hyderabad en Andhra Pradesh, où il s’agit d’une sorte « d’île » islamique.
En raison de cela, l’explication qui donne un rôle central aux gouverneurs, rois, nizams, etc. musulmans et aux missionnaires n’est pas valide.
L’Islam a simplement été accepté par les masses du Bengale oriental, et cela d’une manière massive, du jour au lendemain. Le langage bengali – le bangla – est resté pratiquement intouché, restant fortement fondé sur une origine sanskrite et des emprunts aborigènes.
Il n’y a absolument pas eu de processus de construction d’une langue comme l’hindustani, où ce qui est aujourd’hui l’hindi et l’ourdou ont massivement emprunté au vocabulaire et aux expressions du persan, en raison de l’influence majeure de la culture islamique.
Les masses du Bangladesh ont même pris la langue comme une arme principale dans leur lutte contre le Pakistan occidental, une culture où la culture islamique avait l’hégémonie.
b) Ensuite, nous pouvons voir que le Bengale musulman était et est toujours aujourd’hui une petite poche dans une zone du monde où l’hindouisme est toujours une composante principale de l’idéologie dominante : l’Inde.
Le Bengale était loin des centres culturels islamiques ; il était séparé par de nombreux peuples et de nombreuses cultures ; il n’était pas en contact direct.
L’empire britannique a essayé de comprendre cette réalité, et le recensement effectué en 1872 montre que les proches musulmanes au Bengal se situaient dans les plaines alluviales.
Voyant cela, ainsi que seulement un peu plus d’1% de la population interrogée affirmait être d’origine étrangère, les cadres britanniques pensaient qu’ils venaient des basses castes, qui s’étaient converties à l’Islam pour échapper à la domination de l’hindouisme.
Mais cette explication est mécanique. Le Bengale était en effet avant l’Islam sous l’influence du bouddhisme, et le bouddhisme ne connaît pas les castes. Il y avait également le jaïnisme qui existait dans l’Inde ancienne, et qui ne reconnaissait pas les castes.
Pourquoi est-ce que les masses opprimées choisiraient une religion venant de loin, si c’était uniquement pour une question de castes, alors qu’elles pourraient simplement soutenir le bouddhisme, comme auparavant ?
Le matérialisme dialectique nous enseigne que la contradiction est un processus interne. Ainsi, la raison pour le triomphe de l’Islam dans la partie orientale du Bengale doit venir du Bengale oriental lui-même.
L’Islam au Bengale ne peut pas avoir été « importé. »
Donc, regardons l’histoire du Bengale. Nous pouvons voir ces traits particuliers :
a) Suivant les Manusmṛti, connus en Europe sous le nom de « Lois de Manu » (entre 200 avant et 200 après JC), le Bengale ne faisait pas partie de l’Āryāvarta (« la demeure des Aryens » en sanskrit).
b) Ce n’est que sous l’Empire Maurya (321-185 avant JC) que la partie occidentale du Bengale a été jointe pour la première fois à l’Inde ancienne, la partie orientale formant l’extrémité de l’empire.
c) Ce n’est que lors de l’empire Gupta (320-550 après JC), que les chefs locaux ont été écrasés au Bengale.
Qu’est-ce que cela signifie ? Que sous l’empire Maurya, le Bengale (principalement son côté occidental) a connu un saut de civilisation, notablement par l’intermédiaire du grand empereur bouddhiste Ashoka.
Puis, avec l’Empire Gupta et son extermination du Bouddhisme en Inde, le Bengale est devenu le dernier endroit de confrontation entre l’hindouisme et le bouddhisme. S’ensuivit une politique de missionnaires promouvant l’hindouisme.
Il est clair que les empires Maurya et Gupta ont changé la réalité du Bengale occidental, développant sa société à un stage supérieur, avec une administration d’État produite par le haut développement en Inde occidentale.
En raison de cela, l’effondrement de l’empire Gupta a amené une situation de chaos au Bengale, une situation appelée « matsyanyaya. » Une nouvelle dynastie connut une naissance localement, les Palas, qui mirent en avant le bouddhisme – clairement pour avoir un meilleur rapport de force avec l’Inde ancienne, qui était sous domination hindouiste. Même dans le sud est du Bengale, les rois locaux suivaient cette politique pro-bouddhisme.
Mais les Palas essayèrent d’envahir certaines parties de l’Inde ancienne, particulièrement le Bihar, à l’ouest du Bengale. Le centre de gravité se décala à l’ouest, s’éloignant toujours plus du Bengale oriental. Cela aura des conséquences fatales pour l’unité du Bengale.
A cette époque, le Bengale bouddhiste qui aurait été une partie de l’Inde ancienne n’aurait pas été possible : les forces hindouistes contrôlaient l’Inde, le Bengale en était dépendant, et ainsi la culture hindouiste se répandit dans la culture des Palas.
Les rois Palas étaient entourés d’un appareil d’État hindouiste (de la poésie aux ministres), se marièrent à des femmes de familles brahmanes ; dans ce processus, le Bengale occidental était attiré par l’Inde ancienne, cette fois de manière décisive.
Le bouddhisme n’était maintenu sous les Palas qu’afin de conserver une identité distincte, que le règne des Palas soit justifié, et également parce qu’il s’agissait d’une expression de la culture bengalie de cette époque.
De fait, le bouddhisme bengali de cette époque était caractérisé par la présence massive de déesses. Nous trouvons par exemple ces importantes figures, présentes dans la version du bouddhisme des Palas :
Tara
Kurukullâ
Aparâjita
Vasudharâ
Marîchî
Paranùabari
Prajnâparamitpa
Dhundâ
Nous verrons que la présence massive de déesses dans la culture bengali nous aidera d’une manière significative.
Néanmoins, et ce qui compte ici dans ce processus, c’est que ce n’était qu’une question de temps avant que les forces féodales – reliées à l’Inde hindouiste – renversent la dynastie des Palas. Cela se fit sous Vijaysena, un brahmane-guerrier du sud de l’Inde, qui établit une dynastie hindouiste, intégrant le Bouddha comme un avatar (maléfique) de Vishnou.
La dynastie des Senas mit en avant l’hindouisme d’une manière massive, amenant des brahmanes du reste de l’Inde pour former une nouvelle classe dominante, avec des dons de terres également. Les Senas installèrent une petite minorité comme pure « élite » religieuse », d’une manière fortement hiérarchique.
Le Bengale était pratiquement colonisé par l’Inde ancienne hindouiste ; l’impact de cette colonisation avait évidemment un centre de gravité au centre du Bengale.
La dynastie des Senas marqua la ruine du commerce des marchands, qui soutenaient le bouddhisme – ici l’aspect « égalitaire » du bouddhisme montre son aspect pré-bourgeois, très proche du protestantisme, avec également de soulignées la civilisation globale et l’administration unifiée.
Pour cette raison, le Bengale est devenu féodal, par le haut de la société, en raison de l’influence de l’Inde ancienne.
Nous avons ici la clef principale de la division. En effet, nous pouvons voir ici :
a) l’influence Maurya et Gupta a amené le Bengale occidental à un stade plus élevé de culture, tandis que la partie orientale restait arriérée, mais toujours influencée par la culture aborigène et le matriarcat ;
b) Ensuite, il y avait la chance historique pour le Bengale de s’unifier – sous la bannière du bouddhisme, comme ce qui est arrivé dans les pays à l’Est du Bengale (Birmanie, Laos, Thaïlande…). Cette unification aurait été faite par un royaume fondé principalement dans la partie occidentale et la généralisation du commerce.
c) Mais la dynastie Sena s’est effondrée, en raison de l’expansion de l’Inde ancienne, et le Bengale occidental est devenu une composante de celle-ci sur les plans culturels et économiques, ce qui signifie que l’aspect féodal a triomphé sur les aspects pré-bourgeois portés par le bouddhisme et les villes.
d) La partie orientale avait besoin d’un saut qualitatif, qui a été pratiquement raté durant les empires Maurya et Gupta, mais cela ne pouvait pas être fondé sur le bouddhisme, puisqu’il avait été l’idéologie de la dynastie des Palas, dont le fondement était dans la partie orientale ou même au Bihar.
e) L’invasion musulmane est arrivée précisément à ce moment d’une besoin général d’un mouvement anti-féodal.
f) Néanmoins, le mouvement pré-bourgeois anti-brahmane ne sera pas présent qu’à l’est, avec l’Islam – il existera également dans la partie occidentale, par le culte de la déesse qui était déjà présent dans le bouddhisme, et qui sera placé dans l’hindouisme.
Les historiens bourgeois pensent que la conversion de masse à l’Islam a été une réaction paysanne à la pénétration aryenne au Bengale oriental ; en fait, l’Islam à l’est et l’hindouisme influencé par les aborigènes à l’ouest ont été tous deux une expression pré-bourgeoise contre le féodalisme.
Les historiens bourgeois notent que les paysans étaient trop faibles sur le plan économique, mais pensent qu’ils ont essayé de combattre dans les domaines idéologiques et culturels, par les armes de l’Islam empruntés à l’étranger.
Cela signifierait que les paysans seraient une classe unie et consciente – ce qui n’a jamais été le cas dans l’histoire. En fait, les classes pré-bourgeoises ont construit une arme idéologique pour contre-attaquer face à la pénétration féodale au Bengale.
L’invasion islamique – qui n’a pas été une invasion, mais une conquête – a été le détonateur de ce moment historique de la lutte de classe.
Au Bengale oriental, l’Islam a été massivement accepté. Mais cet Islam était spécifiquement bengali. Il y avait une sur-importance accordée aux aspects magiques des missionnaires qui apportaient l’Islam. Ces « soufis » étaient considérés comme guérissant les malades, marchant sur l’eau, etc.
Même si l’Islam au Bangladesh est sunnite, d’une manière unique il célèbre les saints, les tombes sont l’occasion de pèlerinages, etc.
De la même manière, les sites hindous et bouddhistes ont simplement été adaptés au culte musulman.
Au Bengale occidental, l’hindouisme devint hégémonique, mais il a étalement été altéré. La manière principale de considérer l’hindouisme est le kali-kula – le culte de la grande déesse (Mahadevi) ou de la déesse (Devi), également connu sous le nom de shaktisme.
Le film de Satyajit Ray « Devi » dépeint cette réalité ; au Bengale, la déesse Kali est révérée, et le shaktisme peut être considéré comme plus puissant que le shivaïsme et le vaishnavisme, qui représentent des aspects plus typiques de la culture et de l’idéologie patriarcales indo-aryennes.
Ainsi, au Bengale occidental et oriental, l’hindouisme célèbre des déesses comme Durga, Kali, Lakshmi, Sarasvati, Manasa, ou Shashthi, Shitala, Olai Chandi.
Mais ce n’est pas tout. Le syncrétisme est apparu comme la tendance nationale bengalie à l’unification.
Lorsque le Bengale occidental s’est tourné vers une variante de l’hindouisme et le Bengale oriental vers une variante de l’Islam, et en raison de l’unité encore grande entre ces deux parties du monde, une tendance syncrétique s’est développée.
Il s’agissait clairement d’une expression d’éléments pré-bourgeois, qui essayaient d’unifier et non pas de diviser ; en raison de cet aspect bourgeois, l’expression était universaliste.
Dans la partie occidentale, Chaitanya Mahaprabhu (1486–1534) a développé un culte de Krishna comme seul Dieu réel, au-dessus des castes, fondé sur « l’amour » dans une union mystique avec la vérité absolue ; au Bengale oriental, les soufis enseignaient le caractère central de l’amour pour rejoindre Dieu, au-delà des aspects formels de la religion.
Dans ce cas musulman, les soufis ont adopté la position des gourous dans l’hindouisme et le bouddhisme, enseignant la voie de la vérité au disciple, par la méditation en particulier.
La question principale était alors : est-ce que les deux se rejoindraient finalement ? Ou bien ces deux tendances suivraient des voies particulières, modifiant les traits psychologiques en deux parties séparées, donnant naissance à deux différentes nations ?
Si nous avons raison concernant la thèse sur la situation du Bengale à l’arrivée de l’Islam, alors les points suivants doivent être vérifiés :
– tout d’abord, d’acharnées luttes de classe doivent avoir eu lieu avec les nouvelles armes idéologiques (hindouisme shakti et l’islam);
– ces armes, si elles étaient de vraies armes, doivent avoir prouvé leur efficacité, si non alors une autre arme aurait été soulevée;
– la classe dirigeante au Bengale doit nécessairement aussi avoir reflété cette situation de «deux voies culturelles» au Bengale.
De fait, le Bengale a prospéré et a ou défendre sa situation nouvelle. Deux points principaux sont à noter:
a) Sous Shamsuddin Ilyas Shah, qui régna de 1342 à 1358, le Bengale a été unifié. Le Sultanat nouvellement formé a même été capable de résister, sous des généraux hindous et musulmans, à l’attaque du Sultanat de Delhi, dirigé par Firuz Shah Tughlaq.
Le Bengale était alors connu sous le nom de Bangalah et l’État était le sultanat musulman du Bengale. Le sultan était appelé Sultan-i-Bangalah, Shah-i-Bangalah, ou de Shah-i-Bangaliyan.
Le mot est venu en Europe par Marco Polo, donnant naissance au mot « Bengale » (Marco Polo n’a jamais été au Bengale et a même fait une confusion, pensant en fait à une partie de la Birmanie!).
Le nouvel État islamique a modernisé le pays et son système administratif. La culture idéologique, basé sur la culture populaire du Bengale, mettait en avant l’islam, mais de manière locale. De nombreux éléments ont été pris aux arts bouddhiste et hindou (lotus ouvert de profil, éléments floraux, le lotus et le diamant, le lotus à pétales en frise, le trèfle, la rosette, le fleuron, le feston, la corde torsadée, damier, le diamant croisé etc.).
Husain Shah avait même des hindous comme Premier ministre (vizir), médecin, chef des gardes du corps, secrétaire privé, surintendant, etc.
b) Ala-ud-din Husain Shah, qui régna de 1494 à 1519, a défendu la littérature bengalie, promu la coexistence religieuse au Bengale, donnant à Chaitanya Mahaprabhu pleine possibilité de faire la diffusion de sa version mystique du Vishnouisme (ou Vaishnavisme) (pas de castes, culte de l’amour, universalité, etc.).
Cela a été l’aspect positif de la nouvelle situation. Le Bengale existait en tant que structure, avec une solide base interne, ce qui n’aurait pas été possible:
– Si le Bengale était bouddhiste, parce que le conquérant musulman aurait totalement rejeté tout compromis avec les élites locales, et surtout pillé la terre;
– Si le Bengale avait été hindou dans sa version traditionnelle, car alors il aurait idéologiquement submergé par l’Inde ancienne, et serait devenu une simple région orientale, sans réelle possibilité de développement local.
Les hindous ont été intégrés dans la noblesse bengali, nommé par les dirigeants musulmans. Le Bengale existait et pouvait se développer. Cela montre que la résistance pré-bourgeoise pouvait se structurer à travers une certaine variante de l’hindouisme et une certaine version de l’islam.
Regardons maintenant l’aspect négatif. Le fait que deux religions existent au Bengale était un problème idéologique. Pour réaliser une forte unité nationale, l’existence d’une seule unité religieuse dans le pays était nécessaire pour l’élément pré-bourgeois, allié au conquérant locale établissant son autorité.
Nous verrons que cet objectif sera retrouvé beaucoup de fois, même dans l’histoire moderne du Bengale.
Quoi qu’il en soit, à cette époque, les problèmes étaient les suivants:
– il y avait nécessairement deux factions soutenant l’islam ou l’hindouisme comme principal centre idéologique;
– ces factions seraient nécessairement en lutte et essayant de gagner de l’importance au sein du pouvoir d’État, qui était dominée par les conquérants musulmans.
L’épisode de la dynastie Ganesha au 15ème siècle a été une expression de cela: le propriétaire terrien Raja Ganesha a renversé la dynastie musulmane, mis son fils comme souverain musulman pour le renverser dès que l’invasion musulmane était passée, il essaiera même la manœuvre une seconde fois, mais a alors été tué.
Cela montre quelle a été la faiblesse de la position de l’élite locale. Cela aura une conséquence fatale.
Le Bengale avait du 12ème siècle au 16ème siècle pour faire son unité. Il a réussi à se protéger et à maintenir sa culture nationale, mais il a échoué à s’unir dans un sens national fort, avec une culture pré-bourgeoise unifiée au niveau de toute la nation.
Cela a eu une terrible conséquence, lorsque l’empereur moghol réussi à envahir le Bengale. Dès cet instant, le Bengale était gouverné par le haut – un haut loin du Bengale lui-même, basé dans le nord de l’Inde.
De 1574 à 1717, le Bengale a été gouverné par 32 subahdars – un subah étant une province moghole et le subahdar un mot désignant le gouverneur, bien sûr choisi par le (grand) moghol ou les plus hauts officiers.
Le Bengale était considéré comme un endroit riche, dont les richesses devaient appartenir au moghol en Inde du Nord, et particulièrement l’armée. Pour cette raison, les cadres de l’Empire moghol ont été envoyés au Bengale.
Le souverain moghol Akbar mis même en place un nouveau calendrier, encore utilisé aujourd’hui. Le but de ce calendrier était d’améliorer la collecte de l’impôt foncier au Bengale. Comme ailleurs sous la domination moghole, le langage utilisé pour la justice et l’administration était le persan.
Le pays n’était plus en mesure de produire sa propre classe dirigeante. La classe dirigeante était une construction faite par le Moghol, et composé d’aristocrates musulmans, parlant l’ourdou comme dans le nord de l’Inde, et séparés sur le plan culturel des autres musulmans.
Lorsque l’empire moghol était sur le déclin, la situation n’a pas changé. Le Bengale a commencé à être gouverné par une dynastie de gouverneur, et le subahdar bengali était désormais connu comme le nawab du Bengale (le mot donnant le mot français « Nabab »).
Cela signifie que le modèle féodal de l’empire moghol a été importé au Bengale, et même modernisé.
Murshid Quli Khan, premier Nawab (de 1717 à 1727), a aboli le système du jagirdar, terre donnée pour la vie à quelqu’un qui était considéré comme méritoire pour son service militaire (avec sa mort la terre revenait, théoriquement, dans les mains du monarque).
Au lieu du système du jagirdar, qui était adapté à l’État militaire des Moghols, Murshid Quli Khan a installé le système mal zamini. Dans ce système, la terre était louée à un ijaradar – un fermier général.
Cela était plus adapté à une économie où un autocrate avait besoin de richesses produites localement, de la même manière que la monarchie française déclinante avec les « Fermiers Généraux ». Comme le fermier général payait au gouvernement les neuf dixième de la production, il était très engagé pour faire une meilleure production.
Mais Murshid Quli Khan fit face au fait que, ce faisant, il ne pouvait pas fonder ce système sur un ijaradar musulman, parce qu’il avait besoin d’aller contre la culture moghole, et de toute façon il ne recevait plus les cadres plus de l’Empire moghol à placer comme fermier général.
Murshid Quli Khan organisa par conséquent son système ijaradar de cette façon: il a divisé la province en 13 divisions administratives appelées chaklahs, les plus gros fermiers généraux étant mis en place comme chaklahdars, et il a choisi essentiellement des hindous. Des 20 fermiers généraux choisis par Murshid Quli Khan, 19 étaient des hindous.
De manière intéressante, l’Empire britannique qui a colonisé le Bengale a continué de la « même manière. » L’acte d’établissement permanent de 1793 a rendu héréditaire les positions des fermiers généraux.
Par conséquent, le système de fermiers généraux de Murshid Quli Khan doit être considéré comme un système parasitaire, d’un type féodal. Karl Marx, dans La domination britannique en Inde (1853), a décrit cela comme un « despotisme européen, planté sur le despotisme asiatique » :
« Il ne peut pas, cependant, rester aucun doute, comme quoi la souffrance infligée par les Britanniques sur l’Hindoustan est d’ordre essentiellement différente et infiniment plus intense que ce que tout l’Hindoustan a eu à souffrir auparavant.
Je ne parle pas du despotisme européen, planté sur le despotisme asiatique, par la British East India Company, formant une combinaison plus monstrueuse que tout monstres divin nous surprenant dans le Temple de Salsette [île de Salsette, au nord de Bombay et célèbre pour ses grottes aux 109 temples bouddhistes]. Ce n’est pas une caractéristique distinctive de la domination coloniale britannique, mais seulement une imitation des Hollandais (…).
Aussi étrangement complexe, rapides et destructrices que puissent apparaître l’action successive en Hindoustan de toutes les guerres civiles, les invasions, les révolutions, les conquêtes, les famines, tout cela n’est pas allé plus loin que sa surface.
L’Angleterre a [quant à elle] décomposé l’ensemble du cadre de la société indienne, sans aucun symptôme de la reconstitution qui apparaîtrait.
Cette perte de son ancien monde, avec aucun gain d’un nouveau, donne un genre particulier de mélancolie à la misère actuelle de l’Hindou, et sépare l’Hindoustan, gouverné par la Grande-Bretagne, de toutes ses anciennes traditions, et de l’ensemble de son histoire passée. »
Karl Marx a parfaitement vu cette question de la mélancolie, tellement présente dans les pays opprimés, une mélancolie donnant naissance à de nombreux fondamentalismes romantiques.
En tout cas, du côté britannique, cela a également clairement suivi la logique impérialiste traditionnelle de « diviser pour régner. »
Des commerçants travaillent avec la Compagnie des Indes dans les périodes 1736-1740, l’ensemble des 52 bengali à Calcutta étaient hindous, 10 des 12 de ceux à Dacca, et l’ensemble des 25 à Kashimbazar.
Ensuite, l’empire britannique a défait le nabab à la bataille de Plassey en 1757, créant la présidence du Bengale et dirigeant finalement directement le Bengale et l’Inde.
La soumission du Bengale par l’impérialisme britannique a apporté une nouvelle situation, dans le sens où au féodalisme post-moghole, il faut ajouter le colonialisme britannique.
Ce ne fut pas compris à cause du manque d’analyse matérialiste dialectique. L’impérialisme a été compris comme le seul et unique responsable de la situation. Cela a été aidé bien sûr par le fait que l’impérialisme britannique a utilisé les hindous comme fermiers généraux.
Pour cette raison, la lutte des classes se développa sur une base religieuse: les grands propriétaires terriens étaient hindous au Bengale, et comme l’impérialisme britannique travaillaient avec eux, alors logiquement l’Islam devait être pris comme un drapeau révolutionnaire.
Cela a également été causée par le fait que les anciens dirigeants – ceux avant les Nawabs semi-autonome et indépendant (par rapport au moghol) et les Nawabs semi-autonome et indépendant (par rapport aux Britanniques), c’est à dire les aristocrates formés par les Moghols – semblaient être un idéal romantique.
Une expression très importante de cette conception romantique jusqu’à aujourd’hui au Bangladesh est l’appréciation très forte du Taj Mahal, qui peut être trouvé dans de nombreux dessins, en particulier sur les rick-shaws.
En raison de cela, l’islam « pur » idéologiquement – celui des moghols, qui semblait « anti-impérialiste » – a été prise comme une arme.
Cela s’est passé avec le mouvement Faraizi, fondée par Haji Shariatullah (1781-1840). Il est allé en Arabie et a utilisé la version de l’islam là-bas – le wahhabisme – comme arme fondamentaliste au Bengale, faisant la promotion d’un islam « purifié » de l’influence hindouiste, c’est-à-dire de la présence britannique.
« Fairaz » désigne l’obligation due à Dieu ; bien sûr, l’islam bengali était très loin de l’islam arabe, avec toutes ses pensées magiques et son esprit d’ouverture d’esprit aux déesses hindoues.
Mais ce mouvement de « purification » a été perçue comme une façon romantique afin, au moins, d’affirmer la nation du Bengale.
Néanmoins, ce fut romantique, et comprenant de manière non dialectique l’hindouisme comme un simple allié de l’impérialisme. Ainsi, ce processus de « purification » de l’islam, même si elle ne s’est pas généralisée – a tué pour de bon la possibilité d’une union du Bengale sous le drapeau bourgeois. Le Bengale aurait pu avoir été unifié seulement si son élément culturel national pouvait être pris comme un dénominateur commun.
Le fondamentalisme a tué cette possibilité. Voulant lutter contre l’impérialisme, les masses paysannes ont rejetée hindouisme comme autant qu’elles le pouvaient, ne voyant pas que le problème était la question agraire.
Haji Shariatullah avait mis en avant une lutte cosmopolite anti-nationale – mais cela semblait révolutionnaire, parce que cela sonnait anti-impérialiste (et par là anti-féodal).
Néanmoins, pour cette raison, le mouvement Fairazi a été pris par les masses comme anti-impérialiste (et par là anti-féodal); un Etat dans l’Etat a été créée au Bengale, formant une énorme opposition à l’Empire britannique.
Les masses n’ont pas vu que le problème était la question agraire, mais ils ont estimé que soutenir le mouvement Fairazi – non pas tant dans la purification religieuse que socialement – était dans leur intérêt.
En ce sens, le mouvement Fairazi était un mouvement anti-féodal, mais dirigé par des cercles intellectuels et non pas une bourgeoisie qui était terriblement faible en raison du type d’économie moghol et post-moghol.
Pour cette raison, le mouvement Fairazi s’est transformé en un mouvement paysan utopique et vint même mettre en avant la doctrine de la propriété de la terre comme revenant au travail.
Logiquement, le même processus a existé avec l’hindouisme, naturellement avec un centre de gravité au Bengale occidental. Les éléments bourgeois ont essayé de construire une nouvelle idéologie, un hindouisme en mesure de mobiliser les masses, en mettant de côté le systèmes des castes et la hiérarchie religieuse.
Ainsi naquit le Brahmo Samaj, fondée par le brahmanes et bourgeois Dwarkanath Tagore (1794 – 1846) et le brahmane et intellectuel Raja Ram Mohan Roy (1772-1833).
Mais plus encore que le mouvement Fairazi, il échoua à mobiliser les masses de façon révolutionnaire – les deux ont été portés par les cercles intellectuels tentant de trouver une sortie universelle de la situation au Bengale alors, mais au moins le mouvement au Bengale oriental a réussi à avoir un forte identité populaire.
Ainsi, les deux ont été progressistes dans le sens où ils ont été critiquant et rejetant le féodalisme, tous les deux ont pris une position universelle, mais les deux ont regardé dans un passé idéalisé pour trouver le noyau de l’idéologie qui aurait dû être trouvé dans le présent.
Tous deux ont été petit-bourgeois, un mouvement romantique. Leur échec était inévitable parce que la bourgeoisie était faible, arrivant trop tard dans l’histoire, et ne pouvait pas freiner le progrès de l’impérialisme.
Mais il y avait une différence: au Bengale occidental, le processus a été organisé autour des cercles petits-bourgeois et grand bourgeois, ce qui est appelé jusqu’à aujourd’hui les « bhadralok » (ou Bhodro Lok), c’est à dire les « gens meilleurs. ».
Les « bhadra lok » étaient culturellement occidentalisés, mais idéologiquement ils voulaient une société bourgeoise et rejetaient par conséquent la culture occidentale (exactement comme le fondateur du Pakistan ne parlait pas l’ourdou et était l’un des hommes les « mieux » habillés dans le monde, soit dans le style anglais).
Au Bengale oriental, le mouvement réussit, au contraire, à profondément influencer les masses, à défaut de les mobiliser de manière révolutionnaire.
Après le Brahmo Samaj et le mouvement Fairazi, il n’y avait plus de forces pour unir le Bengale ; la bourgeoisie est arrivée trop tard, et les éléments petits-bourgeois étaient faibles et idéologiquement divisés en deux parties du Bengale.
Au contraire, les forces pour diviser le Bengale étaient fortes. L’empire britannique a joué un rôle important en divisant le Bengale pour des raisons administratives en 1905. Il n’a pas réussi à cela – du Bengale a été unifié à nouveau, en 1919.
Mais il pousse la contradiction entre l’Ouest et l’Est du Bengale. Les Hindous, qui avaient gagné des points avec le colonialisme et ensuite pensaient qu’ils allaient bénéficier d’une Inde indépendante, comme elle serait principalement hindoue, ont mené une lutte contre la partition de 1905.
Les forces petites-bourgeoises, au Bangladesh, craignant l’hégémonie de la partie hindoue, ont accepté pour leur part cette partition, parce qu’ils pensaient que cela permettrait le renforcement de la nation bengalie.
Ce processus, une fois engagé, ne pouvait plus être arrêté: en 1919, les Britanniques ont divisé le peuple bengali avec des élections séparées pour les hindous et les musulmans. Encore une fois, les forces petites-bourgeoises du Bengale oriental ont pensé que cela était favorable à leur affirmation.
Le colonialisme britannique est allé très loin dans cette politique, utilisant même la famine. La famine de 1770 a tué approximativement le tiers de la population (donc, environ 10 millions de personnes); il y eut par la suite des famines en 1783, 1866, 1873-1874, 1892, 1897. Le colonialisme britannique préférait bloquer les approvisionnements, qui étaient au service de ses bénéfices, même si cela signifiait la mort par la faim de millions de personnes.
Quand les Japonais ont conquis la Birmanie, le colonialisme britannique a poursuivi cette politique de façon extrême, donnant la mort à près de 5 millions de personnes au Bengale en 1943-1944. La famine n’a même pas été officiellement déclarée. Satyajit Ray a fait un fameux film sur cet événement, Distant Thunder.
La situation était par conséquent inacceptable et il était nécessaire de faire un saut, à tout prix. Ceci a conduit à la scission du Bengale, en le Bengale occidental et le Pakistan oriental.
En 1947, l’Inde est devenue indépendante, mais bien sûr ce n’était pas possible pour les éléments bourgeois au Bengale Oriental de lutter contre l’Inde pour des liens ouverts avec le Bengale occidental; de toute façon la bourgeoisie (hindoue) du Bengale occidental pensait – à cause de sa propre force – qu’il serait plus intéressant d’être une partie de l’Inde.
Donc, le Bengale oriental s’est précipité dans les bras du « Pakistan », devenant le Pakistan oriental. Les Pakistan occidental et oriental étaient à 1,600 kilomètres de distance ; il n’y avait entre eux aucun lien économique, psychologique et culturel véritable entre les Pakistan de l’Ouest et de l’Est.
Mais c’était une option pratique pour, au moins, avoir ce qui a semblé être un Bengale indépendant.
« Le Pakistan oriental » était une façon de libérer le Bengale de l’Inde « hindouiste. » Le Pakistan était vu comme un retour à l’ère moghole.
Fondamentalement, il est facile de voir que le choix du Pakistan n’était pas en effet une définition religieuse, mais une définition nationale. Une preuve pour ceci était la prise de la chanson « Amar Shonar Bangla » (« Mon Bengale d’or ») écrite par Rabindranath Tagore comme hymne national.
Nous avons ici des éléments étonnants : tout d’abord, cela a signifié que le Pakistan oriental s’est compris comme le vrai Bengale.
Dans la même façon, nous devons voir que l’Inde a également pris une chanson de Tagore comme hymne national – ceci ne peut pas relever du hasard et a été clairement connecté à la question du Bengale Occidental, que l’Inde voulait garder à n’importe quel prix.
Et, finalement, nous devons voir un fait étrange : Amar Shonar Bangla a été à l’origine écrit contre la division 1905, que les dirigeants musulmans du Bengale Oriental ont accepté. Il ne devrait pas être logique de choisir cette chanson – à moins que nous ne comprenions que le but était un Bengale unifié, séparé de l’Inde.
Quand le Bengale oriental a rejoint le Pakistan, l’espoir était que le pays serait gouverné d’une façon qui permettrait à la bourgeoisie orientale du Bengale de se développer. Pour la bourgeoisie qui a adopté l’Islam comme une identité, ceci devrait être une conséquence logique.
Mais l’Islam n’était pas celui du Bengale historiquement; c’était une construction de l’impérialisme, théorisé par des étudiants indiens en Angleterre, inventant un « Pakistan » comme les sionistes ont inventé « l’État d’Israël. » Il n’y avait aucun rapport avec une conception idéalisée d’un « retour au moghol. »
C’était une illusion de penser que l’État pakistanais serait un développement en termes historiques. Et la situation est devenue bientôt épouvantable.
Le Pakistan avait 69 millions de personnes, 44 millions étant au Pakistan oriental. Mais le Pakistan occidental avait une hégémonie totale : il avait la capitale fédérale, le commandement militaire, la cour suprême de justice…
Depuis le début on a donné la priorité au Pakistan occidental qui avait les ¾ des fonds de développement. Le Pakistan oriental produisait la plupart des exportations (jute, thé…), mais avait seulement ¼ des revenus.
Et la situation n’était pas seulement insupportable pour le Pakistan oriental. Le Pakistan est né comme semi-colonie britannique et est de plus en plus devenu une semi-colonie américaine.
Les masses, dans l’atmosphère révolutionnaire mondiale générale, ont commencé à protester avec les étudiants en 1968, suivis ensuite par les paysans et les ouvriers, dans un front commun contre la dictature militaire.
Un intellectuel rural a réussi à unir le mouvement démocratique paysan au Bengale : Maulana Abdul Hamid Khan Bhashani. Profondément influencé par la Chine, il s’est même séparé de l’Awami League pro-bourgeois (Awami signifiant peuple) pour former le National Awami Party.
Mais Bhashani était un démocrate, dans une période où la révolution démocratique ne pouvait être menée que par le Parti communiste. Pour cette raison, il a fait plusieurs erreurs, notamment en 1970 en laissant la Ligue Awami être seule présente dans les élections.
Sheikh Mujibur Rahman, dirigeant de la Ligue Awami bourgeoise (ou plutôt petit-bourgeoise), a reçu un triomphe, devenant pour les masses le dirigeant de la lutte démocratique. 167 des 169 sièges de l’Assemblée nationale au Pakistan oriental étaient ainsi détenus par la Ligue Awami.
La Ligue Awami n’était certainement pas prête pour la sécession – mais les masses éveillées, notamment par le Parti National Awami, poussait à une libération de l’hégémonie du Pakistan occidental.
A joué ici aussi un rôle important le cyclone de 1970, où 200 000 personnes sont mortes, et où l’État pakistanais n’a pas été en mesure d’organiser un secours sérieux. A ce moment, l’armée officielle du Pakistan – où les officiers étaient principalement du Pakistan occidental – a commencé à être considéré par les larges masses comme une armée d’occupation.
Pour cette raison, le 25 mars 1971, l’armée pakistanaise a fait une intervention, qui est devenu un véritable génocide.
L’objectif de l’armée pakistanaise était d’écraser tous les intellectuels de langue bengali, de violer des femmes autant que possible (environ 200 000), de tuer autant que possible les hindous. La langue bengali et les hindous ont été considérés comme un obstacle à l’unification islamique, et donc, comme des cibles.
Mais ce n’était pas seulement une tactique de l’armée pakistanaise. C’était conforme à l’idéologie d’une partie de la petite-bourgeoisie du Bengale.
Par conséquent, le parti Jamaat-e-Islami a aidé dans les massacres, en tant que volontaires (les « Razakars ») et la formation de milices – Al-Badar et Al-Shams. Cette fraction de l’Est du Bengale s’est donc transformée en une bourgeoisie bureaucratique servant les intérêts pakistanais.
Les résultats de ce processus a été trois millions de morts.
Le soulèvement de masse, la grève générale, la lutte armée généralisée a permis de vaincre l’offensive pakistanaise.
Mais la défaite totale du Pakistan aurait également signifié la défaite de l’Inde. L’Inde ne pouvait pas accepter un Bangladesh indépendant, cela signifierait la perte du Bengale occidental à moyen terme.
Cela était particulièrement évident alors que les conseils ouvriers et paysans se répandaient dans tout le pays, la guerre populaire étant également initiée par différentes organisations, en particulier le Purba Bangla Sarbohara Party (Parti prolétarien du Bengale oriental), dirigé par Siraj Sikder.
Peter Hazlehurst du Times commente alors: « Le Bengale rouge alarmerait Delhi encore plus qu’Islamabad. » Il est à noter que le philosophe français Bernard Henri Lévy, publiant ses premiers travaux sur la question indienne et le Bangladesh, n’a pas compris ce processus et pensait que la guerre populaire initiée n’avait pas comme objectif la révolution démocratique au Bengale, favorisant ainsi le pessimisme et la confusion.
En raison de la situation, l’armée indienne a lancé une offensive contre le Pakistan et organisé depuis le début à grande échelle la « Mukti Bahini », « l’armée de libération » sous contrôle de la Ligue Awami. L’objectif était la formation d’un Bengale oriental, sous contrôle de l’Inde et son maître, le social-impérialisme russe.
La situation était très compliquée pour les révolutionnaires. Ils ont dû se battre contre l’expansionnisme indien et le colonialisme pakistanais, mais aussi contre les forces féodales. Et l’impérialisme américain et le social-impérialisme russe soutenaient certaines fractions pour les transformer en une bourgeoisie bureaucratique.
L’intervention massive de l’Inde a apporté beaucoup de problèmes tactiques, l’ennemi principal changeant de manière rapide. Cela a permis la formation du Bangladesh, sous contrôle indien. Le dirigeant de la Ligue Awami, Sheikh Mujib, est devenu le premier ministre, puis le président.
Représenter le bourgeoisie bureaucratique pro-Inde et pro-URSS social-impérialiste, Sheikh Mujib a commencé à donner la même orientation idéologique. Il a mis en avant, comme principes fondamentaux, « le nationalisme, la laïcité, la démocratie et le socialisme. »
Il a fait en sorte que seule un partie a été toléré dans le pays, la Bangladesh Krishak Sramik Awami League-BAKSAL, et se mit en tant que président à vie.
Ce fut bien sûr inacceptable par les masses, et cela a été utilisé par les impérialistes. Après la famine de 1974, qui a tué 1,5 millions de personnes, l’impérialisme américain a poussé à un coup d’Etat militaire, le 15 août en 1975.
L’officier de l’armée Ziaur Rahman est devenu le dirigeant, qui a créé un parti politique exprimant les intérêts de l’impérialisme américain et de la bourgeoisie bureaucratique qui lui est soumis : le Bangladesh Nationalist Party (BNP).
Ziaur Rahman a fait une politique qui était à l’opposé de la précédente, l’Etat a fait des privatisations, l’islam s’est vu donné un rôle national ; Golam Azad, chef exilé du Jamaat-e-Islami, a été autorisé à revenir en Juillet 1978 avec un passeport pakistanais et a pu rester, même après l’expiration du visa, etc
Ziaur Rahman a subi quelques différents coups d’Etat, qui ont tous échoué, même s’il a été tué dans celui de 1981. Son successeur, le lieutenant-général Hussain Muhammad Ershad, a suivi sa politique, mais a formé son propre parti politique, le Parti Jatiya.
Gouvernant d’une manière autocratique, Ershad a ouvert la voie à un Bangladesh «démocratique» – une « démocratie » sous le contrôle des deux fractions de la bourgeoisie bureaucratique.
Sous le régime Ershad – qui a servi comme un Bonaparte dans une situation de crise – la Ligue Awami et le BNP se sont réorganisés.
Khaleda Zia, veuve de Zia, est devenue la dirigeante du BNP, qui a été (et est) une force pro-américaine, et a formé l’alliance des 7 partis.
De l’autre côté, la Ligue Awami a été dirigée par Sheikh Hasina, la fille de Mujib ; la Ligue était (et est) une force pro-indo-soviétique, formant historiquement l’alliance des 15 partis.
Le BNP et la Ligue Awami se sont unis contre la loi martiale d’Ershad. Ils se sont alliés aussi avec la Jamaat-e-Islami, et une « Ligue démocratique » qui était également pro-américaine.
En 1987, la Ligue Awami a boycotté les élections, en 1988, elle a été rejoint dans son boycott par le BNP. La pression générale contre lui – des fractions bureaucratiques, mais aussi des masses, où les révolutionnaires jouaient un rôle significatif – ont amené Ershad à démissionner, en 1990. Son parti politique devint alors un allié de la Ligue Awami.
Depuis 1990, la BNP et la Ligue Awami sont les principaux partis politiques institutionnels, représentant les deux principales tendances bureaucratiques bourgeoise, avec la Jamaat-e-Islami.
En 1991, les deux parties étaient à peu près équivalent, puis, le BNP a gagné en 1996, la Ligue Awami dans une autre élection en 1996, le BNP gagna à nouveau en 2001, la Ligue Awami de nouveau en 2008.
De 1991 à 1996, Khaleda Zia, a été Premier ministre, Sheikh Hasina a alors dominé de 1996 à 2001, Khaleda Zia revint de 2001 à 2006, et après un gouvernement de transition dans une situation instable, avec même un état d’urgence, Sheikh Hasina est revenue au 2009.
Pour comprendre la situation d’aujourd’hui, nous allons jeter un oeil à ce qu’il est possible de lire sur un site web contre les criminels de guerre de 1971:
« En 1971, deux pouvoirs suprêmes les États-Unis et la Chine étaient avec eux. Mais Allah était avec les Bengalis désarmés. Donc nous avons gagné la guerre. Bien que nous ayons perdu nos bien-aimés, mais nous avons eu notre désiré Bangladesh. »
Ce qui est écrit ici m’aide beaucoup à comprendre l’illusion qui prévaut dans beaucoup de secteurs des masses.
Parce que ce n’était pas « Allah », mais l’armée indienne qui a donné des armes et combattu contre l’armée pakistanaise d’un côté, les masses qui se sont armées de l’autre, avec une forte influence communiste.
Mais en raison de la faiblesse de l’avant-garde communiste, le Bangladesh, à sa fondation, est devenu une marionnette de l’Inde et de l’URSS social-impérialiste. Cela a donné de nouveau de la vigueur à l’idéologie du « retour au moghol », qui a été de nouveau utilisée par la bourgeoisie bureaucratique pro-américaine. Et elle a permis aux ex-Razakars de se « justifier. »
Nous avons ici une clé idéologique. Le Bangladesh est né comme un pays sur un génocide de 3 millions de personnes, dont la seule faute était d’être Bengali et en cette nouvelle nation n’a pas été en mesure jusqu’à présent de préserver leur mémoire et de punir les criminels.
Comment cela est-il possible?
C’est parce que l’aspect religieux est si forte que même juste après l’indépendance de 1971, le nouvel État du Bangladesh n’a pas été en mesure de réprimer la razakars, qui ont aidé l’armée pakistanaise dans ses massacres. Même Mujib a utilisé l’islam comme une arme idéologique.
Et, de plus en plus, le Bangladesh connaît une influence plus grande de l’islam. En juin 1988, la constitution a même été modifiée afin d’établir l’Islam comme religion d’État, abandonnant la laïcité de l’État. La Ligue Awami accepte cela – parce qu’elle n’a absolument plus aucun aspect bourgeois, elle est purement bureaucratique.
Ceci est logique: le Bangladesh, rejetant une voie démocratique, est de plus en plus en train d’utiliser l’islam d’une manière national-bureaucratique abstraite, afin de maintenir le Bangladesh tel qu’il est. Même les forces pro-Inde ont besoin de cet islam pour maintenir le Bangladesh comme il est, pour être en mesure d’exister.
L’option des maoïstes au début des années 1970 a été correcte: l’organisation de la révolution agraire se propage comme un feu au Bangladesh, en Inde, au Pakistan, elle permettrait d’unifier les masses qui ont déjà beaucoup de liens culturels. Et cela permettrait de s’opposer à la fois aux forces pro-américaines et pro-URSS.
Mais le Bangladesh a désormais de plus en plus un capitalisme bureaucratique organisé par le haut, avec des milliers d’usines où des grandes rébellions sont mêmes organisées. Il n’est pas possible de nier cette évolution.
Le pays a pris ou prend le tournant, comme beaucoup de pays, d’un pays semi-colonial semi-capitaliste bureaucratique, avec des éléments semi-féodaux massifs sur le plan culturel et idéologique. Il y a même un système idéologique unifié pour justifier l’État: un islam influencé par un romantisme du « retour au moghol. »
Néanmoins, cette idéologie d’État, de plus en plus influencée par l’islam, a une base très faible. Elle n’est pas conforme à la base nationale.
La révolution de nouvelle démocratie lève ce drapeau, pour unifier les masses contre ceux qui invente de faux principes pour maintenir leur domination.
Mais la principale question révolutionnaire est la suivante: où est le soutien principal de la révolution de nouvelle démocratie?
Hier, cela aurait été essentiellement la révolution agraire. Aujourd’hui, alors que la nation a avancé mais d’une façon erronée, cela doit encore être l’aspect démocratique, mais sur une base populaire. La lutte contre le fascisme et les forces fascistes a de fait été très forte depuis 1971.
Et certainement, la question de la culture bengali joue un rôle central. Une révolution démocratique réalise un aspect universel, et comme il est un voisin très proche sur le plan culturel – le Bengale occidental – la question de la révolution démocratique porte de nouveau la question de la nation bengalie.
Ce n’est pas seulement que le socialisme unifie les peuples, c’est aussi qu’une fédération des deux Bengale a une valeur idéologique démocratique. Tant l’Ouest que l’Est ont vécu des expériences de soumission à des formes qui ne permettent pas leur développement. Ils ont besoin de trouver une autre voie – leur réunion démocratique, d’une manière ou d’une autre, est inévitable.