L’acceptation de la première guerre mondiale ne fut pas simplement une erreur de la part de la seconde Internationale : ce fut une faute, car elle décida d’y participer en soutenant la mobilisation et les gouvernements. Tous les discours sur la paix, la fraternité des peuples, le rejet des réactionnaires… passa à la trappe littéralement du jour au lendemain.
Il suffit de regarder la position d’Édouard Vaillant. Il a participé à la Commune de Paris et dût s’exiler à Londres jusqu’en 1880. C’est une des principales figures du socialisme français de 1880 à 1914, aux côtés de Jean Jaurès et de Jules Guesde.
Au congrès de Bâle, en novembre 1912, il insista sur la volonté des socialistes français de s’opposer à la guerre, considérant que le Manifeste de Bâle n’allait pas assez loin, que les socialistes français étaient quant à eux prêts au conflit total :
« Dans la commission qui a élaboré le manifeste, tous les membres ont déclaré qu’ils le voulaient animé du même esprit qui animait les résolutions du Congrès national français.
Il était dans cette résolution des termes auxquels beaucoup d’entre nous tenaient le plus, qui ne pourraient sans danger ou inconvénient pour quelques sections être admis dans le manifeste.
Mais na été exclues ni la pensée, ni la volonté de la Grève Générale et de l’insurrection comme recours suprême contre la guerre.
La grève insurrectionnelle en Russie a été, en 1905, l’arme par excellence de la Révolution. Elle recommence aujourd’hui et c’est par elle déjà que sont tenues en échec les intrigues et les entreprises belliqueuses du tsarisme.
Mais le langage de l’Internationale ne peut être celui d’une section nationale. L’Internationale fait appel à l’action contre la guerre de toutes les sections nationales et elle fait confiance à chacune d’elles dans la certitude que chacune fera tout son devoir et agira dans toute la mesure des possibilités et de ses forces et de toute son énergie pour rendre la guerre impossible.
La section française saura ne démériter ni de son histoire ni de son esprit révolutionnaire. »
En 1914, Édouard Vaillant se rallia pourtant à l’Union sacrée. Il n’y vit pas d’incohérence, ni d’ailleurs la quasi-totalité de la seconde Internationale.
On ne peut pourtant pas dire que les socialistes français et les sociaux-démocrates allemands n’étaient pas prévenus. Alors qu’au début de l’année 1913 les tensions franco-allemandes s’accompagnaient de préparatifs militaires, un Manifeste germano-français contre l’accroissement des armements avait été produit en commun le premier mars 1913.
On y lit notamment la chose suivante :
« Au moment où, en Allemagne et en France, les gouvernements se préparent à déposer de nouveaux projets de loi qui vont encore accroître les charges militaires déjà formidables, les socialistes français et les socialistes allemands estiment que c’est leur devoir de s’unir plus étroitement que jamais pour mener ensemble la bataille contre ces agissements insensés des classes dirigeantes.
Les socialistes français et les socialistes allemands protestent, unanimement et d’une même voix, contre les armements incessants qui épuisent les peuples, les contraignent à négliger les plus précieuses œuvres de civilisation, aggravent les défiances réciproques, et au lieu d’assurer la paix, suscitent des conflits qui conduisent à une catastrophe universelle et qui aboutissent à la misère et à la destruction des masses.
Les socialistes des deux pays ont le droit de se regarder comme les interprètes tout à la fois du peuple allemand et du peuple français, quand ils affirment que la masse des deux peuples, à une majorité écrasante, veut la paix, et qu’elle a horreur de la guerre (…).
Les socialistes d’Allemagne et de France ont déjà, par leur conduite dans le passé, démasqué le double jeu, le jeu perfide des chauvins et des fournisseurs militaires des deux pays, qui évoquent aux yeux du peuple, en France, une prétendue complaisance des socialistes allemands pour le militarisme, et en Allemagne une prétendue complaisance des socialistes français pour le même militarisme.
La lutte commune contre le chauvinisme, d’un côté et de l’autre de la frontière, l’effort commun pour une union pacifique et amicale des deux nations civilisées doivent mettre fin à cette artificieuse duperie.
C’est le même cri contre la guerre, c’est la même condamnation de la paix armée qui retentissent à la fois dans les deux pays.
C’est sous le même drapeau de l’Internationale – de l’Internationale qui repose sur la liberté et l’indépendance assurées à chaque nation – que les socialistes français et les socialistes allemands poursuivent avec une vigueur croissante leur lutte contre le militarisme insatiable, contre la guerre dévastatrice, pour l’entente réciproque, pour la paix durable entre les peuples. »
Un an après, il ne sera plus parlé de « catastrophe universelle », de « destruction de masse » et de paix entre les peuples. Il sera parlé de défense de la France, phare de la civilisation, tous les maux étant attribués au « militarisme prussien ».
On doit à ce titre noter qu’il est inexact de considérer que les socialistes s’imaginaient que la guerre serait brève. Toutes les déclarations anti-guerre de la seconde Internationale soulignaient bien la dimension de masse de la guerre, l’ampleur terrifiante des destructions, l’immense crime que cela représenterait.
C’est dire l’ampleur de la faillite en 1914.