La planification soviétique se fonde sur le matérialisme dialectique. Elle se fonde par conséquent sur la réalité matérielle et le travail comme transformation de la réalité, en ayant les moyens d’agir tant sur l’une que sur l’autre.
En effet, la réalité matérielle a été progressivement socialisée ; l’ensemble des moyens de production appartient à la société, au lieu d’appartenir à des individus en concurrence. Le travail est désormais extrêmement organisé, étant donné que c’est la classe ouvrière elle-même qui dirige l’État.
Il y a donc davantage de moyens, puisque les forces productives sont unifiées d’un côté et qu’elles peuvent tendre dans une seule direction de l’autre. On aurait tort toutefois de penser que cela est suffisant en soi : encore faut-il, en effet, que les méthodes de la planification soient matérialistes, que la mise en place elle-même soit matérialiste.
Comment la planification soviétique s’est-elle organisée ? Elle a généré des organismes, c’est-à-dire des administrations travaillant aux différents aspects nécessaires.
Tout d’abord, on se doute qu’il y a une contradiction entre le long terme et le court terme, avec la nécessité de prendre en compte les spécificités de chacun de ces termes. Aussi, pour le long terme il y a le Comité étatique pour la planification, dont l’acronyme est GOSPLAN, qui dresse des plans quinquennaux, ainsi que sur dix-quinze ans, à tous les niveaux géographiques – républiques, régions, zones économiques – et pour tous les secteurs de l’économie.
Ces plans quinquennaux fournis par le GOSPLAN sont la base de la planification ; c’est en s’appuyant sur eux que, par la suite, on travaille à l’établissement de plans courants, d’une année ou moins. C’est le GOSPLAN qui s’en charge également, toutefois il procède à une adaptation toujours plus minutieuse afin de fournir les indications les plus précises aux entreprises.
Cela suppose un gigantesque appareil statistique, afin que le GOSPLAN ait des connaissances sur toutes les entreprises, toutes leurs spécificités, par exemple géographiques, ou encore d’approvisionnement en main d’œuvre ou en matières premières, la situation des bâtiments, etc.
On se doute qu’il y a ici des limites dans la centralisation des informations et c’est pourquoi chaque entreprise d’État a son propre plan de production, ainsi que son propre plan financier. Toutefois, les objectifs sont décidés par le GOSPLAN ; le plan n’est pas indicatif, il est une obligation.
Staline, dans son Rapport politique au 16e congrès du PCUS(b), note ainsi :
« Aucun plan quinquennal ne peut prendre en compte toutes les possibilités qui se cachent dans le coeur de notre système social, et qui ne se révéleront qu’au cours du travail, dans le processus d’appliquer le plan dans l’usine, les ateliers, la ferme collective, la ferme d’État, le district, etc.
Il n’y a que des bureaucrates pour imaginer que le travail de planification est terminée avec la compilation d’un plan. La compilation d’un plan n’est que le commencement de la planification.
Une orientation planifiée réelle ne se développe qu’après la compilation du plan, après son essai sur place, au cours de son application, avec sa correction et son amélioration pour le rendre plus exact. »
S’il n’y a pas les masses pour se saisir du plan, alors rien n’est possible. C’est ce qui explique l’effondrement de l’économie soviétique après Staline, le régime ne consistant plus qu’en la domination d’une clique révisionniste usurpant le pouvoir et incapable de mobiliser les masses.
On retrouve ici le principe général de l’émulation socialiste, avec notamment les commissaires politiques qui doivent galvaniser l’armée rouge. Dans l’industrie, l’épisode d’Alekseï Stakhanov, mineur du Donbass ayant réalisé quatorze fois la norme d’extraction du charbon, donna naissance au mouvement dit des stakhanovistes.
La question de l’interprétation locale concrète des exigences centralisées est absolument dialectique, relevant de la contradiction entre l’ensemble et le particulier. Résoudre cela de manière productive est la clef de la planification et c’est le sens, par la suite, du Grand Bond en Avant et de la Grande Révolution Culturelle Prolétarienne en Chine Populaire.
Cela signifie que, localement, les entreprises doivent également être en mesure de satisfaire la capacité à élaborer un plan et à rassembler les informations statistiques pour le GOSPLAN. Plus on a ici une décadence – comme les forces mafieuses au sein du social-impérialisme soviétique, après 1953 –, plus il est impossible d’avoir des informations fiables, bien établies.
Une autre contradiction à résoudre de manière productive tient à la question des branches à considérer comme principales, par opposition à celles considérées comme secondaires.
Ici, un argument traditionnel employé par les détracteurs du plan quinquennal tel qu’il fut réalisé en URSS était que l’industrie légère a été délaissée au profit de l’industrie lourde. Cet argument typiquement bourgeois est un non-sens ou plutôt il sous-tend que l’URSS aurait dû devenir une colonie dépendante des pays capitalistes, troquant ses matières premières contre des biens manufacturés.
En effet, aucun pays ne peut disposer d’une industrie légère sans avoir développé au préalable une industrie lourde.
Sans usines de tracteurs, on ne peut pas développer l’agriculture et renforcer la production de biens agricoles pour la consommation. Sans voies ferrées, sans constructions mécaniques, l’industrie légère ne peut pas exister, ne peut pas dépasser un niveau faible.
L’aspect principal, c’est l’industrie lourde, dont le développement détermine celui du reste de l’économie.
C’est pourquoi le premier plan quinquennal, qui visait à remettre sur pied l’économie du pays, de le ramener au niveau de 1913 et de le dépasser, a amené la fabrication de 160 000 tracteurs.
Il faut concevoir que cela signifie également qu’il fallait les distribuer, être en mesure d’avoir des pièces de rechange, de disposer de carburant, etc.
Tout cela n’aurait pas pu avoir lieu sans une industrie lourde servant d’ossature économique.
Ainsi, la planification socialiste de l’économie s’occupe de chaque aspect, dans la mesure où elle indique la tendance générale, qu’il faut suivre, en cherchant à la réaliser de la manière la plus efficiente.
Il y a une centralité dans les choix, dans la réflexion au sujet de ces choix.
La base de ces choix est totalement idéologique, puisque se fondant sur les principes du matérialisme historique et du matérialisme dialectique, sur l’inéluctabilité du développement de certaines productions.
Dans le cas de l’électricité, il apparaissait comme inéluctable que la production électrique soit mise en place : le plan a été établi et réalisé.