Cette tendance à l’impressionnisme, au symbolisme, était irrépressible. Le grand groupe des artistes prétendument rebelle, soutenu à bout de bras par la revue L’Art moderne, les XX, n’avait même pas de programme, étant dans le même esprit que les revues d’avant-garde d’alors.
Grâce à Octave Maus, le groupe des XX put même exposer au Palais des Beaux-Arts, ce qui signifiait également qu’il y a l’aval du gouvernement. C’est d’ailleurs un haut fonctionnaire lié au gouvernement, Victor Bernier, qui fit office de trésorier des « vingtistes ».
Et on retrouve Vincent Van Gogh, figure du subjectivisme en peinture, comme invité des vingtistes. A leur Salon de 1890, il présente Le Lierre, Verger en fleurs (Arles), Champ de blé au soleil levant (Saint-Rémy) et également La Vigne rouge, qu’il parviendra à vendre : ce sera la seule vente d’un tableau de son vivant. Au passage, le vingtiste Henry de Groux sera exclu pour avoir refusé de l’accueillir.
Après la mort de Van Gogh la même année, les vingtistes organisèrent même une rétrospective avec huit toiles et sept dessins à leur Salon de 1891. On est là dans un esprit tout à fait éloigné du réalisme, les artistes se posant par ailleurs comme entièrement indépendants de toute perspective réfléchie, voire comme entité autonome socialement.
Dans le journal Le Progrès du 10 février 1887, Georges Rodenbach peut de fait constater dans l’article consacré qu’à l’exposition annuelle des « vingtistes », on y trouvait :
« le Tout-Bruxelles artiste, les gens qui connaissent les peintres, qui aiment du Wagner et mettent sur leur guéridon le dernier roman de Paris »
C’est significatif, car l’exposition de l’année précédente avait été un réel succès, 8 000 personnes y venant, les œuvres étant vendues, dans un contexte d’explosion sociale où les « vingtistes » apparaissaient aux conservateurs comme de dangereux agitateurs en phase avec l’esprit anarchiste, tout en étant en pratique totalement intégré dans la vie institutionnelle, conventionnelle, du pays.
En février 1887, dans L’Art moderne, l’article « Le vingtisme » remet même en cause le terme lui-même si jamais il doit signifier un positionnement. On lit :
« Qu’est-ce que, d’ailleurs, que le Salon des XX, sinon un épisode de la grande bataille périodique des idées neuves contre la routine, bataille invariablement gagnée par celles-là contre celle-ci ?
Et n’est-il pas vrai que tout ce qu’on dit, tout ce qu’on écrit, tout ce qu’on fait pour ou contre les évolutions artistiques n’en modifie pas un instant la marche ?
L’erreur que, seule, il importe de dissiper, gît dans un malentendu sur la signification de ce mot, dont la sonorité paraît si redoutable à certaines oreilles : Le Vingtisme.
Néologisme bizarre, qui a fait fortune grâce à ceux qu’il exaspérait, et désormais si bien enraciné dans la langue qu’il serait impossible de l’en arracher.
On l’a considéré comme la qualification d’une doctrine ou d’une école. D’une école ! Alors que les XX, comme tous les partisans de l’art nouveau, proclament que les écoles sont pernicieuses et empêchent l’essor artistique.
« Ce MONSTRE qui s’appelle Vingtisme », disait gravement un journal de province, l’an passé. Et à ce terme on a rattaché tout ce qui existe de violent, de tumultueux, de révolutionnaire, d’anarchiste. Vingtisme et pétroleur sont, pour certaines gens, termes synonymes.
Enfin, un critique a fait une découverte et a terminé son compte-rendu par cette trouvaille : « Il n’y a pas de Vingtisme. Il n’y a que des Vingtistes ». A la bonne heure ! Vous y êtes, cher Monsieur. Nous nous sommes épuisés à le crier depuis quatre ans (…).
Jamais, au grand jamais, les XX n’ont songé à constituer un groupe uni par des affinités de vision et de facture (…). Les XX ont à cœur, au rebours de ce que soutiennent les ignorants et les myopes, de prouver que l’Art n’est pas cantonné dans UNE FORMULE DÉTERMINÉE (…).
Alors, pas de lien entre les Vingtistes ? Des artistes réunis par hasard ! Des peintres qui, s’étant rencontrés au détour d’une rue, se sont dit : « Si nous exposions ensemble ? »
Pardon. Nous avons dit : Les XX ne constituent pas une ÉCOLE. Ce ne sont pas les protagonistes d’une DOCTRINE. Et nous avons ajouté : ils n’ont pas la MÊME TECHNIQUE.
Mais il existe entre eux une affinité plus étroite et d’un ordre supérieur, sorte de parenté intellectuelle qui, depuis quatre ans, période déjà longue pour une association de ce genre, les a rapprochés.
C’est, tout simplement, une commune aspiration vers un art sincère, libre, personnel, celui qu’on pourrait formuler en ces termes : l’étude et l’interprétation directe de la réalité contemporaine par l’artiste se laissant aller librement à son tempérament, et maître d’une technique approfondie. »