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Jheronimus Bosch (vers 1450 – vers 1516), de son vrai nom Hiëronymus van Aken (c’est-à-dire Jérôme d’Aix-la-Chapelle), est un peintre flamand qui a poussé le plus loin la complexité du « multiple », face à « l’unité » divine abstraite.
Son œuvre est prétexte à de très nombreuses interprétations, faisant notamment de van Aken un mystique. En fait, il témoigne de l’implosion de pensée chrétienne.
Il est un peintre fabuleux, car à un tournant, qui donnera d’un côté le baroque, de l’autre la reconnaissance réaliste du caractère multiple de la vie. Jheronimus Bosch représente ainsi un virage essentiel, un saut dans la modernité bourgeoise.
Ce qu’il montre, c’est l’affirmation de l’éthique religieuse individuelle, protestante. Voici par exemple L’escamoteur :
Voici La Lithotomie (ou La cure de la folie), où l’on voit une trépanation pour « guérir » de la folie.
Voici La nef des fous, allusion à La Nef des fous de Sébastien Brant, où on lit notamment que « Mieux vaut rester laïque que de mal se conduire en étant dans les ordres », ce qui est conforme à la démarche protestante.
Voici comment ce peintre est présenté par le Dictionnaire des peintres belges publié par l’Institut royal du Patrimoine artistique :
« Le décodage de l’univers de Bosch est d’autant plus difficile qu’un certain nombre de ses œuvres sont constituées de petites scènes dont les sujets sont totalement indépendants les uns des autres. La question surgit alors de savoir si cette profusion d’images est régie par une quelconque logique.
L’analyse des vices dans l’iconographie boschienne la mieux fondée historiquement et la plus détaillée nous est fournie par Dirk Bax (1979). Celle-ci peut être résumée en trois points :
1) presque tous les vices sont présentés par Bosch comme des « folies » ;
2) ces vices sont essentiellement attribués à des personnages appartenant aux couches inférieures de la société ;
3) ces vices comprennent principalement l’impudeur, l’agressivité, la gloutonnerie, l’ivrognerie, la démesure et la misère, fruits de la débauche de chacun.
Ces trois aspects, qui se retrouvent dans maint détail des représentations infernales de Bosch, relèvent d’une morale intellectualiste et permettent au peintre de véhiculer un grand nombre de maximes concernant les valeurs et les normes.
Ainsi la relation stéréotypée qu’établit le peintre entre « vice » ou « comportement répréhensible » et « bêtise, folie ou stupidité » rappelle la corrélation entre vertu et sagesse ou vice et folie, caractéristique de la « littérature de la folie » du XVe siècle et de différents écrits de la bourgeoisie : « La nef des fous » de Sebastien Brant, les œuvres de Thomas Murner et bien d’autres.
Le repli sur soi-même, la maîtrise des pulsions, la mesure et la connaissance de soi sont là des valeurs importantes au centre desquelles règne la raison.
Apparue entre 1460 et 1490 dans les milieux bourgeois urbains, cette morale, qui veut défendre l’antique « ordo », en détruit, en réalité, l’idéologie précisément par son rationalisme, son éthique étroite et son individualisme.
(…)
Une autre constante dans l’œuvre de Bosch est l’association qu’établit l’artiste entre les notions de péché/bêtise/répréhension et les membres de couches sociales extrêmement basses et marginales – celles que l’époque considérait comme des « déviations sociales » : putains, bandits, piliers de cabaret, ripailleurs, noceurs, vagabonds, mendiants, saltimbanques, entremetteuses, gens de guerre et pauvres de toutes espèces. Le moyen âge tardif, contrairement aux époques précédentes, voyait les pauvres et les mendiants comme des fainéants et des parasites qu’il fallait contrôler sévèrement (un sentiment qui culmina vers 1525 lors de la réforme fondamentale de l’aide aux indigents dans les Pays-Bas).
Dès la fin du XIVe siècle et surtout au XVe et XVIe siècles, apparurent de nombreux textes satiriques bannissant de la société tout type de « débauché » à l’instar des fous dans le genre littéraire consacré à la « sotti(s)e ».
Fous et débauchés subirent donc le même sort, déterminé par une morale non seulement intellectualiste, mais également formaliste : le vice est défini à partir d’une perspective sociale, du moins du point de vue de la bourgeoisie. Comme pour les textes littéraires, Bosch dresse dans ses tableaux de longues listes de déviants expédiés en enfer ou dans un monde diabolique.
(…)
Selon lui, devient pauvre qui le veut, car la pauvreté est la conséquence d’actes de débauche (essentiellement commis par les membres des couches sociales inférieures) relevant des deux premières catégories : l’ivrognerie, la fréquentation des auberges, la fornication, la poursuite assidue du plaisir. (Voir : « Le chariot de foin » – Madrid, Prado – ; « La mort de l’avare » – Washington, Nat. Gall. – et des représentations de la paresse connues par des gravures du XVIe siècle).
Le peintre, conformément à l’idéologie d’une classe moyenne d’artisans et de petits producteurs citadins – pour qui l’économie est aussi une affaire morale -, préconise une vie laborieuse et tranquille, propre à une économie domestique, où tout excès est exclu. »
C’est cependant pour ses œuvres complexes que Bosch est le plus connu, expression la plus développée du reflet du moralisme bourgeois, comme ici avec Le jugement dernier .
Le jardin des délices est une œuvre extrêmement impressionnante. Voici le triptyque fermé, puis ouvert avec l’Éden, Le Jardin des délices et enfin l’Enfer.
Voici des détails.
La peinture de Bosch est une plongée dans la complexité qui réfute le Moyen-Âge. L’individu peut lui-même comprendre les lois ; il n’est plus infantilisé.