Il existe une évolution dans l’utilisation du principe de paupérisation par le mouvement communiste international. La question à l’arrière-plan est celle du rapport à la crise : celle-ci est-elle générale ou pas ?
Ainsi, en 1919, alors que l’Europe est exsangue du fait de la Première Guerre mondiale impérialiste, l’Internationale Communiste fait un appel où elle décrit la situation comme relevant, sans le dire tel quel mais on le comprend, de la paupérisation générale.
« Les contradictions du régime capitaliste se révélèrent à l’humanité à la suite de la guerre, sous forme de souffrances physiques : la faim, le froid, les maladies épidémiques et une recrudescence de barbarie. Ainsi est jugée sans appel la vieille querelle académique des socialistes sur la théorie de la paupérisation et du passage progressif du capitalisme au socialisme.
Les statisticiens et les pontifes de la théorie de l’arrondissement des angles avaient, pendant des dizaines d’années, recherché dans tous les coins du monde des faits réels ou imaginaires capables de démontrer le progrès du bien-être de certains groupes ou catégories de la classe ouvrière.
La théorie de la paupérisation des masses était regardée comme enterrée sous les coups de sifflets méprisants des eunuques occupant les tribunes universitaires de la bourgeoisie et des mandarins de l’opportunisme socialiste. Maintenant ce n’est pas seulement la paupérisation sociale, mais un appauvrissement physiologique, biologique, qui se présente à nous dans toute sa réalité hideuse.
La catastrophe de la guerre impérialiste a balayé de fond en comble toutes les conquêtes des batailles syndicalistes et parlementaires. Et pourtant cette guerre est née des tendances internes du capitalisme dans la même mesure que les marchandages économiques ou les compromis parlementaires qu’elle a enterrés dans le sang et dans la boue. »
Par contre, dans son panorama du capitalisme fait en 1928, on ne voit pas trace de la « paupérisation générale », mais bien par contre les thèmes employés dans le prolongement qu’avait Karl Marx de parler de la paupérisation comme misère sociale.
C’est qu’on ici dans le cadre d’une crise relativement dépassée.
« A l’un des pôles des rapports sociaux, formation de masses considérables de prolétaires, intensification continue de l’exploitation de la classe ouvrière, reproduction sur une base élargie des contradictions profondes du capitalisme et de leurs conséquences (crises, guerres, etc.), augmentation constante de l’inégalité sociale, croissance de l’indignation du prolétariat rassemblé et éduqué par le mécanisme même de la production capitaliste, tout cela sape infailliblement les bases du capitalisme et rapproche le moment de son écroulement.
Un profond bouleversement se produisit en même temps dans tout l’ordre moral et culturel de la société capitaliste: décomposition parasitaire des groupes de rentiers de la bourgeoisie, dissolution de la famille, exprimant la contradiction croissante entre la participation en masse des femmes à la production sociale et les formes de la famille et de la vie domestique héritées dans une large mesure des époques économiques antérieures; développement monstrueux des grandes villes et médiocrité de la vie rurale par suite de la division et de la spécialisation du travail; appauvrissement et dégénérescence de la vie intellectuelle et de la culture générale; incapacité de la bourgeoisie de créer, en dépit des grands progrès des sciences naturelles, une synthèse philosophique scientifique du monde; développement des superstitions idéalistes, mystiques et religieuses, tous ces phénomènes signalent l’approche de la fin historique du système capitaliste. »
De manière intéressante, le dit programme dénonce la social-démocratie pour avoir abandonné le principe de paupérisation.
« Dans le domaine de la théorie, la social-démocratie, passant du révisionnisme à un réformisme libéral-bourgeois achevé et au social-impérialisme avéré, a complètement renié le marxisme: à la doctrine marxiste de contradictions du capitalisme, elle a substitué la doctrine bourgeoise du développement harmonieux du régime ; elle a relégué aux archives la doctrine des crises et de la paupérisation du prolétariat ; elle a transformé la théorie ardente et menaçante de la lutte de classes en prédication banale de la paix des classes; elle a transformé la doctrine de l’aggravation des antagonismes de classes en la fable petite-bourgeoise de la ‘démocratisation’ du Capital; à la théorie de l’inévitabilité des guerres en régime capitaliste; elle a substitué la duperie bourgeoise du pacifisme et la prédication mensongère du superimpérialisme; elle a échangé la théorie de la chute révolutionnaire du capitalisme contre la fausse monnaie du capitalisme ‘sain’ se transformant paisiblement en socialisme, à la révolution elle substitue l’évolution; à la destruction de l’État bourgeois; la participation active à son édification; à la doctrine de la dictature du prolétariat; la théorie de la coalition avec la bourgeoisie; à la doctrine de la solidarité prolétarienne internationale; celle de la défense nationale impérialiste, au matérialisme dialectique de Marx, une philosophie idéaliste en coquetterie avec les déchets religieux de la bourgeoisie. »
Pareillement, les résolutions de 1930 n’emploient le principe de paupérisation qu’au sujet de deux secteurs : tout d’abord, la paysannerie qui, effectivement, s’effondre comme classe pour céder à la prolétarisation.
Ensuite, ce qui se déroule « dans les pays de type colonial », à savoir la paupérisation inouïe des ouvriers et des paysans.
Par la suite, de manière juste, l’Internationale Communiste soulignera la paupérisation propre aux régimes fascistes, qui pressurisent effectivement les masses au maximum et font reculer leur niveau de vie.
En mai 1939, on lit ainsi au sujet de l’Allemagne nazie dans la Correspondance Internationale :
« Même d’après la statistique fasciste officielle, une augmentation de 16,5 % de la population [par rapport à 1928 avec les annexions] s’oppose à une augmentation de 5,5 % de la production d’articles industriels de consommation.
Si nous faisons encore entrer en ligne de compte la baisse énorme de la qualité des marchandises, le fait qu’une notable partie des articles de consommation est destinée à l’armée et celui que la consommation des classes dominantes n’a pas diminué, nous voyons en toute évidence le processus d’appauvrissement des travailleurs.
De nombreux signes indiquent que le moment est proche en Allemagne où la pauvreté du pays engendré par les armements devient un obstacle à la production. »
On est ici dans la stricte interprétation du marxisme.