René Descartes maintient donc la fiction comme quoi qu’il y a une âme. C’est paradoxal, de par sa posture rationaliste, mais c’est compréhensible historiquement.
Ainsi, dans Méditations sur la philosophie première, Descartes aborde la question essentielle depuis Aristote : celle de la cosmologie. L’ouvrage, écrit en latin et intitulé Meditationes de Prima philosophia, est paru aux Provinces-Unies en 1649.
La localisation de cette parution, dans la culture qui a donné naissance à la peinture flamande, puis aux Provinces-Unies protestante face à l’intervention catholique, est très parlante.
René Descartes est un penseur bourgeois, mais un penseur bourgeois français, à une époque où la bourgeoisie n’a pas encore rompu avec la féodalité. Tel Joachim du Bellay, il tente d’affirmer la conception bourgeoise, tout en restant dans le cadre de la monarchie absolue.
Voilà pourquoi il rejette en fait ceux qui ont une conception du monde correspondant aux points suivants :
soit qu’ils l’attribuent à quelque destin ou fatalité, soit qu’ils le réfèrent au hasard, soit qu’ils veuillent que ce soit par une continuelle suite et liaison des choses, ou enfin par quoique autre manière
Les premiers sont les stoïciens, les seconds les épicuriens, les troisièmes les aristotéliciens.
Pour les stoïciens, c’est la fatalité qui préside aux « destinées », pour les épicuriens le monde est le fruit du hasard. Pour les stoïciens comme les épicuriens, il faut en quelque sorte « avec » et en tirer le meilleur : c’est la quête de l’ataraxie, l’absence de souffrance.
Pour les aristotéliciens, le monde est le fruit de causes et de conséquences, la cause ultime de tout étant le moteur premier (ou bien Dieu).
L’objectif de René Descartes est donc de « dépasser » toutes ces conceptions assumées à divers niveaux dans le courant de la féodalité. Le catholicisme est ainsi un mélange de stoïcisme, de néo-platonisme et pour finir d’aristotélisme depuis Thomas d’Aquin ; le judaïsme a connu exactement le même processus.
René Descartes est au service de la bourgeoisie : il doit rompre avec ces conceptions, toutefois sans réellement rompre avec elle.
Le problème est ici, naturellement, qu’en formulant les choses ainsi, il montre qu’il n’a pas connaissance de la signification de l’averroïsme, ou en tout cas et sans nul doute qu’il le rejette. René Descartes n’est pas un penseur matérialiste.
Dans son œuvre, il utilise clairement, ouvertement, de manière explicite la notion de Dieu. De fait, il va tenter une lecture « rationaliste » de la croyance en Dieu.
En cela, il pave la voie au déisme, au système de Jean-Jacques Rousseau. Il indique une piste à Baruch Spinoza, sauf que ce dernier connaissait trop la problématique de l’intellect pour accepter d’en « revenir » à Avicenne, aussi simplement que cela.
Voilà pourquoi Baruch Spinoza va faire de Dieu la Nature, alors que René Descartes en reste ouvertement à la fiction d’un monde créé par un Dieu extérieur au monde – ce qui est précisément ce que rejettera Spinoza, qui lui appartient au matérialisme.