La passivité petite-bourgeoise ne consiste pas en une classe et n’explique pas en soi le renversement du socialisme en URSS. D’ailleurs, les protagonistes ne sont rapidement plus là.

70 % des membres du Comité Central du 19e congrès de 1952 vont en sortir d’ici 1962. C’est significatif : les gens ayant porté la fin de la ligne de Staline ne sont pas ceux qui vont prendre les commandes de la nouvelle situation.

Ce n’est pas tout. Si on prend le 20e congrès comme tournant du révisionnisme ouvert, on peut voir que la moitié de son Comité Central n’est plus présent en 1962. Le rêve éveillé de Nikita Khrouchtchev n’aura pas duré longtemps.

C’est pourquoi est erronée, au début du 21e siècle, la position des révisionnistes pro-URSS qui s’arrêtent à Nikita Khrouchtchev et disent que l’URSS était restée socialiste jusqu’à la fin de son existence, avec des gens « installés » confortablement aux commandes, ce qui aurait abouti à une catastrophe.

C’est là s’arrêter en 1962, et même en 1956. C’est ne pas voir que les révisionnistes ayant pris le pouvoir ne se sont pas contentés de maintenir leur confort, ils l’ont ancré dans la société soviétique. Ils ont modifié l’économie, en modifiant le rapport au travail d’une part, l’organisation du travail, d’autre part.

Le propre d’une direction du Parti cherchant le confort, c’est de ne pas dépendre du peuple, de quelque manière que ce soit. La gestion des choses se doit d’être avec le moins de risques possibles.

Pour cette raison, la modification de la politique des salaires est véritablement emblématique du changement de régime. C’est l’irruption des normes capitalistes dans la production, avec la suppression de toute la dimension subjective propre au travail.

Dans le cadre de l’industrialisation du pays, et étant donné qu’il s’agissait de se fonder sur l’esprit d’initiative des travailleurs, dès que possible, la rémunération se faisait à la pièce. Cette démarche date du premier plan quinquennal, commencé en 1928.

Les deux figures sont ici l’oudarnik, le travailleur de choc, qui s’investit personnellement pour travailler davantage en termes de quantité, et le stakhanoviste, qui modifie l’organisation du travail pour obtenir un rendement meilleur.

Les primes étaient, dans ce cadre, exponentielles, leur taux d’augmentation devenant toujours plus grands au fur et à mesure d’un travail plus intense.

Dans le cadre du révisionnisme dominant, cette approche fut rejetée. Il fut affirmé qu’elle aboutissait à la précipitation, la shturmovshchina. L’idée était que la planification ne permettait pas une allocation correcte des ressources, et que donc les unités de production fonctionnaient de manière fondamentalement déséquilibrée.

Il fut dit que tout d’abord il y aurait eu une sorte d’hibernation (spiachka) en l’absence d’encadrement et de matériel, puis ensuite une mise au travail (raskachka) plus ou moins organisée, et enfin une fièvre d’activités (goriachka) où il s’agit de terminer ce qui a été commencé à temps, coûte que coûte et donc n’importe comment.

Cette dénonciation de la planification comme forcément bureaucratisée aboutit aux réformes de 1956.

Cela commença par la mise en place d’un Comité d’État du travail des salaires en mai 1955, puis le mois d’après le Président du Conseil des ministres de l’URSS Nikolaï Boulganine annonce les réforme.

Celles-ci sont mises en place dans le cadre du sixième plan quinquennal, qui concerne la période 1956-1960.

La première réforme consiste à geler les primes qu’il était possible d’obtenir. On obtient une prime si on dépasse un certain quota, mais il n’est plus possible de s’engager à fond dans son travail et d’obtenir une hausse significative de son salaire.

La seconde réforme consiste en la réduction de la part d’ouvriers payés à la pièce. Leur part est de 75 % en 1956, elle va être de 60,5 % en 1962, mais surtout même le fait d’être payé à la pièce est relativisée, puisqu’il y a un salaire minimum formant les 3/4 des revenus.

Le rapport à la production est ici doublement modifiée. D’une part, l’engagement des travailleurs dans la production, avec tout l’arrière-plan idéologique dans l’esprit socialiste de mobilisation, est stoppé net.

D’autre part, les travailleurs sont désormais placés dans la dépendance des gestionnaires : leur rémunération est fixe dans une très grande mesure et pour d’éventuelles primes, c’est du ressort des chefs.

Ce second aspect est d’autant plus vrai que les salaires les plus élevés des travailleurs sont gelés. Cela bloque les possibilités d’aller travailler ailleurs et cela renforce la mise en place d’unités de production « indépendantes ».

Le processus de réformes se réalisa initialement en trois temps : d’abord, dans la production de charbon, avec comme on le sait les mineurs représentant des troupes de choc du communisme, et dont l’esprit d’initiative est ici éteint. En 1960, les réformes touchèrent toutes les principales branches productives. Enfin, elles furent généralisées en 1962.

Une nouvelle vague de réformes s’ensuivit immédiatement, en 1970, procédant à une simplification massive de la grille des salaires. Auparavant, les salaires à la pièce étaient modulés selon les domaines de production et les emplacements géographiques, permettant à la planification de pousser les travailleurs dans certains secteurs et certains endroits.

C’en était désormais terminé, avec une uniformisation relative des salaires, qui dépendaient alors du poste et du niveau d’exigence requis pour lui.


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