[Article du prochain numéro de la revue internationale au format PDF Communisme.]
La crise sanitaire, qui est en même temps une crise écologique, n’est pas séparable de la crise générale du capitalisme ; tout se conjugue en fait dans un faisceau de contradictions. Le mode de production capitaliste (MPC) a atteint sa limite et sa crise vient de lui-même, le condamnant à mort.
Les modalités de cette nouvelle crise générale du capitalisme sont différentes selon les pays, conformément au principe du développement inégal. Elle ne laisse cependant aucun autre choix à part la guerre impérialiste ou la révolution.
Le concept de crise générale du capitalisme a été mis en place par l’Internationale Communiste dès sa fondation, afin de décrire le déclin du capitalisme alors que se développe la vague de la révolution mondiale.
L’évaluation de cette crise était bien sûr considérée comme décisive pour définir la tactique de chaque Parti Communiste, puisque les modifications sociales, rapide et brutales, amenaient des tournants politiques qu’il fallait savoir appréhender.
On retrouve ici le principe du développement inégal. L’Internationale Communiste avait bien vu que les États-Unis et le Japon, puissances montantes, étaient épargnées par la crise générale du capitalisme, mais que cela ne pouvait pas durer car l’Europe s’était effondrée. Et si les pays de l’Ouest européen parvenaient dans un premier temps à neutraliser les effets de la crise en pressurisant au maximum les ouvriers, dans les pays d’Europe centrale et d’Europe de l’Est, c’était l’effondrement.
L’Internationale Communiste avait ainsi bien analysé la situation et cela d’autant plus qu’elle annonçait dès le départ qu’on allait à une nouvelle guerre mondiale entre impérialistes. Il s’avéra par contre très difficile de gérer de manière centralisée des situations nationales très différentes.
Le capitalisme américain avait, en 1918, pris la place de la Grande-Bretagne comme fer de lance du MPC. Profitant de son relatif isolement, de son grand territoire, d’une immigration constante, d’un capitalisme par en bas toujours renouvelé mais déjà aussi de puissants monopoles, le capitalisme américain réussit à franchir un cap dans son développement de l’accumulation.
Le capitalisme américain avait en fait systématisé des démarches améliorant grandement la productivité et la consommation, avec notamment l’utilisation industrielle de grande ampleur des animaux dans l’alimentation. Il avait élargi les champs de la consommation et de la production et ce processus parvint à toujours plus s’approfondir.
En s’exportant après 1945, ce modèle capitaliste américain modernisa le capitalisme et permit toute une vague de croissance capitaliste dans les années 1950, 1960, 1970. Le processus de décolonisation fut également dévoyé par le MPC en établissement de formes semi-féodales semi-coloniales dans la majorité des pays de la planète, totalement intégrées dans le MPC.
L’URSS devenue social-impérialiste après 1953 s’intégrait elle-même d’ailleurs dans le MPC et l’effondrement de 1989 amena une modernisation capitaliste encore plus avancée. L’ajout de la Chine social-fasciste de Deng Xiaoping profita alors énormément au MPC.
Dans l’immédiate après-guerre, il fut considéré par le Mouvement Communiste International que la situation n’était que le prolongement de celle passée. Les besoins de la reconstruction furent sous-estimés, mais surtout les sauts dans le développement du mode de production capitaliste (MPC).
Il fallut attendre les années 1960-1970 pour qu’une nouvelle génération communiste, non corrompue par le développement capitaliste précédent, soit à la hauteur de l’approfondissement du MPC. Dans les pays semi-féodaux semi-coloniaux, cela fut porté par toute une génération de dirigeants comprenant comment le MPC avait utilisé un néo-féodalisme pour former un capitalisme bureaucratique par en haut maintenant une dimension coloniale prégnante. Ce furent les Siraj Sikder, Ibrahim Kaypakkaya, Akram Yari, Charu Mazumdar.
Dans les pays capitalistes, ce fut la Fraction Armée Rouge qui inaugura la compréhension du vingt-quatre heures sur vingt-quatre du capitalisme, les Brigades Rouges italiennes leur emboîtant le pas à partir du Collectif Politique Métropolitain qui avait pareillement saisi la nature de ce processus.
Il existe trois options quant à l’interprétation de la crise générale du capitalisme. La première est de dire que la crise commence en 1917-1918 et qu’elle se prolonge depuis. Cette option n’est pas vraisemblable et Trotsky affirmait ainsi que les forces de production n’avaient pas progressé depuis cette date, ce que les trotskistes assument encore aujourd’hui. Les courants gauchistes bordiguistes tiennent un discours similaire.
Cela est anti-dialectique et d’ailleurs même pas conforme à ce que disait l’Internationale Communiste, qui n’a jamais abordé la question du déclin du capitalisme de manière unilatérale. Un développement d’une branche particulière peut très bien exister au milieu d’une crise générale. Toutefois, on voit bien après 1945 qu’il s’agit bien d’un large développement et pas du tout d’une crise générale.
La seconde option est de supprimer le concept de crise générale du capitalisme ou de le neutraliser. C’est ce qu’ont fait la plupart des organisations, le supprimant dans la plupart des cas, le maintenant formellement, simplement comme très rare rhétorique par exemple lors de textes fondamentaux.
La troisième option est de comprendre que le MPC s’est bien développé après 1945, mais a atteint la limite. C’est cela qui est correct.
La crise du mode de production capitaliste (MPC) s’est exprimée par celle provoquée par le covid-19, car c’est par une accumulation forcenée que le MPC a été amené à renforcer sa pression extrême sur les milieux naturels. La contradiction entre la réalité naturelle et le MPC a été explosive. La conséquence en a été que le MPC, reproduction de la vie sociale, est une machine en partie enrayée.
La crise économique ne s’ajoute donc pas à la crise sanitaire, pas plus que la crise écologique serait parallèle à la crise économique. Tout cela relève d’une seule et même chose, d’un faisceau de contradictions qu’on ne peut concrètement saisir qu’à la lumière du marxisme-léninisme-maoïsme, évidemment quand on en a compris la réelle substance.
Si le MPC n’était pas décadent, il pourrait affronter la crise sanitaire – mais il ne le peut pas, et en fait la crise sanitaire n’aurait eu dialectiquement pas lieu s’il n’était pas décadent.
Il est erroné de chercher une source de la crise dans « l’économie » avant la crise sanitaire ou de résumer la crise au covid-19. Il n’y a dialectiquement pas de cause et de conséquence, ni même d’avant ou d’après : il y a un phénomène unifié aux multiples aspects, le MPC.
La seconde crise générale du capitalisme est un tout et on ne peut pas séparer abstraitement la surproduction de marchandises de la production industrielle d’animaux de ferme dans les années 1960 ni de la destruction des conditions naturelles des années 2000.
Il faut bien sûr analyser en détail les modalités de la crise, mais on peut voir qu’avec l’irruption de la crise sanitaire et le confinement s’en suivant, le MPC a immédiatement fait face à une crise de surproduction de marchandises. Les circuits de distribution étant en partie stoppés, on a trop de pétrole, trop d’électricité, trop de fleurs, trop de pain. Le boulanger peut fermer sa boutique et espérer passer l’orage. Mais les producteurs de fleurs ont procédé à des destructions par millions.
Les centrales atomiques peuvent se restreindre en France, les autres moyens de production d’électricité ralentir. Mais les stocks de pétrole américains ont par exemple été jusqu’à se vendre avec du déficit.
Ce ne sont que des exemples, naturellement, pour indiquer que selon les secteurs la cassure n’a pas été la même. Mais elle fait très mal par endroits. C’est là la raison de l’idéologie du déconfinement rapide. La bourgeoisie liée aux secteurs cassés est ultra-revendicatrice, sa pression est énorme.
Tous les secteurs fonctionnant à flux tendu de par une dynamique petite-bourgeoise, comme l’hôtellerie, les petits commerces, les petits artisanats, ou même l’industrie de nombreux sports comme le football ou le hockey… ont été poignardés par la crise sanitaire.
La petite-bourgeoisie n’est pas une classe, mais une couche entre bourgeoisie et prolétariat. Il est cohérent qu’elle ait été la première à connaître le coup initial. Cependant, la crise sanitaire étant d’ampleur, le basculement aux dépens d’une des deux classes était inévitable. C’est la raison pour laquelle la bourgeoisie dans son ensemble a tendance à être d’accord pour le déconfinement.
Elle a peur que les rapports sociaux, si bien encadrés, si bien stabilisés, puissent être touchés, que cela aboutisse à des revendications à ses dépens. Elle veut à tout prix éviter la recomposition du tissu prolétarien.
Elle considère de plus que la casse a été limitée, qu’on peut chercher à relancer au plus vite les mouvements « gelés ». Elle est d’ailleurs très inquiète des conditions « anormales » de production et de reproduction élargie du capital. Il faut ajouter à cela l’idée qu’une remise à niveau rapide permettrait de renforcer le capitalisme national dans le cadre de la concurrence mondiale.
Cette conception d’un confinement puis d’un déconfinement, éventuellement d’un nouveau confinement, puis d’un déconfinement, etc. se heurte toutefois à toute une série d’obstacles.
D’ailleurs, il faut avoir les moyens de le faire. Ensuite, il y a des alliances exigeant une solidarité interne. Enfin, il y a le marché mondial qui est indépendant du marché national.
Les bourgeoisies ont rapidement compris que la logique nationaliste les plaçait face à un scénario catastrophe possible : réussir pourrait se faire parallèlement à un effondrement général. C’est surtout vrai en Europe, où l’Allemagne avec son satellite autrichien aurait bien menée seule sa barque, avec les Pays-Bas notamment, avant de s’apercevoir que son statut de principale puissance européenne lui imposait de maintenir le cadre européen.
Un effondrement italien, espagnol, et pire encore français, la plongerait elle-même dans la crise. D’où la tendance à une mise en place d’une perfusion étatique dans l’économie. On parle ici de centaines et de centaines de milliards. Tous les commentateurs économistes ont à juste titre parlé d’un « argent magique » provenant des États pour assurer des crédits et perfuser l’économie.
Il va de soi ici que c’est le prolétariat qui devra fournir cet argent magique. Dans le premier temps la petite-bourgeoisie a encaissé le choc, dans le second la bourgeoisie a voulu relancer directement, dans le troisième elle s’est aperçue des difficultés et compte faire payer le prolétariat.
La crise générale du capitalisme repose sur une dialectique entre une surproduction de capital et une surproduction de marchandises. Cette dernière a bien eu lieu et elle continue d’avoir lieu. Avec une bonne partie des circuits de distribution bloquée, avec l’empêchement de sortir de chez soi pour aller consommer classiquement, les marchandises s’accumulent sans être vendus.
En se prolongeant, la crise fait que les cycles de la consommation capitalistes ont été puissamment cassés par endroits. On ne peut tout simplement pas redémarrer en se fondant directement sur J-1. Des déséquilibres puissants vont apparaître selon les secteurs, avec des faillites massives, et cela va faire écho entre secteurs.
De facto, il y a également une crise de surproduction de capital sous-jacente, car une partie de l’économie étant à l’arrêt, le capital ne parvient plus à se placer, il est « en trop ». L’idée des États est de maintenir le plus de capital possible là où il est en venant à la rescousse des grandes entreprises. Il s’agit de maintenir les pôles d’attraction traditionnels du capital.
Le maintien des activités principales et leur relance doit empêcher un gel et un éparpillement du capital. On peut ici profiter de l’exemple de la première crise générale du capitalisme pour savoir comment cela se déroule.
Lors de la crise générale du capitalisme après 1917, certains pays ont réussi à faire payer la crise aux travailleurs pour redémarrer de manière relative, dans le cadre du déclin du capitalisme à l’échelle mondiale. Ce fut notamment le cas en France et en Grande-Bretagne, où l’élan révolutionnaire a été rapidement brisé. Les Partis Communistes de ces deux pays ont un parcours isolé. Cela n’a par contre pas réussi dans les pays d’Europe de l’Est et d’Europe centrale, provoquant des crises profondes et l’affirmation de Partis Communistes réellement massifs et combatifs.
On a désormais pratiquement le schéma inverse. Les pays d’Europe de l’Est et d’Europe centrale connaissent une grande stabilité, soit en raison d’un MPC puissant comme en Allemagne et en Autriche, soit en raison d’un capitalisme bureaucratique profondément enraciné comme en Tchéquie, en Slovaquie, en Pologne, en Hongrie, etc.
Par contre, des pays comme l’Italie, l’Espagne, la France et l’Angleterre sont frappés de plein fouet. Leur capitalisme connaissait trop de problèmes internes déjà et l’expression de la crise générale se conjugue directement avec ceux-ci. Il suffirait concrètement d’une réelle poussée des masses pour que ces pays connaissent une crise de la plus grosse ampleur.
Avec le Brexit, le nationalisme a en Grande-Bretagne une longueur d’avance sur la proposition stratégique communiste. L’Espagne connaît des dissensions internes massives où les bourgeoises nationales, notamment celle catalane, peut tirer les marrons du feu. L’Italie et la France apparaissent d’autant plus comme le maillon faible de la chaîne impérialiste.
L’Italie est cependant prisonnière d’une multiple de problèmes structurels paralysant toute capacité de projection politique centralisée. Il n’y a plus de véritable base révolutionnaire depuis les années 1990, alors que l’extrême-droite s’est massivement développée.
La France, par contre, connaît une crise centralisée. La vague réactionnaire des « gilets jaunes », un mouvement ultra-minoritaire mais très bruyant et reflétant la panique de la petite-bourgeoisie, avait déjà ébranlé la réalité sociale. La vague de grève contre la réforme des retraites, avec surtout les cheminots, de début décembre 2019 à fin février 2020, a été un échec complet, mais a pareillement déstabilisé les rapports sociaux.
On retrouve ici la situation d’après 1918, mais cette fois sans possibilité de sortie. L’Internationale Communiste constatait déjà le contraste entre des objectifs extrêmement ambitieux de l’impérialisme français et sa base en perdition, avec un capital largement parasitaire déjà remarqué par Lénine. La France s’en était alors sorti par sa base agraire et son immense petite-bourgeoisie. Cela ne sera cette fois pas possible.
Il suffit de voir les bricolages du capitalisme français. La France a ainsi largement profité de la formation d’un département, la Seine Saint-Denis, servant de levier immigré à la base parisienne, provoquant une situation de tiers-mondisation massive. La présence d’enfants immigrés dormant dans les rues de Paris, de toxicomanes dans le métro parisien, de pickpockets en bandes sur les Champs-Elysées… témoignent que l’État est dépassé. L’incapacité à disposer ne serait-ce que de masques pour la population et même pour le personnel soignant est l’expression directe d’une crise de grande envergure.
La situation en Belgique est à la fois très similaire et particulièrement différente à celle d’en France, les contradictions allant principalement dans la même direction explosive. L’État belge a littéralement démissionné de ses responsabilités quant à l’application du confinement dans certains quartiers, témoignant de sa décadence comme de son mépris pour la santé de la population.
L’État est en fait en décalage toujours plus complet avec les larges masses. Un exemple tout à fait significatif est la piétonnisation du centre historique de Bruxelles, louable abstraitement, mais qui dans les faits s’est révélé une base concrète pour le développement accru des comportements anti-sociaux, depuis la délinquance jusqu’au trafic de drogues, avec des regroupements de pickpockets ou de toxicomanes allant jusqu’à harceler les passants.
Néanmoins cet exemple se retrouve au milieu des contradictions nord/sud, Wallonie/Flandres, masses/Etat, prolétariat/bourgeoisie, qui s’entremêlent et ne cessent, en l’absence de solution révolutionnaire, de provoquer un effondrement politique.
Il est nécessaire de procéder à l’étude de la seconde crise générale du capitalisme. Il faut en étudier les aspects, les interrelations. Il s’agit d’une contribution qui est inévitablement nécessaire pour parvenir à se repérer dans une période entièrement nouvelle, une période révolutionnaire.
On rentre dans l’époque des masses et leur parcours suit dialectiquement le développement de la crise générale du capitalisme. Qui est incapable de comprendre le MPC, de saisir les modalités de sa crise, sera incapable de diriger la révolution.