La peinture impressionniste est l’un des plus grands moments culturels de la belle époque. Elle est un summum du raffinement bourgeois. Dans le roman, on a Émile Zola, en poésie Paul Verlaine et Stéphane Mallarmé, voire Arthur Rimbaud, en musique on a Claude Debussy ; en peinture, on a l’impressionnisme.
Parmi les peintres, il faut citer, de manière large : Claude Monet, Camille Pissarro, Alfred Sisley, mais aussi Pierre Auguste Renoir, Frédéric Bazille, Camille Pissarro, Paul Cézanne, Armand Guillaumin. A quoi il faut ajouter Paul Gauguin, Henri de Toulouse-Lautrec, Vincent Van Gogh.
Des noms illustres, célébrés par la bourgeoisie, consciente d’avoir là son âge d’or culturel, son âge à elle, où elle pouvait acheter, disposer de l’art et de vrais artistes comme elle l’entendait.
C’est là le paradoxe : la plupart de ces peintres étaient rejetés, en raison de leur non académisme. Ils ont cultivé leur genre, ont triomphé et sont passés du statut de rebelle à celui de faire-valoir de la bourgeoisie. On aura le même phénomène avec les poètes de la bohème.
C’est pour cette raison que l’impressionnisme, bien entendu, connaît une contradiction. D’un côté, il tend à l’impression pure, de l’autre il présente déjà le trouble, l’aliénation propre au capitalisme ; par la suite l’expressionnisme s’exprimera totalement au sein même de cette contradiction.
Edgar Degas (1834-1917), ainsi, a avec L’absinthe (1875-1876), présenté une œuvre qui déjà démasque la prétention bourgeoise.
Mais le tableau L’absinthe n’est un aspect seulement de l’impressionnisme d’Edgar Degas, qui est un grand bourgeois hautain et conservateur. De la même manière, A Cotton Office in New Orleans (1873) décrit une scène de facture réaliste, mais c’est également une faillite économique annoncée dans le journal qui forme l’arrière-plan capitaliste.
Néanmoins, il faut bien voir ici que la peinture fait encore office de photographie, comme en témoigne par exemple Les musiciens à l’orchestre. A cela s’ajoute les peintures de courses de chevaux, de ballets et d’opéras, de portraits de bourgeois, de bains de mer, etc. Edgar Degas est un bourgeois photographiant les bourgeois.
Ce n’est que par ricochet qu’il dévoile la société bourgeoise dans ce qu’elle est. On comprend alors le double caractère de cette photographie en peinture quand on voit la terrible œuvre Le viol, de 1868-1869. La femme violée est, d’ailleurs, une domestique.
Edgar Degas révèle l’impressionnisme, simple impression, sans compréhension. On est déjà dans l’impression froide, ou chaude, mais toujours passive, contemplatrice, décadente. On est dans la simplicité, voire le simplisme, dans l’unilatéralité. Le viol est une oeuvre oscillant entre portrait fidèle d’une situation terrible, telle L’absinthe, et contemplation morbide, fascinée, simple impression.
Et on devine alors aisément le sens du tableau, simpliste et fidèle impression du simplisme, Portraits à la Bourse (1878-1879), caricature antisémite violemment agressive. La personne centrale représente un banquier en haut de forme portant toutes les caractéristiques physiques des caricatures antisémites (nez crochu, barbe fournie, teint cireux, malingre, air hautain) et courtisée par deux autres personnes en haut de forme et aux caractéristiques « aryennes » (blond, teint très blanc, bien portant) le premier lui parlant à l’oreille et le second lui offrant son mouchoir en soie. L’impression mise en avant par ce tableau est très clairement que les juifs seraient les vrais « maîtres » de la finance et que les banquiers seraient « à leurs pieds ».
On voit facilement la portée idéologique d’une telle œuvre. Edgar Degas a ici produit une œuvre très brutalement antisémite, conforme au niveau idéologique de la simple impression bourgeoise (on notera que ce manifeste antisémite voit sa dimension foncièrement raciste pré-nazie passée sous silence, naturellement, tant par wikipedia en français que par le musée d’Orsay qui parle quant à lui de dimension « grotesque » afin de masquer la réalité.)
Edgar Degas était un fervent anti-dreyfusard et un antisémite affirmé, et cet antisémitisme n’est pas un « à côté » : il est une composante de l’approche « impressionniste » du monde, incapable de saisir la société de manière matérialiste.
Claude Monet (1840-1926) est bien sûr celui qui a le plus poussé cette logique jusqu’au bout. Son œuvre de 1872, Impression, soleil levant, est le point de départ de l’impressionnisme comme mouvement.
Mais Claude Monet a prolongé cette tendance au flou.
Et ce flou provient lui-même d’une vision unilatérale : celle portant sur la bourgeoisie. Même la vision de la nature est bourgeoise. L’impressionnisme oscille entre la photographie de la bourgeoisie et déjà le flou d’un matérialisme se mourant. La nature elle-même n’existe que par la bourgeoisie : l’impressionnisme perd la dignité du réel qu’avait encore le romantisme.
La bourgeoisie ne peut qu’avoir la nostalgie de doux flou, et elle a son temple : la maison de Claude Monet à Giverny, haut lieu de pèlerinage de la bourgeoisie regrettant sa belle époque.