La mort de Staline s’est déroulée dans des conditions obscures ; il aurait connu une attaque cérébrale dans la nuit menant au premier mars, mais n’a pas été soigné, pour être déclaré mort le 5 mars.
Auparavant, il avait été isolé sur le plan de l’organisation. Alexandr Proskrebychev, son principal collaborateur depuis 1924, avait été mis à pied en 1952 sur la base d’une fausse accusation de vol de documents. Le responsable de sa sécurité depuis 1931, Nikolai Vlasik, fut pareillement écarté en 1952 sur la base d’une fausse accusation, cette fois de complot.
Par la suite, l’extrême confusion qui a prédominé témoigne de l’atmosphère pénible et marquée par des complots au sein du Kremlin. Elle se révèle par le conflit entre les différentes instances de l’État.
On a ainsi d’un côté Gueorgui Malenkov qui fait office de premier ministre, en étant proche de Lavrenti Beria qui est le responsable des services secrets, ainsi que de Viatcheslav Molotov comme responsable des affaires étrangères, et également Lazare Kaganovitch comme responsable des salaires et du travail.
De l’autre, on a Nikita Khrouchtchev comme dirigeant du Parti Communiste, Nikolaï Boulganine comme responsable de la Défense, épaulé par le général Gueorgui Joukov.
Deux événements marquèrent alors le rapport de forces entre les deux fractions. Le premier fut l’arrestation dans le secret de Lavrenti Béria et de ses six collaborateurs, dès juin 1953, prélude à leur procès non public, leur exécution et leur incinération en décembre.
Le second fut la tentative de la première fraction, en juin 1957, d’expulser Nikita Khrouchtchev de la direction du Parti Communiste, ce qui échoua grâce à la mobilisation de l’armée par Joukov. A ce moment-là, les membres de la première fraction sont mis de côté, puis progressivement expulsés.
La tenue entre ces deux événements du XXe congrès, en 1956, témoignait du lent changement de rapport de force qui existait en Union Soviétique. On sait, en effet, que de nombreuses contradictions s’étaient développées à la suite de la victoire de 1945, et Staline avait rétabli la primauté du Parti Communiste où son rôle s’était effacé.
Les techniciens opportunistes, tant dans l’armée que l’économie, avaient pu prendre certains postes en raison des grandes difficultés de la période 1941-1945, mais la bataille idéologique avait ramené une situation saine. L’État soviétique mit en avant le principe de la « légalité socialiste », dans le cadre de la réalisation du quatrième plan quinquennal.
Si la thèse matérialiste dialectique est correcte, alors il faut regarder comment le régime a été attaqué précisément sur cette base. Or, on peut voir qu’alors que Staline meurt le 5 mars 1953, la légalité socialiste est remise en cause dès le 27 mars.
Sur décret, plus de 1 200 000 personnes furent libérées du goulag, soit la moitié de la population de celui-ci. Furent libérées toutes les personnes dont la sentence était en-dessous de cinq ans, tous les autres voyant leur peine divisée par deux. Furent automatiquement libérés les hommes de plus de 55 ans et les femmes de plus de 50 ans, les jeunes de moins de 18 ans, les femmes avec enfants, ceux dont la peine était liée au travail ou au service militaire, etc.
C’était ici particulièrement miner la société soviétique. La loi se voyait dévaluée, qui plus est des centaines de milliers de personnes effectuaient un retour unilatéral dans la société, provoquant une importante vague d’activités criminelles. Selon les chiffres officiels, dans les semaines et mois qui suivirent, les attaques violentes augmentèrent de 60,4 %, les meurtres de 30,7 %, les viols de 27,5 %, les vols de 63,4 %, les troubles sur la voie publique de 19,3 %.
En pratique, environ 40 % des gens arrêtés dans les mois qui suivirent, pour des activités criminelles, provenaient directement du goulag. Les réseaux criminels organisés dans le goulag s’évertuaient à s’implanter dans la société soviétique.
C’était d’une grande importance pour Nikita Khrouchtchev et la clique qu’il représentait : les troubles travaillaient l’opinion publique, sapant la légalité socialiste existant précédemment et provoquant un appel d’air pour des mesures qu’il y avait lieu, pour Nikita Khrouchtchev, de développer de telle manière que cela corresponde à ses vues.
Le régime nouvellement installé développa par conséquent une nouvelle approche de la vie quotidienne, du style de vie (le « byt ») ; c’est dans ce cadre qu’il faut voir la publication et la promotion en 1954 d’un roman d’Ilya Ehrenbourg intitulé Le dégel, se moquant des artistes peu talentueux mais conformistes, barrant la route aux artistes authentiques mais peu soucieux de bons rapports avec la « bureaucratie ».
Deux autres ouvrages du même type seront publiés et encensés : il y eut ainsi en 1956 L’homme ne vit pas que de pain de Vladimir Doudintsev, racontant les terribles mésaventures d’un ingénieur dont l’invention est volée, lui emprisonné, dans le cadre d’une bureaucratie complète, etc.
Enfin, en 1962, il y eut Une journée d’Ivan Denissovitch, qui décrit le goulag, qu’a lui-même connu son auteur Alexandre Soljenitsyne.
Ces trois ouvrages furent publiés directement avec l’accord de Nikita Khrouchtchev, avec également Alexandre Tvardovski jouant un important rôle par l’intermédiaire de la revue Novy Mir. Tvardovski publia également un long poème méditatif dans le même esprit, intitulé Loin, au loin…, gagnant le prix Lénine en 1961 ; toutes les années 1953-1962 sont marquées de toutes manières par une vague de romans dénonçant la bureaucratie soviétique, l’arbitraire prédominant partout, etc. etc.
Le 23 février 1956 fut, dans ce sens, fondé un Comité pour les questions des inventions et découvertes, qui devint un véritable organe de pression de la part des scientifiques et des ingénieurs contre la « bureaucratie ».
Pareillement, le MVD – le ministère de l’intérieur fut séparé de la sécurité intérieure, sa conférence spéciale supprimée. Les voyages à l’intérieur de l’URSS furent libéralisés, et le livret ouvrier supprimé, ainsi que la responsabilité pénale en cas d’abandon de son travail.
Le processus devait être continu, et les éléments anti-sociaux, sapant la base du régime précédent, était ici une aide précieuse. Ainsi, après l’amnistie de mars 1953, le processus de libération du goulag continua de manière progressive : en janvier 1956, le nombre de personnes au goulag n’était plus que d’un peu plus de 781 000, soit 1/3 du nombre de 1953. A partir de 1954, les opposants politiques envoyés au goulag commençaient également à sortir.
Entre 1953 et 1956, on a donc une transformation importante de la légalité. L’objectif d’éléments dégénérés au sein de l’armée et de l’industrie était de liquider l’influence du Parti, en profitant de la mort de Staline, qui formait la direction de celui-ci.
Il fallait par conséquent tout d’abord saboter les courroies de transmission du Parti dans l’armée et les services secrets, et ensuite empêcher l’émergence d’une nouvelle direction. Pour cela, il y avait la lutte contre le « culte de la personnalité », qui brisait tout débat idéologique, en déplaçant toute discussion vers un débat sur la « bureaucratie ».
Les problèmes dans la société étaient ainsi à la fois alimentés par les transformations libérales, et en même temps attribués au « stalinisme », afin de provoquer des changements dont les complications étaient elles-mêmes attribuées au « stalinisme », permettant de nouveaux changements qui eux-mêmes, etc., dans un processus s’auto-alimentant.