Eugen Varga, après avoir donc dressé une vue d’ensemble de la situation dans La crise de l’économie mondiale capitaliste en 1921, conclut cet ouvrage sur la thèse suivante. Les sociaux-démocrates ont selon lui tort de penser que le capitalisme est en train de redémarrer ; ils sont aveuglés par le démarrage de 1918-1921 qui ne s’appuie que sur les espaces ouverts par la fin de la guerre.
Il est vrai, précise-t-il, que la bourgeoisie elle-même est désormais remise sur pied en Europe centrale. Paralysée, catastrophée en 1918-1919, elle a repris confiance en elle. Cependant, si l’on voit l’absence de dynamique dans la construction de logements et d’infrastructures pour les chemins de fer, malgré les besoins énormes, on a une preuve de l’absence de redémarrage de l’accumulation du capital.
La France s’en sort, grâce à la pression financière qu’elle exerce de manière impitoyable contre l’Allemagne vaincue, mais elle-même n’échappe pas à l’inflation et l’État ne couvre même pas la moitié de ses propres dépenses.
Aucun pays n’est capable de réparer les dégâts posés par la guerre mondiale ; il faut rappeler ici que l’analyse d’Eugen Varga ne consiste pas en le fait de parler d’une crise naturelle du capitalisme. Cette crise est induite par la guerre.
Eugen Varga précise cela et explique que c’est insurmontable pour le capitalisme en disant :
« La surproduction relative actuelle n’est pas une conséquence de l’anarchie de l’économie capitaliste, mais une conséquence des modifications provoquées par la guerre dans la construction de l’économie mondiale.
La crise a été provoquée par le déclin de l’économie de l’Europe centrale et de l’Est, par la sous-production chronique dans ces territoires.
Cela et l’industrialisation des territoires coloniaux pendant la guerre ont amené l’impossibilité pour les États-Unis, le Japon et l’Angleterre de trouver des débouchés sur le marché mondial pour leurs marchandises.
Ces causes de la crise se laissent-elles surmonter ?
La surproduction relative est une composante essentielle de toute crise du capitalisme. C’est toujours la disponibilité d’une masse de marchandises qui ne trouvent pas d’acheteurs à des prix profitables dans le cadre de la répartition des revenus qui appelle cette apparence de surproduction. »
Auparavant, le capitalisme pouvait faire en sorte d’augmenter la productivité et par conséquent de rendre disponibles ces marchandises pour les acheteurs, dont le pouvoir d’achat avait augmenté en proportion. Les monopoles pouvaient également étrangler le marché afin de forcer les ventes.
Or, là, dans la situation décrite par Eugen Varga, ce n’est pas possible. Il n’y a ni le capital capable de moderniser l’appareil productif, ni la soumission suffisante du prolétariat pour arracher de la productivité à tout prix.
Il y aurait bien les États-Unis, mais ils ne comptent pas faire de prêt ; de plus, la France, par sa pression douanière contre l’Allemagne et ses exigences de réparation, coule ce pays de manière irrémédiable.
Quant à l’option de développer ailleurs le capitalisme de manière décisive, quitte à laisser tomber l’Europe, cela n’est pas possible : le Canada et l’Australie ont une population trop restreinte, tout comme finalement l’Amérique centrale et du sud. Seuls l’Inde et la Chine pourraient suffire, cependant il n’y a pas de prolétariat disponible, il faudrait deux à trois générations pour mettre cela en place.
Il est fort intéressant de remarquer que l’option du prêt se réalisera, après 1945, avec le plan Marshall, et que l’option de l’intégration d’un nouveau pays avec une importante base prolétaire se réalisera avec la Chine, dans les années 2000.
Eugen Varga est donc formel :
« Sans l’Europe centrale, le marché mondial est trop étroit pour les pays capitalistes développés.
Partant de là, la sous-production de l’Europe centrale doit appeler de nouveau, après une courte période, et même si une amélioration temporaire se produit, la crise économique actuelle.
Les périodes de meilleure conjoncture vont être toujours plus courtes, celles de la crise toujours plus longues et intensives ; toujours plus de pays vont être précipités dans le déclin, le mouvement révolutionnaire du prolétariat va s’élargir toujours davantage, jusqu’à ce qu’après de longues luttes, la révolution sociale triomphe. »
La crise de l’économie mondiale capitaliste se conclut alors sur les contradictions inter-impérialistes, avec l’annonce de l’affrontement inévitable entre les États-Unis, l’Angleterre et le Japon. C’est leur seule porte de sortie face à la crise et la militarisation de ces pays, en particulier des États-Unis, est déjà flagrante.
Eugen Varga termine par conséquent par les lignes suivantes :
« Tout comme la guerre mondiale a apporté la dictature du prolétariat en Russie et le déclin du capitalisme en Europe centrale, la guerre mondiale qui vient achèvera la destruction du capitalisme sur toute la planète. »