Eugen Varga, au lendemain de la guerre, était un cadre considéré comme ayant de la valeur dans le contexte d’évaluations économiques. Il fut à ce titre du voyage de la centaine de conseillers accompagnant Molotov, en juin 1947 à Paris, pour discuter avec la France et la Grande-Bretagne au sujet de la question des aides.

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Or, évidemment, ces deux puissances soulignèrent que les aides dépendaient d’un audit de chaque pays et seraient décidées par une instance centrale européenne. Une telle démarche visait naturellement à arracher les démocraties populaires de l’Est européen à leur socle socialiste. Elles n’auraient des appuis que dans certains domaines, leur économie se faisant façonner selon les besoins des pays capitalistes, avec leur propre base profondément modifiée pour perdre toute nature socialiste.

Le plan Marshall fut par conséquent rejeté. Toutefois il y avait eu un véritable vacillement dans le Parti en URSS. La preuve en était la présence d’Eugen Varga, alors que celui-ci avait lancé une véritable rébellion contre la ligne dominante.

En effet, alors que les démocraties populaires naissaient comme régime dans les pays de l’est européen, il rejetait cette nouvelle forme sociale, disant même ouvertement en avril 1947 qu’elle n’était ni capitaliste, ni socialiste.

Lors de sa présence en Hongrie, il discuta même du plan Marshall avec les socialistes, qui formaient alors le principal parti à gauche. Eugen Varga considérait en effet qu’il était possible d’utiliser le plan Marshall, qui obéissait à des nécessités économiques américaines et qui par conséquent ne permettait pas tant de marges de manœuvres que cela dans sa mise en place. L’URSS pouvait arracher des concessions aux États-Unis, qui n’auraient pas le choix.

Cette orientation favorable à une certaine composition avec les pays occidentaux se déroulait alors qu’une critique s’était développée devant le manque d’activité de son institut d’évaluation économique. Le département d’agitation et de propagande auprès du Comité Central avait fait paraître une nouvelle revue, intitulée La culture et la vie, dont le premier numéro en juin 1946 contenait une critique des économistes soviétiques pour ne pas avoir été en mesure de véritables analyses de fond de l’économie des pays capitalistes.

Le 30 octobre 1946, un autre article de La culture et la vie critiquait l’IMChMP, l’Institut dirigé par Eugen Varga, pour son manque de productivité :

« L’institut pour l’économie mondiale n’a pas produit aucun travail conséquent de recherche sur le stade actuel de l’impérialisme, en particulier rien sur les problèmes des changements de l’après-guerre dans le système de l’impérialisme et sur les tendances monopolistes d’État dans le capitalisme actuel.

Au lieu de recherches théoriques, profondes, l’Institut produit des regards sur les événements économiques en cours, qui n’ont de signification que conjoncturelle. »

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Cette critique réapparut dans la revue en octobre, portant sur le caractère théorique arriéré de l’Institut d’économie mondiale et de politiques mondiales dirigée par Eugen Varga. Ce dernier, le même mois, publia l’ouvrage qui devait être le véritable détonateur de la grande polémique soviétique de l’après-guerre : Les changements dans l’économie du capitalisme comme résultat de la Seconde Guerre mondiale.

Cet ouvrage avait initialement été une commande du Comité Central durant la guerre, mais la portée allait être bien plus importante qu’une simple analyse de fond. D’ailleurs, les éléments mis en avant par Eugen Varga ne faisaient que refléter de multiples conceptions apparues en URSS depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale.

Tout un pan de la société soviétique considérait qu’en raison de l’alliance antifasciste passée, il était possible d’établir un rapport constructif avec les pays impérialistes, maintenant que la guerre était finie. La guerre impérialiste ne semblait plus être un horizon inévitable, les pays capitalistes cessaient d’avoir une identité réactionnaire en soi, contrairement à entre 1917 et 1945. Une césure se serait produite.

L’affirmation des années 1930 selon laquelle on était entré dans la période de la crise générale du capitalisme serait caduque. L’impérialisme aurait pris une forme nouvelle.

Cette conception était si répandue qu’il ne fut pas possible de la balayer d’un revers de la main. Apparue ouvertement avec la publication de l’ouvrage d’Eugen Varga, elle allait provoquer une bataille qui allait durer pendant plusieurs années en URSS, et cela de manière ouverte.


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