friedrich_engels-2.jpgEn 1877, Friedrich Engels publia une oeuvre très importante, intitulée « Le renversement de la science fait par monsieur Eugen Dühring » (la version publiée en français prit comme titre « Monsieur E. Dühring bouleverse la science »).

L’œuvre fut d’abord publiée en plusieurs articles dans l’organe social-démocrate allemand Vorwärts (« En avant »), du 3 janvier 1877 au 7 juillet 1878, avant d’être publiée sous la forme d’un ouvrage en tant que tel, en 1877, de nouveau en 1878 en Suisse, puis de nouveau plusieurs fois dès 1894.

Son importance fut alors capitale et l’oeuvre devint un classique dont le positionnement fut au coeur de la social-démocratie comme mouvement historique.

Vu de France au XIXe siècle, le marxisme était une politique sociale radicale, dont le symbole était le Manifeste du Parti Communiste, avec Le Capital comme justificatif théorique sur le plan économique. Vu d’Allemagne toutefois, le marxisme était une vision du monde, et « Le renversement de la science fait par monsieur Eugen Dühring », titre résumé plus couramment par « L’anti-Dühring », était au coeur de ce dispositif idéologique.

Au XXe siècle, les choses ne changeront pas, et ce pour deux raisons. La première est le niveau idéologique très faible du Parti Communiste français, pour qui le matérialisme dialectique consistait au mieux au matérialisme des Lumières en une version un peu améliorée sur le plan de la méthode au moyen de la dialectique mise en avant par G.W.F. Hegel.

Or, c’est là ne pas du tout avoir compris comment le matérialisme s’est développé, c’est faire de Hegel un idéaliste, la dialectique étant alors ici simplement « piochée » chez lui. En réalité, Hegel a deux aspects et l’un de ceux-ci aboutit au matérialisme dialectique; il ne s’agit nullement d’une combinaison entre matérialisme d’un côté et dialectique de l’autre.

Voici ce que dit Friedrich Engels dans la préface à son oeuvre, en date du 23 septembre 1885 :

« Il s’agissait évidemment pour moi, en faisant cette récapitulation des mathématiques et des sciences de la nature, de me convaincre dans le détail – alors que je n’en doutais aucunement dans l’ensemble – que dans la nature s’imposent, à travers la confusion des modifications sans nombre, les mêmes lois dialectiques du mouvement qui, dans l’histoire aussi, régissent l’apparente contingence des événements; les mêmes lois qui, formant également le fil conducteur dans l’histoire de l’évolution accomplie par la pensée humaine, parviennent peu à peu à la conscience des hommes pensants : lois que Hegel a développées pour la première fois d’une manière étendue, mais sous une forme mystifiée, et que nous nous proposions, entre autres aspirations, de dégager de cette enveloppe mystique et de faire entrer nettement dans la conscience avec toute leur simplicité et leur universalité. »

Comme on le voit clairement exprimé ici, c’est la matière qui est en elle-même dialectique, et la pensée est elle-même d’ailleurs clairement présentée ici un produit dialectique de la matière.

On est ici très loin de l’approche du Parti Communiste français, qui n’a vu dans le matérialisme dialectique utilisant une approche, qu’une méthode nouvelle. D’ailleurs, de leur côté, les trotskystes ont tout de suite compris la menace et ils ont toujours rejeté Friedrich Engels, affirmant que ses thèses ne sont pas celles de Karl Marx. Marx aurait réalisé le matérialisme historique, et c’est Friedrich Engels qui aurait « inventé » la dialectique de la nature.

C’est là ne pas avoir compris Karl Marx ni le « tandem » Marx-Engels; comme le souligne Friedrich Engels dans la même préface:

« Une remarque en passant : les bases et le développement des conceptions exposées dans ce livre étant dus pour la part de beaucoup la plus grande à Marx, et à moi seulement dans la plus faible mesure, il allait de soi entre nous que mon exposé ne fût point écrit sans qu’il le connût. Je lui ai lu tout le manuscrit avant l’impression et c’est lui qui, dans la partie sur l’économie, a rédigé le dixième chapitre (“Sur l’Histoire critique”); j’ai dû seulement, à mon grand regret, l’abréger un peu pour des raisons extrinsèques. Aussi bien avons -nous eu de tout temps l’habitude de nous entr’aider pour les sujets spéciaux. »

L’oeuvre connue sous le nom d’anti-Dühring est ainsi une oeuvre expliquant la position commune à Karl Marx et Friedrich Engels; il n’est pas possible de séparer Marx d’Engels, ni la matière de la dialectique. C’est pourquoi pour Lénine, l’anti-Dühring est une oeuvre essentielle aux travailleurs dans leur bataille révolutionnaire: c’est leur vision du monde qui, de fait, y est exposée.


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