Konstantin Tsiolkovski était avant tout un visionnaire. Il se lançait dans différentes directions, avec des erreurs parfois, mais il défrichait le terrain.
Il a laissé une grande littérature, très inégale, au sujet de la formation des étoiles doubles, de la stratosphère, des plantes du futur, de la nature des êtres vivants sur d’autres planètes, de la formation du système solaire, de la nécessaire existence d’êtres vivants ailleurs dans l’univers, de l’eau dans les déserts, de l’organisation des activités industrielles dans l’espace, de la gravitation, de la relativité d’Einstein (qu’il réfute y voyant un point de vue religieux), de la seconde loi de la thermodynamique (qu’il réfute), de l’énergie potentiellement obtenue par les vagues de l’océan, du rôle croissant de la réflexion aux dépens du corps, de l’utilisation de l’énergie solaire, du combat des êtres vivants pour se débarrasser de la douleur, de la structure de la matière, etc.
Il faut ici se tourner vers sa compréhension de la matière. Dans Panpsychisme, ou tout sent, Konstantin Tsiolkovski souligne qu’il ne raisonne qu’à partir du fait qu’il n’y a que la matière, mais selon lui celle-ci est intégrée dans un mouvement général :
« Je suis un pur matérialiste. Je ne reconnais rien d’autre que la matière.
Je vois seulement une mécanique à l’œuvre en physique, en chimie et en biologie. L’univers entiers est simplement une machine complexe infinie.
Sa complexité est si grande qu’il a comme frontière l’arbitraire, l’inattendu et l’accidentel. Il génère l’illusion du libre-arbitre parmi les êtres conscients. »
Konstantin Tsiolkovski dit que les êtres humains ont des sensations, que les animaux en ont. Et il constate, comme Diderot et Lénine, qu’il n’y a pas de matière sans sensation, même si c’est à des degrés différents.
Pour Konstantin Tsiolkovski, toute frontière qu’on placerait pour dire qu’il n’y a pas de caractère sensible à la matière au-delà de celle-ci est « artificielle, comme toutes les frontières ».
Seulement, il faut ici se tourner vers l’Histoire russe. La conception matérialiste russe telle qu’elle s’est développée à la fin du XIXe siècle reconnaissait l’ensemble de la réalité, tout en possédant une particularité : le fait de considérer l’être humain comme la forme la plus avancée de la matière.
La preuve en serait son degré plus développé de conscience. Cette conception se focalise sur le particulier et non pas le tout ; l’humanité est prioritaire et cela se lit chez Vladimir Vernadsky, Konstantin Tsiolkovski, Maxime Gorki, Staline.
Partant de là, tout doit s’orienter par rapport à l’humanité. La matière se renforce sur le plan de la conscience et de l’organisation au moyen d’elle-même, en renforçant l’humanité.
Autrement dit, l’humanité apparaît comme le fleuron du développement de la matière. Elle doit donc se généraliser.
Dans Le futur de la Terre et l’humanité, Konstantin Tsiolkovski,affirme ainsi que l’humanité peut passer, par la colonisation du système solaire (et au-delà de la Voie lactée), à un trillard de personnes, soit mille trillions, soit mille milliard de milliard, 1 000 000 000 000 000 000 000.
La Terre serait la base de départ et il s’agit dans ce processus de l’organiser en ce sens, Konstantin Tsiolkovski réfléchissant à un principe du défrichage à l’échelle continentale par des millions de personnes, ainsi qu’à l’organisation de radeaux géants pour occuper les océans.
Il ne s’agit toutefois pas, au sens strict, d’un anthropocentrisme. On est dans une conception où la totalité de la matière s’unifie, s’élance pour permettre l’avènement de l’être humain et de sa conscience. L’être humain devient littéralement la visée du processus cosmique.
Ce n’est toutefois qu’une étape : en fait la matière va en direction de la suppression de la douleur et de la mort. C’est un processus de complexification général.
Dans ses Théorèmes sur la vie, où il précise sa conception du monisme, Konstantin Tsiolkovski présente de la manière suivante cette lecture d’une totalité naturelle se concentrant en l’être humain comme première étape vers la suppression de la mort elle-même :
« Je ne cesserai pas d’essayer de comprendre ce qui est le plus important pour un être conscient :
(1) la continuité subjective de la vie ;
(2) son caractère non limité dans toute direction qui soit ;
et (3) son bonheur.
Tout cela, pour ainsi dire, est réfuté par la vie biologique sur Terre.
Ainsi, pour ne pas succomber à cette conception erronée, il faut regarder la vie depuis l’espace. »
Or, dans les Théorèmes, Konstantin Tsiolkovski dit également que « toute matière est vivante dans son noyau » et ce qu’on appelle « esprit » est présent partout, à toutes les échelles, avec plus ou moins d’organisation.
Konstantin Tsiolkovski déduit cet esprit des sensations : en fait, pour lui l’esprit consiste, comme chez Spinoza, en le fait de vouloir persévérer dans son être, dans le fait que tout élément matériel, tout atome est en mouvement.
L’être humain apparaît donc comme une combinaison physico-chimique particulièrement développée. Et c’est une étape pour ce que les atomes se retrouvent, à terme, dans quelque chose qui dure, qui soit heureux, au-delà de la douleur, de la mort.