15 avril 1934

Les événements qui se sont déroulés en France au cours de ces dernières semaines, et particulièrement pendant la période du 5 au 12 février sont, à tous les points de vue, une confirmation éclatante des thèses du 13ème Exécutif de l’I.C. Et en particulier, ils illustrent de façon saisissante la conclusion du Comité exécutif de l’Internationale qui fait un devoir à toutes les sections de l’internationale d’être prêtes à chaque tournant des événements et sans perdre un instant de tendre toutes leurs forces pour la préparation révolutionnaire du prolétariat en vue des prochaines batailles décisives pour le pouvoir.

l-humanite_1934.jpg

L’énergie et l’ampleur de la riposte faite dans tout le pays par le prolétariat aux menées fascistes, la combativité admirable des ouvriers parisiens luttant pendant des heures contre la police, élevant des barricades pour résister aux charges ; les multiples exemples d’initiative donnés par les organisations du Parti au cours de ces journées pour mobiliser les masses et les entraîner à l’action, montrent éloquemment les énormes possibilités qui nous sont actuellement données pour développer l’action de masse contre la bourgeoisie et ses bandes policières ou fascistes.

Cependant, ces constatations réconfortantes ne doivent pas masquer les faiblesses ou les lacunes qui se sont révélées, au cours de cette période, dans plusieurs domaines du travail du Parti.

Dans la région parisienne, une des plus sensibles lacunes dans l’organisation a été l’absence ou la grande faiblesse du système de liaison, permettant aux comités du Parti de transmettre des directives fixant les tâches de chacun et ayant pour but de coordonner l’action.

Pour suppléer à cette absence d’organisation on eut recours à une improvisation, sans pouvoir, évidemment, rien éliminer de ce qu’une improvisation comporte d’erreurs, d’imprudences et de dangers.

Une deuxième faiblesse fut la participation insuffisante des usines au mouvement ; la faible importance du matériel édité par les moyens des organisations de base du Parti pour toucher les ouvriers autrement que par l’Humanité .

Une troisième c’est, en plusieurs endroits, pendant les journées des 6, 7 et 9 février, un manque d’activité sous prétexte d’absence de directives régulièrement transmises et reçues. Et la quatrième, qui fut à peu près générale, c’est la vérification de la solidité des traditions légalistes et des illusions démocratiques ; l’absence ou l’insuffisance des mesures de sécurité prises par les militants pour assurer le travail du Parti (réunions tenues dans les locaux habituels des organisations, militants n’ayant pas jugé utile d’utiliser d’autres logements pour habiter ou travailler que ceux utilisés ordinairement et même une certaine caricature du travail clandestin, consistant à « déplacer » d’un local connu dans un autre également connu les lieux de permanence ou de réunions).

On peut donc dire qu’un grand nombre d’organisations et de membres du Parti ont agi en tablant sur la non-activité de la police pour saboter notre activité.

Les bons militants qui se sont courageusement battus contre les forces de police et les bandes fascistes, ont méconnu ou avaient oublié, que l’action de la police ce n’est pas seulement de ma traquer ou fusiller les manifestants ouvriers, mais aussi et surtout d’agir pour tenter de mettre hors de combat le Parti communiste et les organisations révolutionnaires du prolétariat. Ce sont cependant des choses à ne pas oublier ou méconnaître. L’avènement du gouvernement d’Union nationale, nouveau pas dans la fascisation du régime, la présence de Sarraut spécialiste de la lutte contre les organisations révolutionnaires au ministère de l’Intérieur, le renforcement et l’armement des ligues fascistes avant et depuis le 6 février sont autant d’indices qui montrent que la bourgeoisie se prépare méthodiquement à l’attaque contre le mouvement révolutionnaire.

Les communistes ne peuvent être surpris par une telle évolution de la situation depuis longtemps prévue et annoncée. Mais ils doivent se préparer et s’habituer à remplir leur tâche d’animateurs et de dirigeants de l’action des masses ouvrières et paysannes contre la bourgeoisie, quelles que soient les mesures fascistes et policières prises contre le mouvement révolutionnaire.

Déjà, au moment de la création des partis communistes, dans les 21 conditions d’admission à l’Internationale communiste adoptées au IIe congrès de l’I.C., en 1920, on peut trouver des indications précises sur la nécessité du travail illégal.

« Les communistes ne peuvent se fier à la légalité bourgeoise. Ils doivent créer partout un organisme clandestin parallèle pouvant, au moment décisif, aider le Parti à remplir son devoir envers la révolution.

Dans tous les pays où, par suite de l’état de siège ou les lois d’exception, les communistes n’ont pas la possibilité de mener légalement toute leur action, la concomitance de l’action lé gale et de l’action illégale est indiscutablement nécessaire. » (3° condition.)

Depuis, l’I.C. a constamment rappelé cette condition fondamentale pour tout travail révolutionnaire sérieux et, tout récemment, le 13e Exécutif a précisé le caractère de ces tâches dans la période actuelle :

« Toute la situation actuelle exige des partis communistes une préparation à temps des cadres en vue de l’illégalité, l’organisation sérieuse de la lutte contre la provocation, l’association des méthodes de la conspiration la plus stricte avec l’établisse ment des liaisons les plus étroites avec les masses en surmontant le schématisme dans la structure de l’organisation illégale elle-même.

Seule, la concentration de tous les efforts des organisations du Parti pour la constitution des cellules illégales dans les entreprises et le renforcement de l’activité des fractions communistes dans toutes les organisations de masse peuvent assurer la liaison avec les masses ainsi que la conspiration maximum et son efficacité.

Les communistes doivent, en réalisant toutes ces tâches, mettre à profit toutes les possibilités légales pour déployer le travail de masse et combiner le travail légal avec le travail illégal. »

C’est en partant de ces directives essentielles que les communistes français doivent orienter toute la réorganisation du travail du Parti.

La préparation à l’illégalité, la combinaison des méthodes de travail légales et illégales, reposent sur le principe suivant : permettre au Parti de continuer son travail de masse, quelles que soient les conditions de répression patronale, policière ou fasciste.

Les méthodes de conspiration n’ont pas pour but de cacher ou de mettre à l’abri tel ou tel militant mais de donner à l’ensemble du Parti la possibilité de continuer son action dans d’autres conditions politiques qu’au moment où il bénéficie de la légalité.

Il est évident que lorsque les conditions politiques changent toutes les méthodes de travail doivent également être modifiées.

En partant de l’état actuel de notre mouvement pour fixer des tâches en rapport avec le sens des changements qui s’opèrent dans la situation politique il parait nécessaire d’insister particulièrement sur les points suivants :

a ) Faire un gros effort pour développer le nombre de nos cellules d’entreprises. Améliorer le travail de celles-ci pour qu’elles soient davantage liées aux ouvriers et capables d’organiser et diriger les actions contre le patronat et la bourgeoisie. Faire qu’elles obtiennent l’aide nécessaire des comités du Parti ;

b ) Poursuivre la décentralisation, en lui donnant tout son sens qui est d’obtenir une plus grande mobilité des organisations, des réactions plus rapides en face des événements, sans at tendre toujours la directive d’en haut, un plus grand sens des responsabilités et une meilleure initiative ;

c ) Avoir un meilleur contrôle des cadres permettant d’utiliser de façon rationnelle les meilleurs éléments et d’éliminer des fonctions responsables ou même de l’organisation, les éléments douteux, peu sûrs, manquant de capacité ou de fermeté ;

d ) Être plus vigilant envers toute manifestation présentant un caractère de provocation, lutter énergiquement contre les bavardages, la curiosité, les indiscrétions, les négligences ;

e ) Assurer l’homogénéité politique du Parti en luttant contre toutes les déviations et exiger la plus stricte discipline dans l’exécution des décisions du Parti ;

f ) Obtenir qu’à tous les échelons du Parti on observe dans toute l’activité les règles de la conspiration tout en poursuivant et en développant le travail de masse.

Chaque communiste doit comprendre que de telles mesures sont indispensables pour que l’ensemble du mouvement révolutionnaire soit mieux préparé à faire face à n’importe quel événement et soit capable de s’adapter à n’importe quel changement de la situation sans perdre le contact avec les masses ouvrières.

Mais en plus de cette orientation plus précise du travail d’organisation et des mesures générales à prendre pour que le Parti, dans son ensemble, soit mieux préparé pour s’adapter aux changements de la situation, il faut encore s’attacher à mettre au point un certain nombre de mesures pratiques indispensables au fonctionnement même du Parti et surtout à la réalisation des tâches.

Par exemple, le fait que le Parti soit organisé sur la base des cellules d’usines, que ces cellules aient une structure d’organisation appropriée aux nécessités du travail clandestin, crée incontestablement les conditions d’une bonne liaison avec les masses.

Mais il faut donner à de telles cellules les moyens de réaliser le travail de masse, les moyens de faire connaitre aux ouvriers le point de vue du Parti, de formuler les revendications, de lancer des mots d’ordre d’action, etc.

Dans ce sens, la possibilité doit être donnée à chaque cellule d’usine d’éditer par ses propres moyens des tracts, des papillons, un journal d’usine.

Il est clair que pour être utilisable ce matériel d’édition doit être en sécurité, à l’abri du mouchardage et que les méthodes de diffusion doivent être suffisamment étudiées pour éviter dans la plus large mesure la répression.

Tout cela oblige donc à l’étude et à la mise ait point dans chaque cellule des mesures de protection tant pour le matériel utilisé que pour les personnes qui l’utilisent.

Ce premier objectif : que chaque cellule capable d’éditer elle- même du matériel d’agitation et sachant en assurer habilement la diffusion doit être considéré comme une tâche fondamentale du moment présent.

L’organisation des liaisons entre les membres d’une même organisation et entre les différents échelons du Parti constitue aussi une des « conditions préalables » du travail clandestin. Il est évident que l’aggravation des mesures de répression signifie tout d’abord une plus grande surveillance policière des organisations révolutionnaires.

Il faut donc avoir la possibilité de réunir les membres du Parti et de faire fonctionner les organismes de direction dans des conditions et des endroits qui restent ignorés de la police et de son immense réseau de mouchards.

Dans le même ordre d’idées, on comprend qu’il est facilement impossible d’utiliser comme on le fait ordinairement la poste ou le téléphone – toujours surveillés par la police – pour convoquer les réunions, transmettre les matériaux, les instructions, etc. Les précautions élémentaires à prendre lorsqu’on utilise la poste exigent :

1. que l’on n’adresse pas les lettres au nom et au domicile de militants pas plus qu’aux sièges des organisations ;

2. que les lettres expédiées soient rédigées en termes conventionnels, ne permettant pas aux indiscrets de trouver des indications pouvant nuire au travail du Parti.

Il faut enfin que chaque organisation puisse avoir les liaisons indispensables à son travail sans avoir aucun besoin d’utiliser la poste.

Pour cela, la création d’un réseau de courriers, les modalités de leur travail doivent être étudiées et réglées en tenant compte dans chaque cas de la situation concrète.

Les mêmes raisons qui font qu’on ne doit pas écrire au domicile des militants ou au siège des organisations indiquent évidemment qu’on ne doit pas non plus, en règle générale, y envoyer des courriers.

Cela suppose que les militants et les organisations à toucher par courrier doivent prévoir où peut et doit se faire la liaison. Et puisque les intéressés ne doivent pas habiter à ce moment-là leur domicile habituel, puisqu’ils ne peuvent pas travailler ou se réunir dans les locaux déjà connus, cela suppose aussi qu’ils ont la possibilité d’habiter et de travailler dans des endroits qui remplissent les conditions suffisantes de sécurité.

La nécessité d’assurer le fonctionnement et le travail du Parti dans d’autres conditions, en plus des principales mesures techniques que nous venons d’indiquer, exige aussi une modification sensible de la structure actuelle du Parti ainsi que des méthodes de travail.

Par exemple : actuellement on trouve normal de réunir fréquemment pour un comité de rayon ou de région, quinze ou vingt camarades et même davantage.

Il est clair que la réunion de ces mêmes organismes dans les conditions d’une répression renforcée ou de l’illégalité complète doit être modifiée pour plusieurs raisons.

D’abord parce que la convocation par courriers, le déplacement de nombreux camarades et la possibilité de trouver des locaux adéquats constituent déjà une série de difficultés sérieuses. Ensuite, parce que la sécurité personnelle des militants, les moyens de contrôle sont d’autant plus réduits que la réunion est plus large.

La même remarque vaut pour les organisations de base, en par ticulier pour les cellules d’entreprises.

Sans tomber dans un découpage mécanique, on peut poser comme règle générale que, pour fonctionner normalement dans les conditions de travail clandestin, on ne doit pas réunir plus de cinq membres à la fois, et il faut prévoir la réorganisation des organismes de base ou de direction, en se tenant à cette règle générale.

En ce qui concerne les matériaux politiques (directives, documentation, résolutions, etc.), il est clair que les méthodes actuelles des longues circulaires, des lettres fréquentes et très dé taillées ne peuvent être maintenues.

Au contraire, le système de liaison et le fonctionnement des organismes doivent être reglés de telle façon que les directives essentielles soient transmises directement dans une forme très condensée et chaque fois que cela est possible apportées par un instructeur qui ne se bornera pas à transmettre, mais collabore ra à l’exécution.

Par exemple : le rôle d’un comité régional ou de rayon dans une période d’illégalité ne consiste pas à être immobilisé pour discuter, comme un état-major, au-dessus de l’action, mais la plupart des membres doivent être affectés à un secteur de travail pour réaliser, avec le maximum d’initiative, le travail du Parti dans le sens fixé par l’organisme dirigeant.

C’est ainsi que peut se réaliser la direction concrète et vivante et que doit être liquidée la direction entachée de bureaucratisme.

Aux changements nécessaires dans la structure et les méthodes de travail ainsi qu’aux mesures d’organisation indiquées il faut encore ajouter les changements à apporter dans la conception même des camarades à l’égard du travail du Parti et obtenir une modification sérieuse des habitudes actuelles.

Le fait d’avoir vécu, jusqu’à présent,, dans une atmosphère de légalisme a créé des habitudes d’insouciance qui sont quelque fois scandaleuse et doivent être très vigoureusement combattues.

La pratique du travail clandestin exige l’observation des règles qui, lorsqu’elles sont négligées, peuvent anéantir les meilleures mesures d’organisation.

Nous ne voulons pas, évidemment, dans le cadre d’un tel article, faire un exposé détaillé des méthodes conspiratives mais seulement rappeler au moins les indications essentielles qui sont :

a ) Pas de bavardage ou de discussion sur les questions du Parti dans des endroits où elles peuvent être entendues par des tiers. Pas de confidences sur ces questions aux parents, amis ou camarades. De même, pas de curiosité : chaque membre du Parti ne doit savoir que ce qui est indispensable à son activité et doit savoir garder pour lui seul ce qu’il connait ;

b ) Ne pas garder à son domicile, dans sa serviette ou dans ses poches, des matériaux ayant trait à la vie du Parti, des listes d’adresses, des noms d’adhérents, etc.

Agir toujours de telle façon qu’une perquisition ou une fouille à l’occasion d’une arrestation, non seulement ne donne aucun matériel à la police mais ne lui donne même pas la possibilité d’établir que la personne fouillée ou perquisitionnée est membre du Parti.

Lorsqu’on a absolument besoin d’avoir pour le travail des noms ou adresses – ce qui doit être le plus possible évité – ne jamais inscrire les noms véritables ni les adresses exactes. Utiliser des numéros ou des pseudonymes et chiffrer les adresses ;

c ) Etre toujours exact au rendez-vous fixé, qu’il s’agisse de liaison ou de réunion. L’attente prolongée dans un endroit quelconque est souvent la cause des accidents. Pour éviter ces attentes dangereuses sans risquer de perdre la liaison, prévoir toujours un deuxième point de rencontre lorsqu’on fixe les rendez-vous ;

d ) Savoir, dans tous les cas, agir le plus naturellement possible, ne pas prendre des airs mystérieux sous prétexte de précautions ; avoir une tenue en rapport avec le milieu dans lequel on doit aller de façon à ne pas attirer inutilement l’attention ;

e ) S’habituer à observer la surveillance policière – à repérer et déjouer les filatures – ne jamais venir directement à une réunion ou un rendez-vous clandestin.

Avant d’entrer dans un local ou d’arriver à un endroit de rendez- vous s’assurer qu’on est bien seul. Dans le cas contraire ne pas aller au rendez-vous ni même à proximité du lieu de ce rendez- vous.

Ces méthodes ont principalement pour but de déjouer la surveillance « extérieure » que peut exercer la police sur les militants et les organisations révolutionnaires.

Mais il faut toujours se rappeler que cette partie de l’activité policière, pour importante qu’elle soit, n’est pas cependant la plus dangereuse.

La bourgeoisie, pour combattre le mouvement révolutionnaire, ne se borne pas à utiliser sa police officielle ; elle s’efforce de faire à l’intérieur des organisations un travail de sabotage et de provocation en y introduisant certains éléments ou en se servant de la corruption, du chantage et de la menace pour obtenir des « collaborateurs » parmi les adhérents des organisations. C’est pourquoi on doit considérer que le renforcement de la vigilance à l’intérieur du Parti, l’attention à apporter dans le recrutement, le contrôle de l’activité des militants, de l’attitude politique et personnelle des membres du Parti est une nécessité d’autant plus impérieuse que nous allons rapidement vers une accentuation des batailles de classe.

Certains camarades penseront peut-être que les tâches brièvement esquissées dans cet article sont beaucoup trop nombreuses pour qu’elles soient rapidement réalisées et qu’elles peuvent encore être ajournées.

Ce serait là une erreur extrêmement dangereuse et qui pourrait coûter cher au Parti et au prolétariat français.

La question qui est actuellement posée devant notre mouvement ce n’est pas de bavarder sur la préparation à l’illégalité, sans jamais commencer à entreprendre sérieusement cette préparation ; c’est au contraire de mettre partout cette question à l’ordre du jour et de prendre partout des mesures politiques et d’organisation suffisantes pour surmonter la passivité opportuniste, pour liquider les traditions légalistes, pour donner au Parti et au prolétariat français, qui vient de montrer si magnifiquement sa capacité de lutter contre les bandes policières et fascistes, les moyens de poursuivre et de développer son action lorsque la bourgeoisie, abandonnant son masque démocratique, pensera que le moment est venu pour elle de recourir aux méthodes de violence policière et de terreur fasciste contre le mouvement révolutionnaire.


Revenir en haut de la page.