On peut se douter que l’écriture en contrepoint est extrêmement complexe, puisqu’il faut conjuguer plusieurs voix de telle manière qu’il en ressorte quelque chose de cohérent.
Pour cette raison, il va y avoir une division du travail entre les voix, pour gagner en clarté dans l’orientation de l’écriture musicale (il y a le ténor encore connu sous ce terme, le déchant qui devient le cantus qui lui-même donnera le soprano, l’altus qui donnera l’alto, la basse ou bassus qui donnera la basse).
Il y aura également, – voire principalement en raison de l’appréciation humaine de ce qui reflète, de ce qui est reflétée -, le phénomène que les voix secondaires se sont largement appuyées sur le principe de l’imitation.
C’est-à-dire qu’il y a eu la tendance à ce que les voix secondaires reprennent la mélodie de la voix principale. Cette imitation peut être conforme, inversée, modifiée par l’augmentation ou le ralentissement de la vitesse, etc. Tout a été essayé en ce domaine, jusqu’aux combinaisons les plus compliquées, fournissant par ailleurs un plaisir plus intellectuel à l’auditeur (forcément lui-même musicien) que musical comme sensation au sens strict.
Ce n’est pas tout. A partir du moment où il y a plus une grande expérience musicale, un plus grand matériau, un approfondissement du goût, alors inévitablement il va y avoir une amélioration de la saisie de la nature des sons nouveaux produits par les accords entre les notes.
Cette connaissance des sons dans leur multiplicité par leur rencontre et des choix à faire pour que cela « sonne » bien s’appelle l’harmonie.
L’harmonie n’apparaît donc pas comme un présupposé, comme une théorie d’origine divine se présentant comme un idéal (c’est le cas chez le mathématicien Pythagore qui élabora une théorie « chiffrée » des sonorités musicales « harmonieuses »).
Dans l’introduction de son Traité complet de contrepoint, Ernest Friedrich Richter donne la définition suivante du contrepoint :
« Marche mélodique, indépendante, d’une partie, en relation avec une ou plusieurs parties également indépendantes et mélodiques, et cela d’après les lois de la progression harmonique ou enchaînements des accords ».
Voici ce qu’il précise également :
« A l’époque où se firent les premiers essais d’écriture musicale on se servit de points pour représenter les sons, de sorte qu’une série de sons formait une suite de points contre points (puncti contra punctum).
Le mort Contrepoint est donc une abréviation, une contraction, puisque les deux mots dont il est formé font naturellement supposer l’existence d’un autre point (…).
Ce mot Contrepoint doit tout d’abord éveiller en nous l’idée d’une simultanéité de sons produite par une série de notes formant une mélodie opposée à la série de notes d’une autre mélodie placée plus haut ou plus bas. »
Seulement donc, à l’époque où le contrepoint exprimé de cette manière émerge, nous sommes au moyen-âge et il ne s’agit alors que d’une simple rencontre de deux mélodies. A l’arrière-plan s’exprime encore la méconnaissance de l’accord c’est-à-dire du développement qualitatif de la mélodie, d’une voix seule.
C’est-à-dire qu’à l’origine, le contrepoint cherchait dans la rencontre de sons dans le temps, au moyen des intervalles, une certaine harmonie quantitative qui devait provenir en réalité de leur rencontre qualitative dans l’espace : on cherchait les bons emplacements pour que les voix s’accrochent les unes aux autres, mais ce faisant on en restait à une addition, on ne faisait qu’appuyer la mélodie, on ne la transformait pas.
Il s’agissait donc d’une recherche au moyen d’une addition, d’une perspective quantitative, au lieu d’un travail sur la qualité des sons produits ensemble. C’est là où intervient le luthéranisme et Jean-Sébastien Bach.
Voici comment le même auteur présente alors le sens de l’intervention historique de Jean-Sébastien Bach.
« Avec le 18e siècle, le mouvement musical se concentre tout à fait en Allemagne où vivait le plus grand des maîtres contrapointiques : Jean-Sébastien Bach.
Ce que tous ses devanciers n’avaient pu, malgré leurs efforts, réussir à créer fut possible pour lui et par lui, à savoir un style homogène, l’indépendance mélodique des voix la plus complète, la plus absolue, ayant pour base naturelle la progression harmonique la plus riche. »