Si le délégué allemand exprima les doutes du KPD, le paradoxe est que c’est lui qui, avec Boukharine, écrivit la proposition de lignes directrices pour l’Internationale Communiste. Les débats de la conférence portaient précisément sur ces orientations.
La question syndicale fut vite réglée. Malgré les énormes différences selon les pays – le délégué allemand souligna que le mouvement révolutionnaire affrontait les syndicats car ceux-ci se positionnaient ouvertement comme obstacle – il fut admis par tous (sauf les Norvégiens) que les syndicats devaient se transformer pour aller dans le sens de la révolution. Cette question, apparemment secondaire, devrait resurgir par la suite, une fois les Partis Communistes établis solidement.
Le second point, Démocratie bourgeoise ou dictature du prolétariat ?, formait un point d’achoppement plus particulier entre communistes russes et communistes allemands, alors que par ailleurs, le document n’était alors disponible encore qu’en russe et en allemand.
C’est Lénine qui prit la parole pour faire un très long rapport à ce sujet. Il souligne qu’il n’existait pas de démocratie « pure », au-delà des classes, et que telle était l’erreur des socialistes.
La classe ouvrière devait inéluctablement organiser sa dictature pour briser la contre-révolution ; la Commune de Paris de 1871 formait un exemple historique de démantèlement de l’ancien État. Le pouvoir soviétique était le phénomène d’actualisation du nouveau pouvoir.
Lénine était très critique à ce sujet des communistes des autres pays qui, à part en Hongrie, n’avaient justement pas su propager l’idée des soviets et expliquer leur nature. C’était pourtant là, selon lui, la clef décidant du développement de la révolution mondiale.
Dans son intervention, Lénine explique à ce sujet que :
« Une des tâches les plus importantes pour les camarades des pays de l’Europe Occidentale consiste à expliquer aux masses la signification, l’importance et la nécessité du système des Soviets. On constate sous ce rapport une insuffisante compréhension.
S’il est vrai que Kautsky et Hilferding ont fait faillite en tant que théoriciens, les derniers articles de la Freiheit prouvent cependant qu’ils ont su exprimer exactement l’état d’esprit des parties arriérées du prolétariat allemand.
Il est arrivé la même chose chez nous : au cours des huit premiers mois de la révolution russe la question de l’organisation soviétique a été beaucoup discutée, et les ouvriers ne voyaient pas très clairement en quoi consiste le nouveau système, ni si l’on pouvait constituer l’appareil d’État avec les Soviets.
Dans notre révolution nous avons progressé non par la voie théorique mais par la voie pratique. Ainsi, par exemple, jamais auparavant nous n’avons posé théoriquement la question de l’Assemblée Constituante et nous n’avons jamais dit que nous ne reconnaissons pas celle-ci.
Ce n’est que plus tard, lorsque les institutions soviétiques se répandirent à travers tout le pays et conquirent le pouvoir politique que nous décidâmes de disperser l’Assemblée Constituante.
Nous voyons à présent que la question se pose avec beaucoup plus d’acuité en Hongrie et en Suisse.
D’un côté il est excellent qu’il en soit ainsi; nous puisons dans ce fait la conviction absolue que la révolution avance plus rapidement dans les États de l’Europe Occidentale et qu’elle nous apportera de grandes victoires.
Mais, d’autre part, il y a un certain danger et c’est à savoir que la lutte sera tellement acharnée et tendue que la conscience des masses ouvrières ne sera pas en mesure de suivre ce rythme.
Encore maintenant la signification du système des Soviets n’est pas claire pour les grandes masses des ouvriers allemands politiquement instruits, parce qu’ils ont été élevés dans l’esprit du parlementarisme et des préjugés bourgeois. »